Pourquoi la « suprématie quantique » qu'aurait atteinte Google représente un vrai tournant
La fuite révélée par le Financial Times le 20 septembre d'un rapport de chercheurs de Google présentant la démonstration de la supériorité de leur puce quantique Sycamore de 54 qubits sur le supercalculateur Summit a suscité un émoi certain. Et pour cause : ces travaux, qui restent à confirmer, marquent une étape majeure pour la seconde révolution quantique.
Mis à jour
25 septembre 2019
La litanie d'annonces d' « étapes majeures » et autres « percées» en matière d'ordinateur quantique ces dernières années pourrait conduire à n'y voir qu'un autre « coup de com ». Google aurait démontré la suprématie quantique, a révélé le Financial Times il y a quelques jours, déclenchant une avalanche de publications contrastées.
En matière de « com », pourtant, cela ressemble plutôt à un beau raté : c'est la publication, semble-t-il accidentelle puisque vite retirée, sur le site de la Nasa d'un rapport intitulé «Quantum Supremacy Using a Programmable Superconducting Processor » qui a mis le feu aux poudres. Google s'est depuis refusé à tout commentaire. Le géant américain paraît privé d'une annonce sensationnelle en bonne et due forme. Alors que son partenariat avec la Nasa, signé l'été 2018 et dévoilé en novembre dernier, se donnait précisément pour cap cette fameuse suprématie quantique.
Un test fondé sur des circuits quantiques aléatoires
Sur le plan scientifique et industriel, si ces travaux sont confirmés, c'est une autre affaire. Démontrer la suprématie quantique, c'est-à-dire parvenir à opérer un système quantique pour lui faire réaliser un calcul donné beaucoup plus rapidement qu'un ordinateur classique, représente bien un tournant. L'accélération des progrès ces dernières années, avec les efforts d'IBM, Google et Intel principalement, a souvent été tellement survendue qu'un résultat concret à la hauteur des espoirs suscités devenait urgent.
Le type de calcul servant à prouver la suprématie est finalement accessoire. Sans surprise, les chercheurs ont utilisé un «test» fondé sur des circuits quantiques aléatoires. Soit une séquence d'actions sur un ensemble de bits quantiques ou qubits – ici les 53 qubits supraconducteurs de la puce de Google baptisée Sycamore – emmenant ce système vers un état aléatoire parmi les 2 puissance 53 possibles. Un espace bien trop grand pour être exploré par un ordinateur classique. Les chercheurs affirment avoir montré la puissance quantique en échantillonnant avec leur puce la distribution de probabilités des états possibles et en vérifiant que cet échantillonnage était bien conforme aux résultats attendus.
200 secondes contre 10000 ans de calcul
Le tout à une vitesse bien supérieure à ce que pourrait faire le supercalculateur américain Summit . «Alors qu'il faut environ 200 secondes à notre processeur pour obtenir un échantillon du circuit quantique 1 million de fois, il faudrait environ 10 000 ans à un supercalculateur à l'état de l'art pour accomplir l'équivalent», écrivent-ils dans leur rapport.
Et de conclure : « Nous montrons que l'accélération quantique est réalisable dans un système réel et qu'aucune loi physique cachée ne l'empêche. » De quoi rendre très inconfortable la position des sceptiques de l'ordinateur quantique, s'amuse l'un des plus grands experts de l'informatique quantique, Scott Aaronson, sur son blog. De quoi, surtout, accélérer le mouvement du côté des décideurs, politiques, investisseurs et dirigeants d'entreprises, alors que la course à la seconde révolution quantique est engagée. Son enjeu ? La souveraineté technologique en matière de calcul, télécommunications, chiffrement et capteurs de pointe...
Course entre nations
La Chine avance en grands pas, avec de beaux succès dans les télécommunications quantiques et la mobilisation d'acteurs privés comme Alibaba. Les Etats-Unis ont lancé il y a un an jour pour jour leur stratégie nationale sur l’information quantique et adopté, en décembre 2018, le National Quantum Initiative Act qui prévoit notamment 1,2 milliards de dollars sur 5 pour financer la R&D. L'Europe a plus modestement financé fin 2018 20 projets de recherche avec quelque 130 millions d'euros pris sur l'enveloppe de 1 milliard d'euros sur dix ans du «flagship» quantique. Côté français, la députée Paula Forteza a été chargée en avril d'une mission sur les technologies quantiques, qui devrait nourrir un plan gouvernemental en préparation.
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