Redynamiser la distribution en France via les spécialités
Ces dernières années, le marché national de la distribution de produits chimiques se montre plutôt atone. Ce qui n'empêche pas les acteurs implantés en France d'y déployer des stratégies de développement bien définies pour leur croissance.
Dans un contexte de fragilité chronique du tissu industriel en France, les pouvoirs publics tentent de redynamiser durablement la productivité de l'industrie via différents programmes. Dernier exemple en date : la deuxième phase en 2015 du plan national de réindustrialisation dénommé « Nouvelle France Industrielle ». Une reconquête pour laquelle la chimie a un rôle à jouer, étant le fournisseur de solutions pour d'autres secteurs industriels. Dans ce cadre, le commerce chimique constitue un rouage essentiel, permettant l'approvisionnement en matières premières des industries. Malgré cette utilité prépondérante, le marché français de la distribution s'est montré relativement atone, ces dernières années, constate Gilles Richard, délégué général de l'Union française du commerce chimique (UFCC) : « Le chiffre d'affaires du secteur français de la distribution de produits chimiques a chuté de 2,7 % en 2014, ce qui fait une baisse cumulée de 4 % en deux ans. Cette contraction est principalement due à la baisse du prix de matières premières, le taux de marge généré demeurant plutôt constant chez la plupart des acteurs ». Pourtant, l'UFCC relève que le secteur national du commerce chimique a accru en 2014 sa part d'activité à l'export à 15 % (contre 12 % en 2013). « Au regard du positionnement et de la taille du pays, la France tient le haut du panier européen en ce qui concerne le commerce chimique. Elle abrite beaucoup de sociétés, notamment des PME, ce qui fait que l'écart avec nos voisins allemands n'est pas si conséquent », estime Gilles Richard (UFCC).
Deux secteurs forts : la pharmacie et la cosmétique
VOS INDICES
source
612.5 -2.93
Février 2023
Phosphate diammonique (DAP)
$ USD/tonne
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Cours des matières premières importées - Pétrole brut Brent (Londres) en euros
€/baril
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Janvier 2023
Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 20.1 − Produits chimiques de base, engrais, Produits azotés, plastiques, caoutchouc synthétique
Base 100 en 2015
Quand on regarde le portefeuille de produits distribués, le commerce chimique peut à la fois concerner des produits de commodités (acides, bases, solvants, etc.) ou de spécialités (ingrédients actifs, additifs fonctionnels, etc.). « En volumes, le marché français de la distribution chimique est composé pour environ 60 % de commodités et 40 % de spécialités », détaille Gilles Richard. Avant de compléter : « Il faut noter que le secteur du commerce de spécialités est dynamique en France ». Une tendance qui s'explique notamment par la présence d'un tissu industriel très diversifié en marchés aval.
Parmi les secteurs les plus importants au niveau français, il y a ceux de la pharmacie et de la cosmétique. Sur ces secteurs, Unipex Solutions, qui compte 80 salariés, fournit des intermédiaires de synthèse, des API, des excipients, etc. Le groupe qui enregistre un chiffre d'affaires annuel de 85 millions d'euros (dont 75 % en France) réalise 36 % de ses ventes en pharmacie et 30 % en cosmétique. « Si le marché de la cosmétique est en croissance, la pharmacie est un marché qui stagne », indique Patrice Barthelmes, président d'Unipex Solutions. Ces deux marchés sont également prépondérants pour IMCD France : « Notre division la plus dynamique est celle des sciences de la vie, avec laquelle nous réalisons plus de la moitié de notre chiffre d'affaires en France », indique Yvan Marguier, président d'IMCD France. Comptant 140 salariés, la filiale française d'IMCD, autrefois connu sous le nom de SPCI, est l'une des plus importantes et anciennes entités du groupe néerlandais. Affichant 96 M€ de chiffre d'affaires en 2015 sur l'Hexagone (sur un total de 466 M€ au niveau mondial), Safic-Alcan réalise 45 % de ses ventes via sa division Sciences de la vie. « La pharmacie et la cosmétique représentent respectivement nos 2e et 4e marchés », détaille Philippe Combette, président de Safic-Alcan. Avant de poursuivre : « De notre point de vue, la cosmétique est indéniablement le marché le plus porteur en France, du fait de la présence de leaders du marché sur le territoire ».
Outre les marchés de la pharmacie et de la cosmétique, les distributeurs de produits réalisent également leur chiffre d'affaires sur d'autres secteurs aval. C'est le cas de Safic-Alcan qui réalise 55 % de ses ventes françaises via sa division Produits de performance. « Notre marché le plus important est celui du caoutchouc, suivi par celui des revêtements », détaille Philippe Combette. C'est une activité historique à l'origine de la création du groupe. De son côté, Unipex réalise une partie de ses ventes sur les « spécialités industrielles » et l'agroalimentaire. « Nous proposons des produits tels que des peintures, des revêtements, des liants, des additifs ou encore des pigments pour la chimie de matériaux. Il s'agit d'une activité qui représente 24 % de nos ventes », précise Patrice Barthelmes (Unipex). Avant de continuer : « Mais il s'agit d'une activité qui souffre, en particulier le secteur du bâtiment ». Autre exemple avec DKSH France (44 salariés) qui connaît une dynamique positive sur des marchés de spécialités. « En ce qui concerne les marchés aval, l'automobile est particulièrement dynamique. Le secteur des peintures et encres est également porteur en raison de leur utilisation dans de multiples applications telles que l'emballage ou le luxe », indique Hugues Rousseau, responsable de l'activité chimie industrielle de DKSH France. La filiale française du groupe suisse spécialisé dans les produits chimiques venant d'Asie a connu une bonne année 2015 en France, « avec une croissance à deux chiffres ».
La France, un pays à fort potentiel d'innovation
Du point de vue de plusieurs acteurs du commerce chimique, le marché français est caractérisé par certaines spécificités. Tout d'abord, il s'agit d'un pays où la R&D et l'innovation tiennent une place importante. « Nos clients sont à l'affût de produits innovants et de solutions techniques de pointe. Cela peut s'expliquer par la question de la compétitivité vis-à-vis de l'Asie : pour pallier une structure de coût plus importante, les acteurs français veulent se différencier en proposant de l'innovation », affirme Philippe Combette (Safic-Alcan). Un propos nuancé par Yvan Marguier (IMCD France) : « Je pense que la capacité d'innovation est insuffisante au niveau français : les industriels manquent de ressources pour investir dans l'innovation. Ce qui limite la compétitivité des entreprises françaises, alors qu'elle bénéficie d'un tissu industriel intéressant ».
En outre, la France est un pays européen en fort développement en ce qui concerne la chimie du végétal. Ce qui pourrait se traduire par une demande accrue en produits chimiques biosourcés et/ou biodégradables dans les secteurs en aval. « L'évolution de la demande en ingrédients biosourcés ou durables est variable en fonction des marchés aval. Par exemple, la demande est croissante en cosmétique, et l'agroalimentaire commence à s'y mettre. En revanche, ce type de demande n'est pas du tout à l'ordre du jour en pharmacie en raison des exigences de sécurité sanitaire », détaille Patrice Barthelmes (Unipex).
Avant d'ajouter : « Le développement des alternatives biosourcées et durables de produits chimiques habituellement issus du fossile ne se fera que si leur prix est suffisamment compétitif ». Pour Yvan Marguier, les produits issus de la chimie verte ou du végétal « ne constituent pas la révolution annoncée, mais une approche complémentaire attractive aux produits traditionnels ».
Un système réglementaire lourd
Cependant, la France ne possède pas que des bons côtés. Elle se distingue notamment par son système réglementaire lourd, qui peut potentiellement nuire à la distribution chimique. « La France est un pays où l'ensemble des marchés aval sont bien représentés, mais où la réglementation est très drastique », constate Yvan Marguier (IMCD France). Une observation appuyée par Patrice Barthelmes (Unipex) : « Les exigences sont très fortes en France dans la plupart des secteurs aval ». De plus, le système fiscal français pénalise tout de même les acteurs implantés en France. « Le pays a tout pour réussir, que ce soit pour son positionnement géographique, ou encore pour le niveau de ses ingénieurs de recherche. Malheureusement, le poids des charges limite cette réussite », estime Philippe Combette (Safic-Alcan).
Selon l'UFCC, l'évolution du secteur français de la distribution de produits chimiques en 2015 sera probablement similaire à celle de 2014 lorsque l'on connaîtra les chiffres de la profession. Les prévisions pessimistes de l'évolution du marché national du commerce chimique et les différents freins (règlementaires, fiscaux) n'empêchent pas les acteurs d'y prévoir de la croissance. « Plusieurs marchés aval permettront au secteur français du commerce chimique de renouer avec la croissance : le bâtiment, l'aéronautique, la cosmétique et la pharmacie », estime Gilles Richard (UFCC). La construction qui est un des axes privilégiés par Safic-Alcan pour développer son activité en France. « Nous avons déterminé trois principaux secteurs aval qui vont constituer des relais de croissance en France dans les années à venir : la construction, la détergence et les lubrifiants », liste Philippe Combette. Un secteur auquel Unipex prévoit de s'attaquer. « Nous sommes persuadés qu'il y a la possibilité d'avoir certains leviers de croissance dans le secteur du bâtiment », indique Patrice Barthelmes. Outre le secteur des lubrifiants pour lequel il a inauguré un laboratoire d'application (voir ci-dessus), IMCD France compte également se développer au travers de ses marchés forts en pharmacie, cosmétique et nutrition. « Nous nous sommes fixé comme objectif de générer une croissance de 5 à 6 % par an dans les années à venir », précise Yvan Marguier. Enfin, la société DKSH souhaite se développer en proposant des produits de niche, notamment en pharmacie/cosmétique et les produits de performance. « DKSH essaie par exemple de promouvoir des produits issus de la chimie du végétal. Nous proposons également des produits très spécifiques, comme les encres de sécurité pour les billets de banque », indique Hugues Rousseau.
La France demeure donc un marché important pour les acteurs européens du commerce chimique, dont la demande en produits chimiques sera a minima constante dans les années à venir. « Nous sommes tout de même optimistes pour l'avenir du marché français. Nous pensons que l'importation de produits chimiques dans l'Hexagone devrait s'accroître parallèlement à la croissance de la population et de leur demande de solutions sur les marchés aval », conclut Gilles Richard (UFCC).
En volumes, le marché français de la distribution chimique est composé pour environ 60 % de commodités et 40 % de spécialités.
« Au regard du positionnement et de la taille du pays, la France tient le haut du panier européen en ce qui concerne le commerce chimique ». Gilles Richard, délégué général de l'UFCC
« Le développement des alternatives biosourcées et durables de produits chimiques ne se fera que si leur prix est suffisamment compétitif ». Patrice Barthelmes, Unipex.
-2,7 % Évolution du chiffre d'affaires du secteur français du commerce chimique en 2014 15 % Part de l'exportation du marché français de la distribution chimique 3 300 Nombre d'employés du secteur du commerce chimique en France
Les distributeurs inquiets pour l'échéance 2018 de ReachAu 31 mai 2018, la dernière phase du règlement européen sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et la restriction des produits chimiques (Reach) entrera en vigueur. Elle concerne les entreprises mettant sur le marché ou utilisant de 1 à 100 tonnes de substances chimiques. Une échéance qui pourrait avoir des conséquences sur le secteur du commerce chimique, comme l'indique Gilles Richard, délégué général de l'UFCC : « Les acteurs que nous représentons sont inquiets de cette nouvelle réglementation, qui pourrait conduire à l'arrêt de commercialisation de certains produits ». « Les acteurs réfléchissent actuellement aux produits qu'ils continueront de commercialiser ou non, en fonction de l'équilibre entre le coût nécessaire à l'enregistrement et la rentabilité de la vente de tel ou tel produit », explique Yvan Marguier, président d'IMCD France. « Nous nous préparons déjà à l'échéance 2018 », soutient Philippe Combette, président de Safic-Alcan. Avant d'ajouter : « Nos équipes techniques se veulent proactives et ont déjà recensé toutes les substances visées par la réglementation. Nos ingénieurs sont en contact permanent avec nos clients pour leur proposer des solutions alternatives aux produits classés SVHC (Substances extrêmement préoccupantes) ». Si les produits concernés par cette problématique sont minoritaires, le choix des distributeurs pourrait être néfaste à certains utilisateurs aval, qui n'ont pas forcément de produits de substitution. « Des pistes de solutions sont évoquées comme par exemple le regroupement de portefeuilles entre plusieurs acteurs du commerce chimique », indique Gilles Richard.
LE NÉGOCE CHIMIQUE SUR DE BONS RAILSLe groupe Xerfi, institut privé spécialisé dans les analyses économiques sectorielles, a publié ses prévisions concernant le marché national du négoce chimique* en 2015-2016. Selon l'étude parue en août 2015, les spécialistes du secteur devraient voire leur chiffre d'affaires s'accroître de 2 % en 2015 et en 2016. Une prévision optimiste qui s'explique selon le groupe Xerfi par « un rebond de la demande domestique et de la croissance des exportations, qui compenseront largement le recul des prix ».En outre, les opérateurs du secteur bénéficieraient d'un contexte favorable en 2015-2016. Selon l'étude, les acteurs profiteront du retour de la croissance dans la production manufacturière, de la baisse de l'euro (favorisant les exportations hors zone euro) et du repli du cours du baril (baissant les coûts de production). En ce qui concerne les marchés en aval, le marché français du négoce chimique serait porté par la demande croissante de l'industrie agroalimentaire et celle de la pharmacie. Cependant, les experts du groupe Xerfi notent que la morosité du secteur de la chimie ainsi que la limitation réglementaire imposée aux produits pesticides devraient avoir un impact négatif sur le marché. Enfin, l'étude estime que la croissance externe des spécialistes du négoce chimique devrait se poursuivre à l'international dans la lignée de 2014, en particulier dans les pays émergents où la demande en produits évolue de concert avec l'industrialisation. *activité regroupant le stockage, le conditionnement,la distribution et les services liés à la vente de produits (formation, formulation, etc.)
3 questions à YVAN MARGUIER, président d'IMCD France.« Le métier de distributeur ne se résume pas qu'au stockage et au transport »Depuis plusieurs années, le groupe IMCD s'appuie sur des laboratoires d'applications pour satisfaire les exigences des clients. Une approche qui s'inscrit pour le dirigeant comme une évolution du métier de distributeur.
Infochimie Magazine : Depuis plusieurs années, le groupe IMCD a mis en place un réseau de laboratoires d'applications. Pour quelle raison ? Yvan Marguier : Étant spécialiste du commerce de produits chimiques de spécialités, le groupe était parfois confronté à des demandes spécifiques de formulation émanant des clients. Des besoins qui sont différents selon les problématiques de chaque marché en aval, auxquels IMCD répond avec une équipe qualifiée. Pour répondre à cette exigence, nous avons donc ouvert des laboratoires d'applications de proximité pour élaborer, en collaboration avec le client, des solutions à façon. Le métier de distributeur de produits chimiques ne se résume pas qu'au stockage et transport, mais il intègre également la fourniture de services en conseil et en optimisation de formulation, par le biais d'un seul et unique interlocuteur. Vous avez ouvert un laboratoire dédié aux lubrifiants à Paris en novembre dernier. Pourquoi avoir opté pour ce type de spécialités en particulier sur le marché français ? Y.M. : Il s'agissait d'une opportunité pour renforcer l'offre technique d'IMCD à destination des clients et des fournisseurs notamment pour les applications dans l'automobile et le travail des métaux. Ce centre, comme les autres du réseau IMCD permettra de fournir des prestations de services de caractérisation de produits, d'optimisation et de production d'échantillons. Il va ainsi aider à mieux comprendre les synergies entre formulations et additifs, tout en faisant la promotion du portefeuille d'huiles de base et des autres produits de spécialités d'IMCD. Il permettra également de prodiguer des formations spécifiques dans ces domaines d'application. Envisagez-vous de renforcer le réseau français de laboratoires d'applications dans les années à venir ? Y.M. : Le réseau d'IMCD comprend actuellement 26 laboratoires d'applications pour mieux servir les clients dans le monde. Outre le centre dédié aux lubrifiants, la France héberge déjà des centres de ce type pour les secteurs aval de la cosmétique et des peintures et revêtements. Le marché français de la nutrition étant en forte progression, ces dernières années, nous réfléchissons à implanter un laboratoire dédié à la nutrition, pour nous rapprocher de nos clients, en particulier les PME et les ETI innovantes.
Propos recueillis par Dinhill On