Nano-matériaux dans les aliments : le retour du principe de précaution
Le principe de précaution pour les nano-matériaux dans les aliments est de retour en Europe. En témoignent les nouvelles dispositions relatives aux nano-technologies adoptées par le Parlement européen. Gilles Boin, avocat au Barreau de Paris et associé du cabinet Product Law Firm, spécialisé dans le droit des produits alimentaires, la grande consommation et la chimie, en analyse la portée pour L'Usine Nouvelle.
Le projet de moratoire sur les nano-matériaux dans les aliments déposé par certains députés européens illustre parfaitement l’application du principe de précaution selon lequel le législateur peut restreindre ou interdire l’utilisation d’un produit, s’il existe des doutes sur son innocuité.
Ces composés infiniment petits (de l’ordre du milliardième de mètre) sont utilisés pour leurs fonctionnalités techniques, par exemple apporter une fonction auto-nettoyante ou augmenter la dureté d’un matériau. On en trouve déjà dans les cosmétiques, les peintures, le textile, l'aéronautique. En alimentaire, ils sont encore peu utilisés. On en trouve dans certains additifs et emballages.
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Le régime actuel des nano-matériaux
Ce moratoire pourrait laisser croire que les "nano" sont hors du champ de la règlementation alimentaire, ce qui n’est pas le cas. Lorsqu’ils sont utilisés dans les additifs ou les emballages, ils sont soumis à une obligation de sécurité. Les additifs, en particulier, ne sont autorisés qu’après avoir été évalués du point de vue de leur innocuité. Depuis le 13 décembre 2014, les ingrédients "nano" doivent également être étiquetés sur les packagings des aliments. Enfin, il existe en France une obligation de déclaration de tous les nano-matériaux fabriqués, importés ou distribués sur le territoire français, quelle que soit l'utilisation alimentaire ou non alimentaire qui en est faite.
L’initiative des euro-députés intervient dans le cadre des discussions sur la refonte du règlement européen dit "Novel Food" dont l’objet est justement de soumettre à autorisation et à évaluation scientifique tous les ingrédients alimentaires n’ayant pas été consommés de manière significative en Europe avant 1997 afin de s’assurer, notamment, de leur innocuité. Les phytostérols et phytostanols aujourd’hui largement utilisés dans les produits laitiers "anti-cholestérol" ont été autorisés dans ce cadre réglementaire. Les "nano" sont en principe déjà couverts par ce texte s’ils n’ont pas été utilisés avant 1997. La Commission européenne proposait de ne laisser aucun doute en les visant expressément.
Les "nano" n’échappent donc pas au droit, mais pour aller plus loin dans l’application du principe de précaution deux questions essentielles doivent être traitées : qu’est-ce qu’un nano-matériau ? Existe-il une méthode officielle pour les détecter ?
Les enjeux juridiques de la définition et de la détection des "nano"
Il n’existe pas, aujourd’hui, de définition réglementaire unique des nano-matériaux. Il en existe des scientifiques et des normatives (CSRENS, ISO) mais elles n’ont pas de valeur légale à proprement parler. Une définition très générale figure dans le règlement dit "Inco", mais elle ne concerne que l’étiquetage des denrées alimentaires. Elle avait été complétée par une définition plus précise en décembre 2013 selon laquelle un nano-matériau contient au moins 50 % de particules entre 1 et 100 nanomètres, mais le texte a été retiré. Les députés européens proposent maintenant de baisser ce seuil à 10 %.
Trouver une définition unique est important si l’on ne veut pas morceler la règlementation applicable aux "nano". Comment s’y retrouver en effet si l’on a une définition pour l’étiquetage des aliments, une autre pour l’autorisation des nouveaux ingrédients, une pour les emballages et d’autres encore pour les applications non alimentaires (cosmétiques, peinture, PGC) ? Les députés se sont montrés sensibles au risque de migration des "nano" depuis les emballages vers les aliments. D’autres risques de migration sont possibles du fait de l’environnement des produits, mais comment faire si un matériau est juridiquement un "nano" pour une application donnée et pas pour une autre ?
Tant qu’il n’y aura pas de méthode validée pour leur analyse et leur détection, on ne pourra pas répondre à cette question simple : ce produit contient-il oui ou non des nano-matériaux ? Le principe de précaution appliqué aux nano-matériaux illustre une nouvelle fois la difficulté à faire avancer le droit à la même vitesse que la science.
Gilles Boin, avocat associé chez Product law firm by ABG partners Aarpi
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