Nigéria - Maroc : un mega projet de gazoduc... mais au conditionnel

Extension du gazoduc ouest-africain, le projet de gazoduc offshore entre le Nigéria et le Maroc annoncé samedi 3 décembre à l'occasion d'une visite de Mohammed VI au Nigéria se présente comme un vecteur majeur du développement de la région. S’il s’intègre en partie au vaste plan gazier du Maroc, cette infrastructure devra pourtant surmonter de nombreuses difficultés avant de voir le jour.

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Nigéria - Maroc : un mega projet de gazoduc... mais au conditionnel
Mohammed VI, roi du Maroc et Muhammadu Buhari, président du Nigeria, le 2 décembre à Abuja.

Une surprise de taille. A l'occasion d'une visite officielle du roi Mohammed VI au Nigéria, le Maroc et le Nigeria se sont mis d’accord, le samedi 3 décembre 2016 pour mettre à l'étude la construction d’un gazoduc offshore entre l’ouest nigérian et le Maroc.

"Il devrait longer les côtes pour joindre le Maroc voire l’Europe, éventuellement", a indiqué Geoffrey Onyeama, le ministre nigérian des Affaires étrangères. Ce gazoduc se propose de prolonger sur près de 3 000 km le Gazoduc Ouest-Africain qui joint déjà le Nigeria à Cotonou au Bénin, Lomé au Togo et Téma et Takoradi au Ghana sur 678 km. Il traverserait le territoire alors de nombreux pays dont le Sénégal, la Mauritanie, mais aussi, côté marocain, le Sahara occidental.

L'infrastructure serait financée pour partie sur la base d'un partenariat entre Ithmar Capital (l'ex-fonds marocain de développement touristique FMDT reconverti en fonds souverain) et la Nigeria Sovereign Investment Autority. Ces deux entités ont signé samedi 3 décembre un accord de partenariat stratégique (SPA) et un mémorandum d’entente (MoU) en ce sens en présence des deux chefs d'Etat (photo ci-dessous). Vue la taille prévisible du projet - plusieurs milliards d'euros - des financements internationaux seront également indispensables.

Un projet structurant pour l'Afrique de l'ouest et au delà

"Ce projet structurant permettra à terme à tous les pays de l'Afrique de l'Ouest d'alimenter leurs centrales électriques respectives en gaz mais aussi d'alimenter leurs unités industrielles et domestiques, indique le communiqué marocain publié samedi. Le pipeline sera conçu […] dans le but d'accélérer les projets d’électrification dans toute la région de l’Afrique de l’Ouest, servant ainsi de base pour la création d’un marché régional compétitif de l’électricité, susceptible d’être relié au marché européen de l’énergie."

Le gazoduc ambitionne ainsi une petite révolution économique et énergétique en Afrique de l'Ouest. "Il a vocation à soutenir la création de pôles industriels susceptibles d'attirer les investissements étrangers. Le projet facilitera de ce fait l'essor de secteurs allant de l'industrie à la transformation alimentaire en passant par les engrais et améliorera la compétitivité des exportations, notamment entre pays africains", précise le communiqué nigérian, sans préciser aucun.

A noter que les deux partenaires n'ont pas chiffré la capacité. L'actuel Gazoduc Ouest Africain qui est géré par Wapco, un consortium comprenant des Etats mais aussi Chevron (opérateur) et Shell, affiche une capacité de 5 milliards de m3 par an (soit, à titre de comparaison, environ 10% de celle du récent gazoduc NordStream qui relie la Russie à l'Europe).

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La prolongation pourrait impliquer un accroissement de capacité du gazoduc Wapco, surtout, si comme c'est évoqué, le projet Nigeria-Maroc devait à terme rejoindre l'Espagne. Par ailleurs, ce type d'infrastructure suppose toujours la conclusion d'accords commerciaux à long terme avec des clients identifiés pour sécuriser les financements. Et la négociation du tracé et des droits de passage avec les pays riverains, soit en l'espèce huit états.

L’annonce de ce week-end intervient deux ans après le lancement par le Maroc d’un vaste plan gazier : "Gas to power". Il ambitionne de faire passer la consommation de gaz naturel du royaume de 0,9 milliard de m3 en 2014 à 5 milliards de m3 en 2025 pour produire de l’électricité et fournir l’industrie.

Le recours à l’importation par le gazoduc ouest-africain pourrait cependant remettre en cause la structuration actuelle du plan. Celui-ci mise jusqu'ici sur l’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) par voie de mer via un port dédié encore à construire. Les infrastructures portuaires et de regazéification représentent ainsi à elles seules près de 30% du coût de tout le plan Gas to power, évalué en 2014 à 4,6 milliards d’euros par le ministère de l’Industrie, alors que par ailleurs le Maroc prévoit près de 15 milliards de dollars d'investissements (surtout via des capitaux privés) dans les énergies vertes d'ici à 2030.

Vaste offensive diplomatique du Maroc en Afrique

Le Maroc va donc devoir coordonner son plan gazier avec ce nouveau projet surprise qui s'inscrit dans le cadre d'une vaste offensive diplomatique du Maroc en Afrique. La réalisation du plan Gas to power doit s’étaler sur une dizaine d’années. Une centaine d’entreprises, dont Edf, Engie ou Gazprom ont d’ores et déjà répondu à l’appel à manifestation d’intérêt et le ministère de l’Energie doit passer prochainement à l’étape de l’appel d’offres.

La réalisation du gazoduc Nigeia-Maroc peut être, elle, beaucoup plus hasardeuse. Par comparaison, le Gazoduc Ouest africain a demandé plus de 28 ans avant d’aboutir enfin en 2010.

Pour rappel, le memorandum d’entente entre l’Algérie et le Nigéria pour la construction d’un gazoduc transsaharien d'une capacité de 20 à 30 milliards de m3 signé en 2001 n’a jamais eu de suites. En cause, la présence des jihadistes de Boko Haram et d'Aqmi dans le nord du Nigeria et au Sahel, mais également le manque de financement, l’absence d’engagement de l’Union européenne par des accords commerciaux.

Si ce gazoduc entre le Maroc et le Nigéria devait voir le jour, il représenterait toutefois une victoire pour le royaume sur son voisin et éternel rival l'Algérie. Rabat n’envisage pas, effet, d’ importer plus de gaz algérien qu’il ne le fait déjà - près d’un milliard de mètres cube - via le Gazoduc Maghreb Europe qui relie l’Algérie à l’Espagne. Cet approvisionnement est permis par les royalties dues au titre du passage du gazoduc sur le sol marocain et d’un contrat signé avec la Sonatrach en 2011. Ces deux contrats expirent en 2021.

Enfin, pour faire aboutir le nouveau projet de gazoduc, le Nigeria va devoir aussi faire la preuve de la pérennité de ses réserves, à ce jour les plus importantes du continent (5 100 milliards de m3). Cet automne, des représentants de la NNPC, la compagnie nationale pétrolière du Nigeria, se sont inquiétés de sa capacité à répondre aux besoins croissants de la demande nationale et des prévisions d’exportation au-delà des 35 prochaines années.

Le refus du gouvernement nigérian d’accepter une étude indépendante de ces réserves avait même constitué, dans les années 2000, l’une des pierres d’achoppement du projet de gazoduc transaharien.

Les problèmes sécuritaires

S’il parvient à découvrir de nouvelles réserves, comme il le prévoit, le Nigéria devra encore faire face aux groupes rebelles du delta du Niger ; problème récurrent de son exploitation des hydrocarbures. Le groupe "Les vengeurs du Delta" revendique depuis le début de l’année 2016 des dizaines d’attaques sur les infrastructures pétrolières et gazières installées dans le delta du Niger. L’Américain Chevron et l’Italien ENI en ont fait les frais. Ces attaques ont coûté au pays la production de plus de 400 millions de tonnes de barils de brut cette année.

La route du gazoduc sera semée de bien d’autres embûches encore. La traversée du Sahara Occidental présentera des obstacles financiers - les bailleurs internationaux pourraient rechigner à financer un projet qui traverse un territoire disputé selon le droit international - et sécuritaire, comme toute la zone sahélo-saharienne.

La conclusion de cet accord gazier, même de principe, avec le Nigéria est cependant à elle seule une victoire diplomatique pour le Maroc. En effet, le royaume ambitionne depuis juillet dernier d'intégrer l'Union africaine dont il est absent depuis 1984 car certains pays comme l'Algérie et l'Afrique du sud y reconnaissent la République arabe sahraouie démocratique (RASD) du Polisario.

Le Nigéria en a toujours fait partie et le nouveau président Muhammadu Buhari a même renouvelé, cette année, son soutien au peuple Sahraoui. Le Nigéria avait donc jusque-ici des relations très fraîches avec le royaume chérifien, mais les nouveaux liens économiques entre Abuja et Rabat - plusieurs autres accords commerciaux ont été signés lors de la visite de Mohammed VI - conforte la diplomatie africaine du royaume.

Julie Chaudier, avec Pierre-Olivier Rouaud

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