[Portrait] Jean-Marie Tarascon : des brevets en batterie

Jean-Marie Tarascon a déposé pas moins de 70 brevets dans le domaine des batteries. Retour sur son brillant parcours qui l’a mené des Bell labs, aux états-Unis, à la chaire de chimie du solide et de l’énergie au Collège de France.

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[Portrait] Jean-Marie Tarascon : des brevets en batterie

Cest dans son laboratoire du Collège de France, symbole de consécration scientifique, que Jean-Marie Tarascon nous reçoit. Sans se départir un seul instant de son humilité, il revient sur son parcours, en saisissant parfois un papier et un crayon pour mieux s’expliquer, à l’aide d’un schéma. Tout commence aux États-Unis, dans les années 1980. Après son post-doc à l’université de Cornell, il rejoint les fameux Bell labs. Le jeune homme se passionne déjà pour ce qui ne cessera de faire le sel de sa carrière scientifique : les échanges enrichissants avec ses confrères, qu’il considère comme sa seconde famille. « C’était formidable. Dans ces laboratoires, il y avait Don Murphy, une star dans le domaine des batteries. C’est à ce moment-là que j’ai fait de l’électrochimie. » Deux ou trois ans plus tard, Jean-Marie Tarascon se tourne vers les supraconducteurs qui suscitent alors un véritable engouement. « Mais dans les Bell Labs, on devait effectuer des recherches sur les batteries, et il s’avère que l’on n’en faisait pas », raconte-t-il. On lui impose alors, s’il souhaite rester, de réorienter son travail sur les batteries. Il accepte et intègre Bellcore, une entité spécialisée dans la téléphonie, où il met en place une équipe. « On travaillait à 50 % sur les technologies classiques, comme le plomb, pour aider les compagnies sur le stockage, et à 50 %, de manière plus libre, sur les nouvelles technologies. »

Pendant quatre ans, Jean-Marie Tarascon planche sur une batterie plastique au lithium. « À l’époque, on cherchait des technologies plates. Les solutions existantes impliquaient d’intégrer les électrolytes dans des boîtes sèches. Je discutais souvent avec Paul Warren, un collègue spécialiste des polymères qui était chef d’un département. Il a fini par quitter son poste pour venir travailler avec moi. » Ensemble, ils ont l’idée de s’affranchir des boîtes sèches, en extrayant le liquide d’un plastique pour y intégrer à la place l’électrolyte liquide. Facile à manier et rapide à produire, la technologie séduit plusieurs industriels. Toutefois, les chercheurs n’en tireront guère de bénéfices financiers. « On en retrouve pourtant tous les ingrédients dans les batteries, comme les séparateurs ou les familles de molécules, présents dans tous les électrolytes aujourd’hui », souligne-t-il.

L’inventeur d’une technologie sodium-ion alternative

Des années plus tard, les batteries lithium-ion sont devenues omniprésentes, au point que plusieurs experts s’inquiètent d’un risque de pénurie. En 2010, Jean-Marie Tarascon s’investit dans la recherche d’alternatives. Avec Rosa Palacin, une collègue espagnole, il explore une piste qui avait eu son importance dans les années 1980 avant d’être délaissée : le sodium. Avec notamment la mise au point de nouveaux oxydes d’électrodes négatives et des électrolytes appropriés. En 2011, il participe à la création du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E), regroupant des laboratoires de recherche, des centres de transferts et des industriels. Il y insuffle son désir de développer une technologie sodium-ion originale. « Deux laboratoires universitaires du RS2E, situés à Bordeaux et Amiens, se sont ensuite joints à nous pour la développer plus rapidement. » Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) se rallie aussi et, en 2013, réalise les premiers prototypes de batteries sodium-ion. Le réseau donne alors naissance à une spin-off, Tiamat.

« Notre originalité, c’est de ne pas avoir appliqué bêtement ce qu’on avait expérimenté pour le lithium-ion, dominé par l’utilisation de composés lamellaires. Nous nous appuyons sur d’autres matériaux, les polyanioniques, couplés au carbone. Je pense que nous avons fait un choix judicieux et que notre stratégie a été la bonne. » Sa technologie, plus encombrante du fait de la taille des ions sodium, mais plus performante dans la charge et décharge, n’a pas vocation à remplacer l’indétrônable batterie lithium-ion. « Quoi que vous fassiez, jamais un accumulateur sodium ne sera plus performant qu’un accumulateur lithium en termes de densité d’énergie, tranche Jean-Marie Tarascon. Pour parcourir la même distance, il faudra au sodium un volume plus grand. » C’est la raison pour laquelle le sodium aura des applications là où la place n’est pas un problème, comme le renouvelable ou le stockage de masse. Il existe aussi certaines applications de niche dans les véhicules électriques, qui nécessitent de la puissance au démarrage, comme le système 48 V ou le start & go.

Pour le moment, Tiamat ne développe qu’une seule technologie. « Bien sûr, tout cela est évolutif, et il y a des recherches pour mettre au point la nouvelle génération, assure Jean-Marie Tarascon. Le sodium-ion va évoluer, notamment au niveau des matériaux des électrodes positives. Aujourd’hui, le polyanionique est le rêve. Mais est-ce qu’on ne pourrait pas trouver un composé lamellaire qui pourrait le battre ? On y travaille… »

Et côté industrialisation ? Les lignes de production du lithium et du sodium ont très peu de différences. « Là est le risque de lancer une PME ou une spin-off…, ajoute le professeur, moins à l’aise en matière de stratégie industrielle que d’invention. Lorsque les grosses compagnies vont décider de développer le sodium-ion, je pense que, mis à part le savoir-faire, ils auront les lignes et pourront rapidement obtenir des produits corrects. » Tiamat pourrait alors évoluer avec un industriel, par exemple dans le cadre d’une coentreprise.

Des électrolytes adaptés

L’équipe de Jean-Marie Tarascon cherche à développer des alternatives au lithium grâce à des électrolytes adaptés à des piles sodium-ion intégrant des composés polyanioniques couplés au carbone. L’acidité du lithium étant différente de celle du sodium, il faut en effet maîtriser les réactions chimiques et électrochimiques survenant au niveau des interfaces – qui permettent de contrôler la durée de vie et les propriétés des batteries – pour qu’elles n’empêchent pas les réactions catalytiques.

 

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