"Nous allons cofonder deux start-up digitales par an", révèle Lubomira Rochet, CDO de L’Oréal
Deux ans après la création de son poste, Lubomira Rochet, la Chief Digital Officer de L’Oréal, se confie à L’Usine Nouvelle. Comment le numéro un mondial de la cosmétique s'appuie sur Google et les bloggeuses, n'hésite pas à s'emparer ou créer des start-up du numérique, ou lance ses propres objets connectés pour réussir sa "transformation digitale"…
Deux ans après votre arrivée, quel bilan tirez-vous de la digitalisation de L’Oréal ?
Je suis absolument fascinée par la vitesse à laquelle cela va. C’est énormément dû au support que Jean-Paul Agon [le PDG, ndlr] et le Comex donnent à cette transformation digitale, et à la culture de L’Oréal, basée sur l’appétence individuelle et l’entreprenariat. La partie émergée de l’iceberg, c’est l’accélération du e-commerce, qui est passé de 60 millions d'euros de ventes en 2010 à 1,3 milliard d’euros en 2015. C’est un canal absolument prioritaire pour nous. Et cela répond à une demande très forte des consommatrices.
Comment imprégnez-vous la culture d’entreprise de numérique : vous envoyez toujours en stage les patrons de filiales ?
Nous poursuivons les fameuses immersions dans des start-up et chez des pure players (Snapchat, Pinterest…). Le Comex et les dirigeants de marques sont ainsi partis en voyage d’étude dans la Silicon Valley. Et tous ont été entraînés à créer des campagnes de communication sur Facebook et des contenus sur nos sites web ! Enfin, le digital est le premier sujet abordé lors des visites de filiales de Jean-Paul Agon.
Comment vos marques s’adaptent-elles ?
En rénovant en profondeur les modèles de marketing et de communication. Récemment, L’Oréal a développé le premier clavier d’émoticônes autour de la beauté ! Aujourd’hui, nous avons près d’un milliard de visiteurs uniques sur nos sites web par an. Nos plateformes de contenus, comme Makeup.com, doivent être des destinations beauté en soi. Nous mesurons donc le taux d’engagement, afin de connaître le nombre de personnes qui ont partagé une vidéo sur Facebook ou l’ont commenté, et pas simplement regardé.
Pour suivre ces indicateurs, vous avez recours à Google et Youtube. Mais tout comme vos concurrents…
Ce qui est certain, c’est que nous avons une relation extrêmement approfondie avec Google, Facebook, Snapchat, Pinterest… Car ce sont les plateformes où nos consommatrices trouvent des contenus qui leur parlent. 25% de la population française et 60% des jeunes sont fatigués des publicités qu’ils voient durant leur navigation web et les bloquent. C’est absolument critique pour nous d’avoir accès aux données collectées par ces acteurs pour comprendre ce qui marche ou pas.
D’où la diffusion d’une série par Maybelline avec la bloggeuse Enjoy Phoenix, ou l’académie L’Oréal Paris pour youtubeurs ?
Ces influenceurs sont des ambassadeurs d’un nouveau genre, différents de nos égéries, avec une audience et un relais extraordinaires pour nous. Car ils s’expriment avec l’authenticité de jeunes qui parlent à d’autres jeunes, en se basant sur leur quotidien, des formats décalés avec beaucoup d’humour…
L’avenir pour un groupe de cosmétiques, c’est de ne plus avoir de dépenses de marketing et de compter seulement sur les bloggeuses ?
C’est un sain mélange, tout dépend de la classe d’âge ! Lorsqu’on communique avec une consommatrice entre 18 et 20 ans, on n’utilise pas les mêmes codes que les spots TV que l’on a pu faire pendant des années. L'Oréal réalise désormais 25 % de ses investissements publicitaires sur Internet. Mais dire qu’il ne faut faire que du digital serait une énorme ânerie, tout comme de ne pas en faire !
Et les objets connectés, c’est un relais de croissance pour L’Oréal?
C’est une nouvelle frontière très importante, car la consommatrice demande de nouveaux services pour l’accompagner dans son choix de produits. Nos objets comme UV Patch, Style My Hair ou MakeUp Genius lui offrent un coaching quotidien autour de son look, sa peau, ses cheveux... On continuera à en développer sur toutes nos catégories. Ils nous amènent aussi à travailler avec un nouvel écosystème, des start-up aux compétences différentes des nôtres. C’est tout l’enjeu de notre investissement dans Founders Factory.
Combien avez-vous injecté dans cet incubateur londonien ?
Plusieurs millions d’euros. C’est un investissement qui va nous permettre d’accélérer le développement de jeunes pousses, mais aussi d’en créer deux nouvelles par an.
Mais de nombreuses start-up tentent déjà de marcher sur vos plates-bandes !
Il s’agit d’une autre catégorie : les marques de beauté "digital natives". Nous avons mis en place une stratégie d’acquisition pour certaines d’entre elles, en reprenant notamment les marques californiennes Nyx Professional Makeup et Urban Decay. Elles ont des cultures et modèles d’inspiration très intéressants. Elles ouvrent les yeux de nos marketeurs sur les nouvelles façons d’utiliser les réseaux sociaux et les plateformes pour créer un engagement encore plus fort…
Vous pourriez en acheter d’autres ?
Oui ! Nous avons toujours été en veille, cela ne va pas s’arrêter. Nous n’avons pas de budget dédié. Comme pour nos autres acquisitions, ce sont des opportunités qui se présentent pour lesquelles le groupe peut se mobiliser rapidement.
La filière Beauty French Tech essaye de se constituer. L’Oréal va-t-il y participer ?
On regarde. Il faut des synergies dans tous les écosystèmes, nous entendons donc aussi jouer un rôle en Asie du Nord, en Asie du Sud-Est, aux Etats-Unis…
Justement, le secteur cosmétique français est-il toujours très en retard par rapport aux Etats-Unis et à l’Asie dans sa mue numérique ?
L’Asie est la championne du monde incontestable du e-commerce, dont elle drive quasi la moitié des ventes, en particulier la Chine avec des vecteurs immenses comme Alibaba. Mais sur le reste, notre niveau de digitalisation commence à être équivalent avec l’accès à la 4G, l’utilisation des réseaux sociaux… Ce qui est plus étonnant, c’est la présence massive de certains pays émergents sur des plateformes comme Pinterest. Le top 5 des bloggeuses du Moyen-Orient touche 22 millions de consommatrices, c’est énorme !
Propos recueillis par Gaëlle Fleitour
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