Renault menace de bloquer la réforme de la gouvernance de Nissan
Regain de tensions entre les alliés Renault et Nissan. Redoutant d'être sous-représenté dans la nouvelle structure de gouvernance de Nissan, Renault menace de bloquer l'adoption des réformes de gouvernance de l'entreprise. Lundi 10 juin, Nissan a fustigé une position "hautement regrettable". En parallèle, le gouvernement français tente toujours de réconcilier les deux partenaires après l'échec du projet de fusion Renault-Fiat-Chrysler (FCA).
Avec
\ 09h06
Mis à jour 11 Juin 2019
Avec
Mis à jour
11 juin 2019
Les tensions s'aggravent entre Renault et Nissan. Le groupe français a laissé entendre qu'il bloquerait l'adoption des réformes de gouvernance de son partenaire japonais s'il n'était pas mieux représenté dans la nouvelle organisation. Une position jugée "hautement regrettable" par Nissan lundi 10 juin alors que l'alliance entre les deux constructeurs est toujours secouée par le scandale Carlos Ghosn.
Renault bloque la réforme
Nissan a confirmé lundi 10 juin avoir reçu une lettre de Renault l'informant de son intention de s'abstenir lors du vote relatif aux changements de gouvernance que le groupe japonais soumettra à son assemblée générale, prévue le 25 juin. Le constructeur français bloquerait ainsi de fait l'adoption de cette réforme, qui nécessite une majorité des deux tiers pour être approuvée.
VOS INDICES
source
Dans la lettre de Renault à Nissan, que Reuters a pu lire, le premier estime que la nouvelle structure de gouvernance élaborée par le second, qui comprend notamment des comités statutaires composés d'administrateurs pour la plupart indépendants, risque de diluer son influence.
"Nous sommes fermement convaincus que les droits de Renault en tant qu'actionnaire de Nissan à 43,4% doivent être pleinement reconnus et qu'au minimum, un ou deux administrateurs proposés par Renault devraient être membres de chacun des trois comités", lit-on dans la lettre. "Au vu des propositions actuelles, cela ne semble pas être le cas."
"La position de Renault peut encore évoluer"
De son côté, Nissan a souligné que son conseil, où siègent le président de Renault, Jean-Dominique Senard, et d'autres dirigeants du constructeur français, avait voté à l'unanimité en faveur du système à trois comités, ajoutant qu'il continuerait à promouvoir un changement de gouvernance.
"Nissan estime hautement regrettable la nouvelle position de Renault sur ce sujet, une telle position contre-carrant les efforts de l'entreprise pour améliorer sa gouvernance d'entreprise", poursuit le constructeur japonais dans un communiqué. Une porte-parole de Renault n'a pas répondu dans l'immédiat à des demandes de commentaire.
Une source proche du constructeur français a dit que la lettre de Jean-Dominique Senard traduisait la crainte de Renault d'être sous-représenté au sein des comités de Nissan, dont la création a été décidée à la suite de l'arrestation en novembre 2018 de Carlos Ghosn, soupçonné de malversations financières.
"Ce n'est pas une abstention définitive, et la position de Renault peut encore évoluer", a expliqué cette source. "Mais pour l'instant, Renault n'a pas l'assurance d'être correctement représenté dans les différents comités, au regard de sa position de principal actionnaire de Nissan."
Une autre source a dit à Reuters que Renault n'avait pas encore été informé de la composition détaillée prévue pour chacun des trois comités.
Questions sur un possible conflit d'intérêts
Une source proche de Nissan a déclaré que Thierry Bolloré, directeur général de Renault, avait émis le souhait de siéger aux nouveaux comités du constructeur japonais. Mais ceci pourrait soulever des questions au sujet d'un possible conflit d'intérêts puisque cela donnerait à Renault une voix au chapitre concernant la gouvernance ou encore la politique de rémunérations de Nissan, a poursuivi la source.
Selon l'agence de presse Jiji, le directeur général de Nissan, Hiroto Saikawa a dit : "Nous nous préparons pour la réunion des actionnaires et nous discuterons des questions nécessaires au moment opportun. S'il y a des divergences d'opinions [avec Renault], j'aimerais qu'on en discute".
Le système à trois comités avait été recommandé en mars par une équipe indépendante désignée par Nissan. Selon la proposition d'alors, Renault était libre ou non de siéger au comité de nominations mais pas à celui des rémunérations ni à celui d'audit.
Le gouvernement français tente de réconcilier les partenaires
La menace brandie par le constructeur français, qui détient 43,4% de Nissan, est une nouvelle preuve de l'aggravation des tensions entre les deux partenaires, dont l'alliance vieille de 20 ans est sous pression depuis l'arrestation en novembre de Carlos Ghosn, ex-président des deux groupes et architecte de cette alliance. Les liens entre Nissan et Renault ont été une nouvelle fois mis à l'épreuve par le projet avorté de rapprochement entre le constructeur français, dont l'État détient 15%, et le groupe italo-américain Fiat Chrysler Automobiles (FCA).
Pendant ce temps, le ministre français de l'Économie tentait de réconcilier les deux partenaires. Bruno Le Maire était en déplacement au Japon à l’occasion du G20 Finances. À cette occasion, il a indiqué que la France pourrait ne pas s'opposer automatiquement à une réduction de la participation dans Nissan si cela permet d'assurer la place de Renault au sein d'un groupe consolidé. Le gouvernement a également déclaré qu'il pourrait, dans le même but, réduire la participation de 15% de l'État français dans Renault.
"Toutes les options peuvent être envisagées", a déclaré le ministre de l'Économie Bruno Le Maire au journal Le Figaro, interrogé sur des pressions exercées par le Japon sur Renault pour réduire sa participation dans Nissan. Mais un haut responsable du ministère a refusé d'être plus explicite sur cette possibilité. "Il n'y a plus de proposition", a-t-il dit.
Avec Reuters (Avec la contribution de Kanishka Singh à Bangalore et David Dolan à Tokyo, Jean-Michel Bélot, Arthur Connan et Benoît Van Overstraeten pour la version française, édité par Marc Angrand)