"Pour la première fois depuis le charbon, nous avons la chance d’avoir la matière sur notre territoire", selon le président de Federec

La Chine a interdit, en juillet, l’importation de 24 types de déchets. Pour Jean-Philippe Carpentier, président de la Fédération des entreprises du recyclage (Federec), c’est – une fois le choc absorbé – une formidable opportunité pour la France de se réindustrialiser et de transformer ses matières sur son territoire plutôt que de les exporter brutes.

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Au Havre, Morphosis recycle les téléphones portables usagés.

L'Usine Nouvelle : Comment les recycleurs ont-ils accueilli la décision chinoise d’interdire l’importation de certains déchets ?

Jean-Philippe Carpentier : Aujourd’hui encore, nous n’avons pas toutes les précisions sur l’étendue de la mesure chinoise. Nous savons qu’il y va y avoir une interdiction d’import de certains types de déchets, mais nous ne savons pas précisément lesquels ni quand cette interdiction va entrer en vigueur. Aujourd’hui ce n’est pas clair car ils ont interdit des codes-déchets. Par exemple, sur les plastiques, ce sont tous les types de plastiques qui sont interdits. Alors qu’il y a une différence entre mettre des plastiques en balles et les envoyer en Chine, ou fournir des films lavés, triés voire broyés.

Ça peut vouloir dire, demain, exporter uniquement des granulés de plastique régénéré vers la Chine ?

C’est ce que nous espérons, car ainsi l’activité se déroulera chez nous, avec des emplois chez nous et des capitaux européens. Ce que nous disons à la Commission européenne, c’est "aidez-nous à mettre en place une industrie et pas seulement un négoce de nos matières". Je pense que dès lors qu’on produira des produits de qualité, la Chine en autorisera l’importation.

Que cherche la Chine en imposant brusquement cette décision ?

La Chine souhaite remettre un peu d’ordre chez elle, et c’est tant mieux. Il y a là-bas des parcs de recyclage modernes qui sont sous-utilisés alors que des sites moins exigeants en termes de normes fonctionnent. Que la Chine revienne à des exigences environnementales plus conformes aux normes européennes, pour nous c’est une bonne chose, car on va pouvoir comparer les coûts de production.

Quel en est l’impact sur les prix de vente de vos matières ?

Il est important. En août, il n’y a pas eu de cotation sur certaines matières, faute de marché. Mais à court terme, il y a et il y aura encore des baisses de prix, donc des pertes de valeur pour les recycleurs français.

Quelles sont les solutions à ce blocage ?

Les solutions de traitement à court terme ne sont pas nombreuses. Les qualités qui ne vont pas partir en Chine, ce ne sont ni l’Inde, ni les Etats-Unis, ni l’Australie qui vont les prendre, et la valorisation énergétique n’est un pis-aller par rapport à de la valorisation matière.

Et à long terme ?

C’est une fantastique opportunité. Cela nous fait prendre conscience qu’on ne peut pas dépendre uniquement d’un pays, même s’il est le premier exportateur de produits manufacturés et donc a besoin de matières, mais aussi que nous devons produire des matières de qualité, y compris sur les flux difficiles comme les plastiques de DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques, Ndlr) ou les films plastiques. C’est une opportunité pour l’Europe de reconstruire une industrie du recyclage pour toutes les qualités de déchets, et pas seulement les meilleures. Pour cela que nous faut-il ? Un gisement et des débouchés.

Si vous avez le gisement et les débouchés, les recycleurs pourront-ils réinvestir dans leur outil industriel malgré des années difficiles avec une concurrence forte des matières vierges à bas prix ?

Le secteur a toujours investi, même dans les années difficiles. Depuis 2014, nous investissons environ 450 millions d’euros par an en France sur des process, du matériel. Quand les recycleurs savent qu’ils ont un gisement et des débouchés, ils remettent de l’argent car ils savent que la filière va être pérenne. Quant au prix des matières premières… Le pétrole reste à 50 dollars le baril, le minerai de fer remonte un peu mais il avait beaucoup baissé. Donc il faut faire deux choses. En amont, pour l’industrie auprès de laquelle nous nous approvisionnons en déchets, la valorisation matière doit être plus intéressante que l’enfouissement ou l’incinération. Tant qu’on aura un traitement fatal moins cher, l’industrie ira au plus simple car elle contrôle ses coûts. Et en amont, il faut qu’on puisse s’affranchir de ce prix des matières vierges. Pour cela, l’étude CO2 que nous avons menée avec notre logiciel doit permettre à terme de mettre en place un certificat de recyclage permettant de monétariser cette économie de CO2, les économies d’énergie et l’impact positif sur la santé et l’environnement. Et ce certificat de recyclage doit bénéficier à l’ensemble de la filière : aider ceux qui produisent des déchets à mieux les collecter pour les ramener dans la filière, aider les sociétés de recyclage à les traiter pour produire un déchet de qualité, et aider ceux qui utilisent la matière recyclée.

Vous voulez dire mettre fin à la querelle sur le recycleur final, qui touche les aides ? C’est ambitieux…

Exactement. On se trompe de bataille. Personne ne peut récupérer seul cette valeur. Il faut qu’on travaille en meute si on a l’objectif d’industrialiser la France et l’Europe. Sinon, on va se battre et s’épuiser, alors qu’on peut créer de la valeur pour tout le monde. Nous sommes chacun un maillon de la chaîne, et le maillon faible risque de casser et de remettre en cause le principe même de l’économie circulaire. Depuis le charbon, nous n’avons jamais eu la matière première sur notre territoire. Aujourd’hui, on a la chance de l’avoir. Soyons intelligents pour en partager la valeur.

Propos recueillis par Myrtille Delamarche

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