Réflexion stratégique sur le marché automobile - Quel choix : thermique, hybride, tout électrique ?
Les consommateurs décidés à acquérir une voiture neuve sont plongés dans une cruelle incertitude : Acheter quoi, et pourquoi ? Dans un excellent article de l’Obs. [1] intitulé «
le grand virage », les auteurs concluent sur l’achat en leasing d’un modèle thermique afin de reporter le basculement vers les nouvelles technologies.
Cette tribune est proposée par Philippe COURTY, Ingénieur retraité, Docteur ès Sciences Chimie, Ex. Directeur Adjoint du CDR Procédés d’IFPEN, Ex. Consultant Expert.
Mis à jour
10 janvier 2022
Un vent de décrédibilisation des véhicules thermiques (hélas, surtout le Diesel) continue de souffler ; les constructeurs en tiennent compte. De plus en plus, l’option d’une motorisation Diesel disparait, surtout sur les modèles urbains, de plus faibles cylindrées. Les motorisations essence perdurent, mais tous les constructeurs (plus récemment, Toyota et Lexus) proposent au catalogue des modèles électriques.
À noter s’agissant des Diesel Euro 6, que les tergiversations de l’É tat pour reclasser enfin en catégorie 1 ceux dédiés aux trajets routiers pénalisent injustement cette belle technologie VP « d’origine France » [2].
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L’option hybride conventionnelle résiste bien ! Idéale pour les transports urbains, elle permet de substantielles économies d’énergie car l’énergie produite par la décélération, transformée en énergie électrique, est stockée et devient disponible dès l’accélération suivante. Il convient donc de laisser aux technologies hybrides matures le leadership urbain [2].
De la même façon, les récents résultats de l’expertise d’IFP énergies nouvelles (IFPEN) [3] et les résultats de l’enquête Voiture et environnement de Green NCap publiés par Que Choisir (4] ont démontré le faible niveau de pollution des Diesel Euro 6. Dans la catégorie routière, les trois seuls modèles classés par Green NCap (Skoda, Mercedès, Volkswagen) sont des diesels !
Mais l’État incite fortement le consommateur à investir dans un modèle électrique : directement par des aides financières généreuses et indirectement, en pénalisant la vente de motorisations thermiques par les restrictions de circulation à venir, et surtout, par la hausse de la fiscalité sur les émissions, celles de CO2 en premier.
Comme le rapportait très récemment la revue Transitions&Energies [5] qui cite les écrits de Consumer Reports (US): « les constructeurs utilisent les voitures électriques comme des bancs d’essai technologiques, et les acheteurs servent de testeurs ». En outre, le cœur de ces voitures, la batterie, demeure dépendante d’une évolution technologique constante.
L’incertitude des consommateurs est également justifiée par quelques publications scientifiques récentes, rapportées également par Transitions&Energies :
Selon le Journal of Industrial Ecology (Univ. Of Yale) [6], si les automobilistes japonais ayant acquis (entre 1990 et 2016) une motorisation thermique ou hybride prolongeaient de 10 % la durée d’utilisation de leurs véhicules, l’empreinte carbone du parc automobile correspondant serait diminuée de 30 MM de tonnes, par rapport à la substitution par un nombre identique de véhicules électriques neufs.
En effet, l’empreinte carbone de la fabrication actuelle des batteries demeure très élevée. Celle pour fabrication d’un véhicule électrique serait 1,5 à 3 fois plus importante que celle d’un véhicule thermique [7] et représenterait, selon ce même auteur (source : MDPI, Suisse), un coût carbone (8 à 20 tonnes) de l’ordre de la production carbone (CO2) du véhicule thermique sur son entière durée de vie. Cette évaluation serait confirmée par l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE) : les émissions précitées du véhicule électrique seraient inférieures de 22 % à celles du véhicule Diesel correspondant [7], et sans doute de bien moins si le recyclage de la batterie était également pris en compte.
Il va de soi que ces réflexions sont essentiellement nationales. Si la France, comme la Norvège, produisait plus de 50 % de son énergie par hydroélectricité et n’avait aucun constructeur automobile sur son sol, nous aurions pu, plus sereinement, opter au futur pour le tout électrique.
Très récemment (mi-janvier) trois contributions majeures sont venues confirmer l’incertitude actuelle. Loik Le Floch Prigent (industrie-automobile) a rationalisé ce doute : " Dans le Monde, les clients potentiels seront essentiellement ceux disposant d’énergie électrique, en permanence et à coût compétitif ; l’Europe en ferait partie". Il rappelle que pour François Michelin, le patron, c’est le client. L’Europe peut proposer des directions à suivre mais, les choix scientifiques, techniques, industriels engageant notre futur (nous sommes les clients du futur automobile) sont du seul ressort de « ceux qui savent ». Carlos Tavardes, d-g. de Stellantis (Les Echos) doute que le tout électrique soit une option raisonnable. Enfin, Frank Weber, directeur du développement, BMW, mentionne (La Tribune) que sa société travaille sur une nouvelle génération de moteurs thermiques (essence et Diesel) à la pointe de la technologie pour réduire sensiblement les émissions de CO2 (donc accroître leur rendement).
Il devient donc certain qu’envisager l’acquisition d’un véhicule automobile neuf impliquera des décisions difficiles. En effet, la décision d’achat devient de plus en plus corrélée en positif aux aides et subventions diverses et, en négatif, aux facteurs psychologiques et économiques qui pourrait décourager les automobilistes décidés à choisir l’option thermique (neuf, occasion, voire leasing) ; et même, se révéler stigmatisants [1]. La pénalité sur les émissions de CO2 est en effet un autre facteur discriminant, pénalisant l’option thermique.
De plus, la Commission européenne fait dans la surenchère en voulant imposer aux États l’interdiction de vente des modèles thermiques, voire des modèles hybrides, dès 2035. La décision reste toutefois conditionnée par le résultat d’un vote et, selon La Tribune, une majorité des pays constructeurs d’automobiles se préparent à voter contre. Dès aujourd’hui, l’effet sur le libre choix des consommateurs est tout à fait dévastateur ! Enfin, les véhicules électriques coûtent en moyenne 10 000 € de plus que leur équivalent thermique, du fait essentiellement de leur batterie.[8]
Pour toutes ces raisons, et malgré l’oukase de la Commission européenne, les véhicules à motorisation thermique ne sont pas prêts de tous disparaître. Plus particulièrement, et tant que les batteries (au futur) ne seront pas essentiellement produites à partir d’énergie verte (ou presque …), les véhicules thermiques essence, Diesel, hybride, répondant à la norme EURO 6, garderont toute légitimité et continueront à circuler.
Mais le danger principal menaçant les motorisations thermiques est bien le déforcement de leur fabrication. L’Etat, mais également les consommateurs, seront les arbitres de cette décroissance ; l’État en fonction de son soutien (ou non) aux biocarburants à empreinte carbone faible ou nulle tels que BioTFuel pour le gazole (et kérosène) et l’éthanol pour l’essence ; le Consommateur, en fonction de ses choix techniques à venir.
Sur la base de ces réflexions, l’auteur soumet à ses lecteurs et à l’État ce qui fait suite :
Pour un usage essentiellement urbain, l’hybride non rechargeable demeure un choix incontournable. (l’hybride rechargeable ayant des émissions, notamment en CO2, sensiblement supérieures si la batterie est déchargée) [3].
Pour un usage essentiellement routier (commerciaux, autres VP, VLU, ambulances etc.), la motorisation Diesel Euro 6 reste le prince de la route : émissions CO2 réduites, durée de vie impressionnante, consommation faible, fiabilité légendaire, polluants tous contrôlés.
Pour un usage urbain ou routier, la motorisation essence Euro6 à allumage commandé ( catalyse 3 voies plus filtre à particules) constitue une alternative toujours crédible. L’option éthanol E85, de série sur certains modèles (e.g. Ford Puma) permet même une réduction sensible du coût de fonctionnement.
Pour tous ceux disposant d’un confort financier suffisant, le tout électrique constitue l’option médiatiquement privilégiée. Indépendamment, la motorisation directe à l’hydrogène (au futur proche : moteur à hydrogène Lexus [12]) ou indirecte (pile à combustible, moteur électrique ; e.g. Toyota Mirai) ; les deux avec un rejet unique de vapeur d’eau, constituent des options envisageables. Dans la mesure où l’hydrogène consommé serait un réel hydrogène vert (comment le savoir ???) toutes ces technologies leur apporteront une quiétude écologique inespérée.
À noter pour conclure, à l’attention de ceux que les motorisations thermiques inquièteraient encore, que Toyota [9] vient d’équiper son modèle Hilux d’une nouvelle motorisation Diesel 2,8l. Euro 6, 204 CV DIN. La société Toyota, à l’origine des innovations automobiles majeures du siècle (Hybride : Prius ; 1997. Motorisation H2/PAC/moteur : Mirai ; 2002 à 2014. Moteur à hydrogène : Lexus bZ4X ; 2021 [10] ) poursuit la mise sur le marché de motorisations Diesel inédites, tout en développant un modèle électrique haut de gamme (batterie garantie dix ans, avec 90% de capacité nominale à 10 ans) [11] ; et même, en préparant un futur novateur avec l’hydrogène carburant sur moteurs à combustion interne (seul rejet : H2O) [12]. IFPEN indique être également présent dans ce domaine [13].
Comme l’écrivent fort justement l’Obs et Agence Forum news, « Vendre son modèle thermique pour un électrique est une solution qui fait sens, à condition d’avoir l’usage correspondant à cette technique » : trajets urbains, domicile travail par ex. « Si vos besoins sont différents, alors le thermique ou l’hybride restent plus intéressants » ; le leasing restant in fine la solution la plus pragmatique [1] .
En termes de motorisations, à ce jour comme pour ceux à venir, il n’existe pas encore de choix unique et beaucoup encore reste à faire pour rationaliser ces choix sur les plans économiques, techniques, et écologiques. Les consommateurs attendront peut-être que « les choix scientifiques, techniques, industriels engageant leur futur » émergent enfin des brumes politico-écologistes actuelles.
Bibliographie
[1] L’Obs – Dossier Agence Forum News ; n°2969, 16-22 09 2021
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[2] COURTY Ph. « L’Etat se doit de réhabiliter le Diesel » L’Actualité Chimique, octobre 2021.
[3] IFP Energies Nouvelles (IFPEN), Etudes émissions EURO 6d TEMP pour le MTE, Rapport de synthèse, décembre 2020.
[4] Que Choisir, « la voiture verte fait un flop » pp.48 – 50. Avril 2021.
[5] transitionsenergies.com « Les véhicules 100% électriques ont des problèmes de fiabilité » 15 décembre 2021.
[6] transitionsenergies.com « Empreinte carbone des voitures, rien ne vaut la conservation » 5 décembre 2021.
[7] THAU Léon, « La réalité sur l’empreinte carbone des véhicules électriques », Transitions&Energies, n°10, pp. 28 – 29 - automne 2021.
[8] LESER Eric, « Le risque d’une technologie éphémère », Transitions&Energies, n°10, pp. 24 – 27 - automne 2021.
[9] TOYOTA, communiqué de presse RP 2021 155 du 18 Novembre 2021. « Le Toyota HILUX remporte l’International Pick-up Award ».
[10] TOYOTA, communiqué de presse RP 2021 169 du 15 décembre2021. « Toyota Corporation dévoile une gamme étendue de véhicules automobiles ».
[11] TOYOTA, communiqué de presse RP 2021 145 du 29 octobre 2021. « Première Mondiale du nouveau Toyota bZ4X ».
[12] TOYOTA, communiqué de presse RP 2021 163 du 2 décembre 2021. « Lexus dévoile le ROV concept à hydrogène »
[13] IFP Energies Nouvelles (IFPEN), Rapport annuel 2020, p.24, « Les motorisations thermiques en mutation ».