Pourquoi les serveurs de Starbucks sont libres de jeter des cafés

Le cabinet de conseil Bain and Company a publié une étude "l'alchimie de l’enthousiasme". Il en ressort que l’engagement des salariés est un puissant levier pour la satisfaction des clients. Domenico Azzarello, associé du bureau français, revient pour nous sur les résultats de cette étude : le succès passe par davantage de responsabilités données à la base.

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Pourquoi les serveurs de Starbucks sont libres de jeter des cafés

L'Usine Nouvelle - Vous venez de publier un article qui relie l’enthousiasme des salariés à la satisfaction des clients. Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur ce sujet ?

Domenico Azzarello - Nous travaillons depuis plusieurs années sur la fidélité des clients, avec comme question sous-jacente, comment améliorer la relation client pour qu’elle participe aux performances de l’entreprise. Un client heureux sera fidèle, convaincra ses relations, dépensera plus. Nous nous sommes intéressés au rôle de ceux que nous appelons les promoteurs, c’est-à-dire les personnes qui sont prêtes à recommander un produit ou un service. Les entreprises qui ont augmenté le nombre de leurs promoteurs sont celles qui augmentent le plus leurs performances.

En étudiant les moyens d’augmenter le nombre de fans, nous avons établi que le facteur le plus important était le niveau d’engagement des salariés, leur enthousiasme.

Cela veut-il dire que si, dans une usine, les gens sont contents de travailler, le produit se vendra mieux ?

Nous n’arrivons pas encore à ce type de résultat. En revanche, ce que je peux dire c’est que plus les employés sont globalement engagés, plus les clients sont enthousiastes. Ou, pour prendre une entreprise de services, si vous comparez deux agences bancaires, celle où il y a le plus de promoteurs sera celle où les salariés sont les plus engagés.

Disposez-vous de données internationales pour comparer les niveaux dans différents pays ? Comment se situe la France ?

Nous avons fait des études dans plusieurs pays : nous calculons la proportion de salariés qui sont prêts à recommander leurs entreprises auprès de leurs proches. En France, les résultats ne sont pas très bons. Ils se situent bien en dessous de ce qu’on observe notamment dans les pays d’Amérique du Nord.

Ceci étant, ce que nous avons observé partout, c’est une relation décroissante entre la CSP de la population étudiée et le taux de recommandation. Plus on descend dans la hiérarchie, plus les résultats sont mauvais.

Avez-vous identifié les facteurs nécessaires à réunir pour avoir davantage de promoteurs parmi ces salariés ?

Il faut d’abord que le salarié soit satisfait. C’est un prérequis. Cela veut dire qu’il doit évoluer dans un environnement où il rencontre une sécurité physique et émotionnelle, percevoir un salaire juste par rapport à ce qu’il fait, et avoir les moyens de mener sa tâche à bien. S’il n’a pas un de ces trois éléments, il transmettra une vision négative de son entreprise.

Ensuite, pour passer de satisfait à promoteur, il faut réunir des conditions supplémentaires : trouver du sens à son travail, être autonome, se sentir reconnu et enfin être en situation d’apprendre et de pouvoir grandir professionnellement.

Comment font les entreprises pour donner ces éléments aux opérateurs ? Cela est-il possible ?

Chez Starbucks, par exemple, la direction a travaillé pour donner du sens au travail des baristas. Leur mission n’est pas de vendre ni de servir un café, mais de faire plaisir au client. Pour cela, ils ont les coudées franches, ils disposent d’une autonomie. S’ils pensent que le café est mauvais, ils peuvent en refaire un autre. Personne ne leur en tiendra grief. Ils reçoivent par ailleurs une formation sur le café. Autre exemple : dans les centres d’appels, les études empiriques montrent que si on donne la main à l’opérateur qui répond pour résoudre les litiges, au lieu qu’il en réfère à un supérieur, le taux satisfaction grimpe de 20 à 30 points. Cela dit, c’est un processus long, qui demande du temps.

C’est donc la politique des ressources humaines qu’il faut revoir de fond en comble ?

La question de la motivation est trop souvent perçue comme une problématique trop strictement RH. Mon métier me conduit à assister à des comités exécutifs. Trop souvent, quand le baromètre chute, le PDG demande à son DRH ce qui se passe, ce dernier répond et la discussion est close. Or, les leviers concernent le management de l’entreprise, ce n’est pas une question RH au sens strict.

En outre, les baromètres de climat social comptent entre 50 et 200 questions. Ce surplus d’information finit par tuer l’information. On a des résultats qu’on ne sait plus interpréter.

Concrètement, de quelle manière le management doit changer ?

Je vous donnerai deux exemples. Le premier concerne Jetblue, une compagnie aérienne aux Etats-Unis. Entre nous, je l’ai souvent prise, et le personnel de bord est vraiment formidable, aux petits soins pour ses clients. Pour arriver à ce résultat, la compagnie a beaucoup recruté des pompiers, des ex infirmières, des policiers, c’est-à-dire des personnes vraiment soucieuses des autres. Autrement dit, si on veut des salariés qui s’intéressent aux clients, il faut bien réfléchir à qui l’on va recruter.

Un autre exemple concerne la manière de rendre explicite le travail des employés face au client. Je pense à une entreprise qui après un achat envoie un SMS au client pour lui demander s’il recommanderait ou non l’entreprise. Les résultats sont ensuite envoyés chaque soir à l’équipe avec les résultats d’autres équipes. Cela ne sert pas à calculer une part variable, mais le chiffre est donné pour l’amélioration continue des uns et des autres. Certaines entreprises demandent même au vendeur de rappeler la personne pour lui demander ce qui s’est ou ne s’est pas bien passé.

Un tel process donne de bien meilleurs résultats qu’une enquête semestrielle qui tombe de la direction générale sans explication. Si le salarié perçoit l’impact de ce qu’il fait, il va mettre en place des actions pour améliorer ses résultats. Comme dit un de nos associés, je suis persuadé que les salariés veulent bien faire. Il faut leur donner des responsabilités. C’est comme cela que l’on crée de l’enthousiasme, pas autrement.

Propos recueillis par Christophe Bys

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