Reportage : Energy Observer, des technologies prêtes pour l'industrialisation

L’Energy Observer a été baptisé jeudi 6 juillet après-midi, à Paris, sur la Seine. Il entamera ensuite son tour du monde de six ans. Nous avons rencontré sa marraine, Florence Lambert, directrice du CEA Liten, qui nous a fait visiter le bateau en compagnie de Didier Bouix, l’ingénieur CEA responsable du projet. Pour le CEA, au-delà des records que va accomplir le bateau, celui-ci est un concentré de technologies qui ont vocation à être industrialisés. Prêt à embarquer ?  

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Reportage : Energy Observer, des technologies prêtes pour l'industrialisation

Si vous demandez à Florence Lambert la raison pour laquelle elle est marraine de l’Energy Observer (le parrain étant Nicolas Hulot), la jeune directrice du CEA Liten, récemment nommée, mentionnera quelques réalités industrielles. Elle vous rappellera que quelque 30 à 40 brevets ont été déposés par le CEA autour des technologies embarquées, sur lesquelles le CEA-Liten travaille depuis plus de 15 ans. Certes, le bateau compte un nombre impressionnant de sponsors privés qui ont participé de près ou de loin à sa mise au point. Mais le CEA est le véritable architecte du système énergétique. Les records que va accomplir le bateau ? Ce tour du monde en six ans ? Le fait qu’il s’agisse du premier bateau à atteindre l’autonomie totale grâce en couplant, comme source d’électricité, hydrogène et énergies renouvelables ? « Le CEA ne serait pas là s’il n’y avait que cela en jeu, » tranche-t-elle, confortablement assise sur la proue du bateau, en observant autour d'elle à travers ses lunettes de soleil. « Ce qui nous intéresse, c’est la possibilité d’accélérer les tests sur nos technologies. L’Energy Observer, pour nous, c’est un laboratoire vivant.»

Tandis qu’elle parle, Bertrand Piccard, le pilote de Solar Impulse, l’avion solaire avec lequel il a bouclé le tour du monde en 2016, fait également connaissance avec le bateau électrique. Les deux engins sont d'ailleurs régulièrement comparés depuis plusieurs mois, Energy Observer étant même communément surnommé le « Solar Impulse des mers ». De son côté, Florence Lambert préfère insister sur un point crucial, qui fait la particularité du bateau : l’industrialisation. « Il y a une réalité en termes d’emplois », insiste-t-elle. « Certaines technologies sont même déjà industrialisées. »

A bord, le pont est dimensionné pour accueillir de 8 à 16 personnes

Les énergies propres à l’épreuve des mers

De l’extérieur, l’Energy Observer, qui ressemble à un gros catamaran sans voile pavé de panneaux solaires, présente une certaine esthétique, qui n’est pas dénuée d’un côté futuriste. Mais lorsque je suis invité à monter dessus, je prends conscience qu’il s’agit tout de même, avant tout, d’un bateau, qui bouge au gré des vagues sur la Seine ... et qu’il s’agit d’avoir le pied marin lorsque l’on passe de la barge à la coque. « La mer est un bon test de passage pour un système énergétique », note Didier Bouix, chef du projet pour le CEA, tout en entreprenant de me faire visiter les recoins du bateau. L'homme a fait partie de l’équipage du bateau pour ses premiers kilomètres. Il insiste en particulier sur l'humidité ambiante, un défi pour la pile à combustible. Celle-ci est au cœur du système énergétique, qui fait toute l’originalité du bateau.

La pile à combustible, c’est cette machine, qui permet, à partir d’hydrogène et d’oxygène, de produire de l’électricité et de l’eau. Le jour, elle est rechargée en hydrogène par un électrolyseur, qui réalise l’opération inverse de la pile à combustible, à partir de l’électricité disponible et de l’eau de mer désalinisée. La nuit, les panneaux solaires ne remplissant plus leur fonction, elles fournissent l’électricité. En mer, l’oxygène, tiré directement de l’atmosphère, est forcément accompagné de plus d’humidité. « La pile à combustible que nous utilisons est basée sur le même modèle que celle utilisée dans les Kangoo ZE et produites par Symbio Fcell, une entreprise née du CEA, » détaille Didier Bouix, en me montrant la pile dans l’une des coques. « Nous avons dû l’adapter aux conditions marines. » Dans la même coque, sont placées, un peu plus loin, les batteries lithium-ion,elles aussi CEA, et chargées de stocker l’énergie délivrée par les panneaux solaires.

Didier Bouix, devant la pile à combustible

60 kilogrammes d'hydogène sont générés et stockés à bord. C'est l'équivalent de 270 litres d'essence.

Des cellules solaires hétéro-jonction de 23% de rendement

Direction, ensuite, l’autre coque, où sont placés plusieurs réservoirs à hydrogène, 60 kilogrammes en tout, qui fournissent au moteur autant d’énergie que 270 litres d’essence. Si ces éléments sont cachés au regard, impossible, en revanche, de manquer l’imposant toit de cellules solaires de 21 kWc, et les deux éoliennes de 1kWc. Sauf ces dernières, le CEA est derrière l’ensemble des composantes de la chaine énergétique du bateau. Les cellules solaires, en particuliers sont basées sur une technologie de rupture, qui pourrait pourtant demain s’imposer partout. « Il s’agit de cellules solaires hétérojonction bi-faciales, » détaille Didier Bouix. Comprenez : des cellules solaires très différentes de celles répandues aujourd’hui, qui sont en silicium. Celles du CEA sont composées de plusieurs couches qui leur permettent de capter les différentes composantes de l’énergie lumineuse, et peuvent, en outre, capter celle-ci par devant comme par derrière.

Résultat : elles affichent un rendement de 23%, contre 15% environ pour le silicium. « Nous avons déjà produit plus de 200 000 cellules de ce type sur une ligne innovante que nous avons conçue en Rhône-Alpes », me rapporte Florence Lambert. « Sa commercialisation pourrait démarrer d’ici un an. » Le CEA mise sur une ligne sur mesure de haute cadence et les hauts rendements pour pouvoir proposer une technologie photovoltaïque qui puise concurrencer les productions asiatiques. Mais ne cache pas que Panasonic propose déjà la même technologie avec un rendement de 25%, un rendement qu’espère aussi atteindre le CEA.

Les cellules solaires du bateau sont bi-faciales, c'est-à-dire capables de capter l'énergie lumineuse en dessus et en dessous, dont la lumière refletée par la coque.

La France a une carte à jouer, ce bateau en est l’exemple

L’intérêt véritable, pour le CEA, est de tester l’ensemble de ces technologies déployées ensemble. Globalement, en mode navigation, « nous ne faisons pas que juxtaposer les technologies, » insiste Didier Bouix. « Une intelligence pilote le tout. Le bateau est une sorte de mini-smart-grid. Il peut même, à quai, injecter l’électricité qu’il produit sur le réseau ! » Pour articuler toutes les technologies, le CEA a développé une solution logicielle sur-mesure de supervision. Durant son voyage, des ingénieurs du CEA pourront suivre au plus près les données du système à partir d’une salle de contrôle à terre et continuer à affiner son fonctionnement. Ils pourront ainsi tirer une véritable expérience de l’utilisation combinée de ces technologies. Une étape primordiale pour envisager l'industrialisation de celles qui n'en sont pas encore là.

L'équipage, de 8 à 16 personnes, pourra aussi suivre les composantes du systèmes énergétique sur un écran à bord

« Le CEA Liten est en importance le troisième institut sur les énergies renouvelables au monde », tient à rappeler Florence Lambert. « Nous sommes derrière le NREL aux Etats-Unis et les instituts Fraunhofer en Allemagne regroupés ensemble. Mais nous avons une carte à jouer dans l’intégration des technologies. Nous passons d’un modèle de distribution centralisé à un modèle décentralisé, reposant sur une énergie décarbonnée. La France peut faire quelque chose, ce bateau en est l’exemple. »

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