[Reportage] Le cacao ivoirien aiguise l’appétit des géants du chocolat
L’intérêt des industriels du chocolat comme Cémoi, Cargill et Nestlé ne cesse de grandir pour le cacao ivoirien. A travers différentes initiatives, tous cherchent à renforcer la qualité et les rendements des vergers du premier producteur mondial.
Mis à jour
06 octobre 2016
Sur les quais de déchargement de l’usine Cémoi de Yopougon, près d’Abidjan (Côte d’Ivoire), un salarié plonge une sonde dans les sacs de cacao des camions, pour mesurer le taux d’humidité des grains. Il doit être compris entre 7 et 8 % maximum pour garantir une bonne qualité du cacao et des futurs chocolats.
Depuis le 1er octobre, la récolte de cacao bat son plein en Côte d’Ivoire, premier producteur au monde avec plus de 41% de la production. Chaque jour, une quarantaine de camions de plus de 30 tonnes arrivent à l’usine pour décharger leur cargaison. Près de 200 tonnes sont broyées et torréfiées chaque jour dans l’usine, soit environ 100 000 tonnes à l’année. Présent industriellement dans le pays depuis 1996, le groupe français Cémoi est aujourd’hui le seul groupe sur place à maîtriser la chaîne de valeur complète du cacao, depuis les champs jusqu’à la production de chocolat. "Nous nous sommes implantés dans le pays car nous souhaitions sélectionner nos fèves et travailler directement avec les planteurs et les coopératives pour mieux contrôler la qualité", explique le PDG, Patrick Poirier.
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Depuis mai 2015, le groupe possède une usine de fabrication de produits chocolatés, à destination de la population locale. Une grande première. Mais cette production ne représente encore que 10% des fèves achetées et torréfiées par le groupe, le reste étant exporté pour transformation en Europe. Cémoi espère arriver à saturation de son outil d’ici à cinq ans, en fonction de la demande. "La nouvelle classe moyenne dans le pays commence à acheter du chocolat. Nous vendons à différents distributeurs traditionnels et à Carrefour qui vient de s’installer", souligne le PDG de Cémoi.
Transformer localement 50% des fèves produites dans le pays d'ici à 2020
A l’image du groupe familial français, des opérateurs internationaux comme Cargill ou Barry Callebaut ont ouvert des usines dans le pays. Ils transforment des fèves pour produire de la "masse" et du beurre de cacao, qui seront exportés en Occident pour entrer dans le process d’élaboration du chocolat. Mais le taux de transformation locale du cacao est encore faible en Côte d’Ivoire. Elle ne concerne que 33% des fèves, soit 585 000 tonnes sur 1,8 million de tonnes produites. La majorité de la production est broyée et torréfiée en Occident.
Conscient du potentiel économique de la filière, le gouvernement du président Alassane Ouattara est en train de mettre en place des incitations fiscales pour attirer les entreprises. "L’objectif est de porter la transformation locale à 50% de la production d’ici à 2020", a annoncé, le 1er octobre, le Premier ministre Daniel Kablan Duncan, lors des Journées nationales du cacao et du chocolat (JNCC). Présent depuis 2000 en Côte d’Ivoire avec une usine de broyage, le groupe américain Cargill réfléchit ainsi à augmenter dans les prochains mois sa capacité de transformation, qui atteint aujourd’hui 120 000 tonnes à l’année.
Torréfaction de fèves de cacao à l'usine Cémoi d'Abidjan (Côte d'Ivoire).
Augmenter les rendements et la qualité du cacao
Tout comme pour l'économie ivoirienne - le pays réalise près de 15 % de son PIB avec la cacaoculture -, la production de cacao est capitale pour les industriels français et européens. 70% des chocolats vendus dans l’Hexagone contiennent du cacao cultivé dans le pays, selon le Syndicat du chocolat. Il est donc important de préserver la ressource et d'augmenter les rendements, face à une demande mondiale qui continue de croître.
"Depuis une quinzaine d’années, la Côte d’Ivoire a vu le rendement de sa filière décroître fortement à cause de l’âge des cacaoyers. La plupart ont entre 30 et 35 ans, alors que l’âge optimum de production se situe entre 15 et 20 ans", explique Jonas Mva Mva, expert du secteur et directeur du programme cacao à l’Institut hollandais pour le développement durable (IDH). Aujourd’hui, il y a urgence à rajeunir les vergers. Car il faut attendre jusqu’à cinq ans avant qu’un arbre donne de bonnes fèves. Selon les projections de l’Organisation internationale du cacao (ICCO), il pourrait manquer 1 million de tonnes de cacao pour répondre à la demande mondiale en 2020 si l’on ne fait rien, en raison de la baisse des rendements et de l’augmentation de la consommation. L’objectif est d’arriver à plus d’une tonne par hectare de rendement, contre 450 kg en moyenne actuellement. Pour répondre à l’enjeu, les industriels déploient plusieurs initiatives.
Rajeunir les vergers et professionaliser les coopératives
Cémoi a lancé un programme baptisé "Transparence". Aujourd’hui, 30% des planteurs sont engagés dans cette filière. Un des axes est d’arriver à mieux connaître les parcelles des planteurs, grâce à des outils de géolocalisation, et à les former à mieux contrôler la fermentation des fèves une fois récoltées. "C’est en contrôlant la fermentation et le stockage des fèves que l’on peut maîtriser la qualité future du chocolat et les arômes précurseurs", assure Patrick Poirier. Le groupe dispose aujourd’hui de 12 centres de fermentation, qu’il a progressivement mis en place depuis 2009.
Cargill est engagé de son côté dans des programmes de certification, établis par les organisations Fairtrade et UTZ selon des critères de durabilité, et développe un programme baptisée "Coop Academy" pour professionnaliser les coopératives de producteurs. Le géant suisse Nestlé, qui possède un centre de recherche sur place depuis 2009, distribue pour sa part à tour de bras des jeunes plants de cacaoyer à des coopératives sélectionnées. Déjà six millions ont été offerts gratuitement aux planteurs, assure le groupe. Objectif : augmenter les rendements et la qualité du cacao, avant de pouvoir produire localement ses propres variétés mises au point par ses chercheurs maison.
En attendant, les industriels français du chocolat viennent de lancer, en collaboration avec le Conseil café-cacao (l’organisme ivoirien de gestion de la filière), un label baptisé "Origine Côte d’ivoire", selon des critères de bonne gestion de la production. "Il a vocation à être adopté par les industriels de différents pays en Europe et dans le monde", affirme le Syndicat français du chocolat. La bataille du cacao de qualité en Côte d’Ivoire ne fait que commencer.
Adrien Cahuzac, à Abidjan (Côte d’Ivoire)
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