Pas de pénurie mais un approvisionnement difficile
Pour le traditionnel dîner-débat de l'Union nationale des associations françaises d'ingénieurs chimistes (Unafic), Alain Thuillier, président, et Régis Poisson, vice-président, ont choisi le thème des terres rares. Une occasion de revenir sur les raisons de la crise de 2010 et l'explosion des prix.
Les terres rares ou lanthanides forment un groupe de 15 éléments métalliques dans la classification périodique, du numéro atomique 57 à 71, auxquels on a coutume d'ajouter le scandium et l'yttrium. Ils se divisent en deux sous-groupes : les terres légères (La, Ce, Pr, Nd, Sm, Eu) et les terres lourdes (Y, Gd, Tb, Dy, Ho, Er, Tm, Yb, Lu), avec des prix autour de 5 $/kg pour des terres légères comme le La ou le Ce et de l'ordre de 1000 $/kg pour le Tb ou Eu. Comme leur nom ne l'indique pas, ces terres rares sont relativement répandues dans la croûte terrestre, principalement dans deux types de minerais, la bastnaésite et la monazite. Toute la difficulté réside dans la séparation de chaque composé. Selon Alain Rollat, Technology Development Manager de Solvay Rare Earth, qui s'exprimait à l'occasion du dîner-débat de l'Unafic le 26 novembre dernier à la Maison de la Chimie, « les réserves mondiales sont évaluées entre 110 et 150 millions de tonnes dans le monde, pour une consommation estimée entre 150 000 et 180 000 tonnes en 2018 ». Il n'y a donc pas de problèmes de réserves. En revanche, la crise majeure que nous avons connue en 2010 est à attribuer à des problèmes d'approvisionnement. A cette époque, la Chine qui était devenue le principal producteur de terres rares a décidé de diminuer brutalement de 40 % ses exportations, entraînant une flambée des prix (le Nd est passé de 15 $/kg en 2009 à 300 $/kg en 2011). Cependant, cela a eu pour conséquence positive l'éclosion de nombreux projets miniers à travers le monde. « Nous en avons dénombré plus de 50 hors de Chine », a déclaré Alain Rollat. Tous ne verront pas le jour, mais deux projets de terres rares légères sont déjà sur les rails à Mountain Pass aux États-Unis et à Mount Weld en Australie à l'horizon 2017. « Les projets de terres rares lourdes, plus complexes, prendront plus de temps avec un démarrage au-delà de 2017 », estime Alain Rollat.
Le rôle clé des orbitales 4f
VOS INDICES
source
Les propriétés des terres rares sont attribuées à leur configuration électronique particulière, avec la présence d'orbitales 4f pouvant contenir jusqu'à 14 électrons. Et à mesure que cette sous-couche se remplit d'électrons, le rayon de l'atome correspondant diminue, c'est ce que l'on appelle la contraction lanthanidique. « Ces composés ont une chimie monotone, mais la physique est très spéciale », a expliqué Jacques Lucas, professeur émérite à l'université de Rennes 1, membre de l'Académie des Sciences, et spécialiste de la chimie du solide, listant les principales applications. Sous formes d'alliages, les lanthanides permettent la production d'aimants permanents (Néodyme, Dysprosium). Ces composés sont aussi utilisés en luminescence (Cérium, Europium, Terbium) dans les lampes basse consommation ou comme colorants (Praséodyme).Le Cérium trouve de larges applications en catalyse dans la dépollution automobile et dans le polissage du verre ou des puces électroniques CMP (chemical mechanical polishing). Jacques Lucas a enfin cité le rôle primordial du Lanthane dans les batteries. Au total, les nouvelles batteries des véhicules électriques contiendraient pas moins de 15 kg de terres rares !
Le groupe Solvay est l'un des grands producteurs mondiaux de lanthanides. Il dispose de deux unités d'extraction en Chine (voie chlorure) et à la Rochelle (voie nitrate). Le groupe a choisi de ne pas se positionner sur le marché à gros volume des aimants, pour privilégier le polissage CMP, les luminophores ou la catalyse. « Si l'on veut résister à la Chine, il faut être dans les produits de performance et pas dans les commodités, avec une R&D forte qui tire l'ensemble de l'activité », analyse Alain Rollat. Et depuis peu, Solvay s'intéresse au recyclage des terres rares. « Le marché est tiré par les besoins en Nd, Pr et Dy. Si l'on veut satisfaire les besoins pour ces trois lanthanides, tous les autres seraient en excès de 40 000 t/an » justifie Alain Rollat. Par exemple, Umicore travaille sur le recyclage de terres rares en parallèle du nickel dans les batteries nickel-hydrure métallique en collaboration avec Solvay. De son côté, Solvay récupère des poudres de terres rares mises en décharge par les sociétés de recyclage de lampes basse consommation qui s'intéressent en priorité au verre, mercure et plastiques. « Cette poudre est envoyée à Saint-Fons pour lui enlever le verre et le mercure résiduel. Puis à La Rochelle où elle subit un traitement de type matière première pour la production de nouvelles lampes », précise Alain Rollat.
Avec l'ouverture de nouveaux gisements et le démarrage d'initiatives dans le recyclage, les prix des terres sont désormais stabilisés. La crise est-elle pour autant derrière nous ? Rien n'est moins sûr compte tenu de la hausse des besoins en terres rares lourdes.