[Muses industrielles] Sérotonine de Michel Houellebecq, le plus célèbre écrivain-ingénieur

Les amateurs retrouveront dans le dernier roman de Michel Hoellebecq les ingrédients habituels : personnage dépressif, humour pas toujours correct, description crue de la sexualité et considérations politiques sur la fin de la paysannerie. C'est la présence de deux enfants dans ce roman d'un auteur plus dépressif que jamais et paradoxalement un peu moins misanthrope qui a retenu notre attention. 

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[Muses industrielles] Sérotonine de Michel Houellebecq, le plus célèbre écrivain-ingénieur
Dans son roman, Michel Houellebecq narre la dérive d'un dépressif malgré la prise d'une "molécule du bonheur".

De Michel Houellebecq et son nouveau roman (le 13e selon nos calculs), on sait tout ou presque. Michel et la légion d'honneur remise par le Président de la République, Michel et ses 320 000 exemplaires, Michel et ses prédictions sur le mouvement des gilets jaunes (comme si le rôle de la littérature était d'être un succédané des voyants), Michel et son mariage jet set ou encore Michel et son odeur de souffre.

Plus que pour aucun autre, il semble impossible de faire la part entre l'oeuvre et l'auteur dès qu'il s'agit de Michel Houellebecq. C'est sûrement dû à la nature de ses romans, où derrière les différents narrateurs, on entend toujours le plus célèbre habitant d'une tour du 13e arrondissement et qu'il semble y avoir une telle continuité entre les interviews du romancier et les discours tenus par ses narrateurs que la confusion règne.

Un "page turner" où il ne se passe rien ou presque

Aussi avons-nous choisi de nous en tenir au texte de Sérotonine, rien qu'au texte (si tant est que cela soit possible). En résumé c'est du Houellebecq et plutôt du très bon qui nous est livré en ce début d'année 2019. Notamment si on prend les critères du narrateur du livre, qui à Goethe Proust ou Thomas Mann, préfère Conan Doyle, un formidable "page turner", écrit-il. On ne lâche pas ce récit où pourtant il ne se passe pas grand chose. Le narrateur Florent-Claude Labrouste décidant de disparaître après avoir découvert que sa compagne qu'il n'aime pas vraiment le trompe de surcroît.

S'ensuit le récit de la dépression de Florent-Claude, orphelin et inconsolable amoureux, ingénieur agronome passé par Monsanto et le ministère de l'Agriculture, qui a recours à un médicament pour augmenter la production de sérotonine, aussi appelée "hormone du bonheur". "J'en étais là, homme occidental dans le milieu de son âge, à l'abri du besoin pour quelques années, sans proches ni amis, dénué de projets professionnels comme d'intérêts véritables, profondément déçu par sa vie professionnelle antérieure, ayant connu sur le plan sentimental des expériences variées mais qui avaient eu pour point commun de s'interrompre, dénué au fond de raison de vivre comme de raisons de mourir". Cela vaut les habituelles considérations de l'auteur sur le sexe, le monde moderne, l'amour impossible et l'avenir pas vraiment rose du monde paysan, dont la littérature parle finalement encore moins que du monde ouvrier.

Obsessions et ironie

Ceux qui aiment Houellebecq trouveront tout ce qu'ils cherchent chez l'auteur : le goût du scandale, de l'érotisme crade et surtout une ironie réjouissante aux temps du politiquement correct qu'ils jugent tyrannique et son humour parfois facile et parfois dévastateur quand il vise juste : "on préfère toujours incriminer les antidépresseurs de l'autre plutôt que ses propres bourrelets". "Ce qu'il avait à me raconter n'avait rien d'original, non seulement les gens se torturent les uns les autres, mais ils se torturent avec une totale absence d'originalité". D'aucuns prétendront (on le lit déjà) que Michel Houellebecq a prédit, telle une Elisabeth Tessier mal coiffée, la crise des gilets jaunes, quand ce roman se contente d'évoquer des manifestations paysannes, comme il en existe tant, celle du livre dégénérant avec plusieurs agriculteurs tués à la suite d'une méprise...

Ce qui frappe le plus à la lecture de Houellebecq c'est d'abord sa maîtrise exceptionnelle de la langue. Difficile malgré la confusion faite en général entre l'auteur et le narrateur de savoir ce que pense vraiment Houellebecq en lisant ses livres. Le jugement moral semble en permanence suspendu. Il donne des faits et se garde bien par le choix d'un mot de juger ce qu'il décrit. C'est comme ça, semble-t-il dire, que ça vous plaise ou non. A ceux qui croient au progrès de la société et de l'Homme, Michel Houellebecq répond en leur montrant le reflet de son miroir : un monde peuplé d'individus solitaires et malheureux, voilà ce qu'ont produit la modernité et le libéralisme. "... que pouvait me proposer la social-démocratie évidemment rien, juste une perpétuation du manque, un appel à l'oubli".

Le passé, le temps de l'enfance

Une erreur courante est de faire de Houellebecq un écrivain réactionnaire. La réaction est ce courant d'idées selon lequel "c'était mieux avant" et qu'il faut vite y retourner. Pour se sauver et sauver le monde. On doute que telle soit la conviction de l'auteur de Sérotonine. S'il pense que ce n'est pas mieux aujourd'hui, rien ne dit, au contraire, qu'il pense que c'était mieux avant. Il suffit pour cela de lire le portrait qu'il fait du père du seul ami du narrateur, un aristocrate oisif, vivant de ses rentes et de la mondanité quand son fils se démène avec acharnement pour produire bien et bio. Houellebecq est un pessimiste profond qui regarde les hommes s'agiter et demande "à quoi bon ?". De même, ses considérations sur la religion laisseront pantois certains conservateurs qui ont fait de Houellebecq un de leurs hérauts. Son goût pour le mélange des registres est particulièrement frappant dans ce roman. Pour cela, il rapproche à plusieurs reprises la trivialité sexuelle de la métaphysique chrétienne, dans des passages que nous nous interdisons de reproduire pour ne pas choquer les lecteurs non avertis. S'il existe un paradis chez Michel Houellebecq, le corps y exulte à longueur de journées.

L'essentiel est peut être ailleurs dans ce roman, qui donne l'impression de contenir les provocations habituelles de l'auteur pour satisfaire un public qui vient les chercher (elles sont concentrées dans la première moitié du récit). Ce qui nous a frappés, c'est la présence de deux enfants (c'est suffisamment rare dans ses romans pour être signalé). Dans les deux cas, le narrateur les observe de loin à la jumelle, ce qui est une première indication. Il y a une petite fille rendant visite à un étrange passionné d'ornithologie, voisin du narrateur et qui se révèle être un prédateur sexuel, ce qui donne lieu à une page à la limite du soutenable. Et un petit garçon que le narrateur observe des semaines durant, dans la chaleur d'une maison au bord d'un lac. Ces pages finalement très douces, malgré le danger qui pèse, sont peut-être les plus belles dans leur description d'un bonheur paisible, désormais inaccessible au narrateur, comme un paradis à jamais disparu. "Ce n'est pas l'avenir c'est le passé qui vous tue, qui revient, qui vous taraude et vous mine et finit effectivement par vous tuer", molécule miracle ou pas.

Sérotonine, Michel Houellebecq, Flammarion 350 pages 22 euros

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