Procès AZF : la thèse officielle ne tient pas

La fédération française des sciences pour la chimie ne croit pas à l'hypothèse officielle d'un mélange détonnant au DCCNa, privilégiée par l'accusation pour expliquer l'explosion du 21 septembre 2001.
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Procès AZF : la thèse officielle ne tient pas
Un consensus émerge au sein des scientifiques qui observent le procès : la thèse développée par l'accusation pour expliquer l'explosion suite à l'instruction, celle du « sandwich au DCCNA », ne tient pas. Au terme de cinq années d'investigations, les experts judiciaires avaient conclu dans leur rapport final, remis le 16 mai 2006, à un accident chimique provoqué par la mise en contact, vingt minutes avant l'explosion, de DCCNa, le chlore que l'on met dans les piscines, avec une demi-tonne de nitrate d'ammonium, déversés sur un tas de 300 tonnes de nitrate d'ammonium.

François Rocquet, ingénieur chimiste et délégué général de la Fédération française des sciences pour la chimie (FFC), le dit au nom de tous les membres de sa fédération : dans des conditions industrielles, celles d'un hangar manipulé « à la louche », cela n'est pas possible. « Au contact de DCCNa, d'eau et de nitrate d'ammonium se forme du trichlorure d'azote », explique-t-il « qui est un détonant ». Pour que cela puisse détonner, « il faut au moins un kilo de DCCNa, de l'eau, et attendre un peu. Puis ajouter du nitrate. C'est réalisable dans des conditions en laboratoire. Mais on ne peut pas trouver ces conditions industriellement», affirme-t-il. « Il faut mélanger avec précision dans l'eau comme quand on fait du ciment » illustre-t-il encore, pédagogue. Or « sur un tas de 150 kg de sable, comme cela a été le cas dans le hangar 221/222 à Grande Paroisse », verser un mélange homogène « d'1 kg de DCCNA et d'un peu d'eau semble impraticable », dit-il.

« C'est impossible de faire ça dans une usine, quand on manipule ces composés avec un schuler [machine roulante comportant une benne devant, servant à pousser les produits] » souligne-t-il à nouveau. « Et ça je ne le dis pas tout seul, je le dis au nom de ma fédération, je n'ai pas sorti ça de mon chapeau ». Le délégué général, qui a effectué une longue carrière de chimiste l'ayant mené à exercer chez Rhône Poulenc, Pechiney, Total, Atofina, et à enseigner à l'université Paris 6, s'explique. A ses côtés, les chimistes de la FFC ont planché sur les causes de la catastrophe, bibliographie des plus récentes «sur les propriétés du nitrate d'ammonium et la stabilité des nitrates » à l'appui.

Un point de vue d'autant plus précieux que la FFC rassemble des scientifiques aux spécialités très diverses (catalyse, synthèse, métallurgie, biotechnologies...) plutôt indépendants : il s'agit d'universitaires, du CNRS ou d'autre laboratoire publics, et de laboratoires privés, dont la plupart des représentants n'exercent plus dans le cadre de leurs activités industrielles, ou sont à la retraite. Des personnes aptes à parler de façon ouverte, franche et sans contraintes.

Consensus. Au-delà de la FFC, nombre de personnalités du monde de la science s'étaient insurgées dès 2004 contre le manque de rigueur scientifique caractérisant la démarche des experts judiciaires qui avaient privilégié la piste du DCCNa. Bernard Meunier, président du CNRS de 2004 à 2006, professeur à l'Ecole polytechnique et membre de l'Académie des sciences, a ainsi écrit au juge d'instruction en 2004 rappelle Jean-Christian Tirat dans son ouvrage « AZF, l'enquête assassinée ». L'association pour la promotion de la recherche de l'industrie et du développement durable (Aprid) a émis à la même époque une pétition signée par plus d'un millier de personnes dont le président de la Société française de chimie, les présidents des universités de Toulouse-Le Mirail, Marseille, Strasbourg, Rennes et Lille et de quatre universités parisiennes, et celui de l'Institut national polytechnique de Toulouse.

Plus récemment, Michel Bouchardy, membre de la CFE-CGC chimie et partie civile au procès, a réaffirmé ces derniers jours qu'il s'emploierait à « démonter la thèse officielle » des traces de chlore ayant provoqué l'étincelle de l'explosion, et à « montrer que l'usine grande paroisse n'était pas une usine poubelle ». Si les scientifiques semblent désormais sûrs que le DCCNa n'est pas à l'origine de l'explosion, personne ne peut aujourd'hui prouver ce qui a pu provoquer la détonation. Rien ne garantit que le procès y parvienne au bout des quatre mois.

Les autres pistes. Outre cette hypothèse issue de l'instruction, de nombreuses pistes ont été évoquées durant les 5 années de l'instruction et les deux dernières années : l'arc électrique, l'explosion gazeuse suite à une fuite d'UDMH (thèse développée dans l'ouvrage de Jean-Christian Tirat), l'explosion du fait de l'énergie apportée sous le tas de nitrate par des conduites d'eau sous pression, suite à des phénomènes électriques antérieurs (thèse développée dans l'ouvrage de Daniel Dissy), le terrorisme... Une première explosion survenue 8 secondes avant celle de l'usine Grande Paroisse le 21 septembre 2001, relayée par de nombreux témoignages, attire également l'attention. Des pistes que le président du tribunal compte toutes examiner.

Au cours du procès, trois audiences seront consacrées à l'hypothèse d'un événement antérieur à l'explosion telle que la cause naturelle (météorite, foudre), un phénomène électromagnétique, la thèse électrique, l'explosion de poussières et d'atmosphère ou encore l'accident industriel préalable.

Par ailleurs, quatre autres audiences seront consacrées à la piste intentionnelle. Une "note blanche" des Renseignements généraux et la "rumeur dans le contexte de l'après 11-Septembre" seront aussi abordées. De plus, une audience présentera "les incidents de la veille et ceux du jour même de l'accident entre les chargeurs et les chauffeurs routiers". Une autre audience s'intéressera à Hassan Jandoubi, l'homme qui avait été retrouvé mort sur les lieux de l'explosion avec plusieurs couches de sous-vêtements sur lui.

Le procès devrait donc permettre "de mettre à plat toutes les hypothèses", comme l'a promis Richard Bometon, procureur de la république adjoint. « Aucune ne sera exclue », avait-il précisé à l'ouverture du procès, ajoutant : « Nous allons avancer pas à pas et explorer toutes les pistes ». Une gageure pour les parties civiles, alors que la deuxième semaine du procès a laissé la place au témoignage bouleversant des familles des victimes. Dès leur première audience, aux côtés la souffrance qu'elles ont rendue palpable, affleurait une demande : connaître « la vérité » sur les causes de l'explosion.

Ana Lutzky

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