Moulay Hafid Elalamy, ministre de l'Industrie du Maroc : "Les écosystèmes productifs seront l'accélérateur de l'industrie marocaine"
Ministre de l’industrie du Maroc depuis octobre 2013, Moulay Hafid Elalamy, entrepreneur à succès et ancien président du patronat détaille pour L’Usine Nouvelle les contours de la nouvelle politique industrielle du royaume. Fonds de soutien, mesures anti-dumping, accueil des investisseurs chinois... il fait le point aussi sur tous les sujets chauds. Un entretien exclusif réalisé à Rabat.
Mis à jour
28 mai 2014
L'Usine Maroc - Vous avez présenté un plan industriel "d’accélération industrielle" le 2 avril, quelle est son ambition ?
Moulay Hafid Elalamy - Porter la part de l’industrie dans le PIB de 14% à 23% d’ici à 2020 et créer 500 000 emplois industriels. Tous les pays qui ont changé de dimension à un moment donné ont fortement accru la contribution de l’industrie. Pour l’Etat il y a deux indicateurs clés : l’emploi et la balance de paiement. Nous déployons des moyens nouveaux afin de créer un environnement compétitif pour les investisseurs marocains et étrangers.
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Comment basculer de 14 à 23% en sept ans ? Sauf croissance à la chinoise, c’est quasi impossible…
D’autres pays l’ont fait, donc c’est possible. Ma vision est d’agir avec volontarisme sur plusieurs leviers. Le principal est d’orienter notre tissu industriel autour d’écosystèmes productifs. Cela aura un effet démultiplicateur de création d’emploi et de valeur. J’ai des exemples concrets. Un opérateur aéronautique que j’ai reçu me disait vouloir investir pour créer 40 emplois mais après quelques réunions et en s’organisant en écosystème avec d’autres, son projet s’est transformé et générera 400 emplois avec la perspective de 2 000. Dans l’automobile, cette démarche est évidente autour des tier2 ou tier3.
Quelle définition donnez-vous à un écosystème ?
Il s’agit d’intégrer autour de donneurs d’ordre des fournisseurs travaillant en coopération. Au lieu de fabriquer une pièce automobile, vous fabriquez un composant comme un rétroviseur via ce jeu d’alliance. L’idée est de faire collaborer des entreprises en sous-systèmes rendus indispensables à leur donneur d’ordre. Cette structuration accroît la création de valeur à tout niveau. J’ai visité récemment l'usine d'un avionneur qui a développé ce type d’approche en Turquie. Il s’est défait d’un pan de son activité de montage en s’appuyant sur ses fournisseurs. Il a récupéré une compétitivité qui lui a donné accès à des marchés nouveaux et globalement il crée de l’emploi. C’est une tendance mondiale. Vous vous concentrez sur la technologie plus que sur l’assemblage de milliers de petites pièces.
En quoi l’Etat doit-il et peut-il intervenir dans ce type de processus qui est plutôt spontané ?
Vous avez raison. La fédération de l’automobile, l’Amica, se structure autour de ce concept pour accompagner notamment le projet majeur de Renault à Tanger et découvre un potentiel incroyable. Mais l’Etat peut jouer un rôle d’accélérateur. Mon ministère va y aider en s’appuyant sur les fédérations pour identifier les briques et les assembler. Dans chaque secteur, on trouve parfois 14, 16 écosystèmes potentiels. Plus vous creusez, plus vous en identifiez.
"DES IMPORTATIONS DOUBLONNENT AVEC DES PRODUCTIONS LOCALES, POURQUOI ?"
De quoi accroître le contenu local pour les donneurs d’ordre, ce qui est un des enjeux pour Renault au Maroc par exemple ?
Oui. C’est le chapitre substitution. Des importations doublonnent avec des productions locales, pourquoi ? Le Maroc importe des biens qu’on n’imagine pas comme la mousse isolante utilisée pour les toits automobile alors qu’il en produit. Même chose pour les non tissés utilisés dans les portières. Parfois, il suffit de faire se parler les entreprises entre elles et on découvre qu’avec une variante de leur production, ils pourraient répondre à la demande au Maroc. Je perçois une prise de conscience des opérateurs. J’ai reçu voilà quelques jours des entreprises du secteur des énergies renouvelables engagés dans cette démarche d’écosystème : l’une fait de l’électronique, l’autre des panneaux, il leur manquait notamment des candélabres. Ils ont commencé à travailler avec des entreprises internationales, ce qui est complexe. Finalement, ils ont échangé avec des entreprises marocaines et cela a débouché sur des modèles de candélabre faits au Maroc. L’ensemble constitue un système complet avec l’électronique, la partie mécanique, l’ingénierie etc...
Un autre levier du plan se rapporte à l'offre foncière, pourquoi alors que de nombreuses zones industrielles ont déjà été initiées par l’Etat à Tanger, Kenitra ou Casablanca?
Le Pacte Emergence en 2009 a créé un réseau de zones industrielles, les P2i mené notamment par MedZ. Cette politique a donné un réel élan en matière de foncier et il n’était pas prévu que ces zones soient remplies du jour au lendemain, il faut bien de la réserve foncière pour les gros investissements à venir.
Ceci étant, c’est vrai que leur taux d’occupation n’est pas satisfaisant. Pourquoi ? Car cette offre correspond à des industriels désirant opérer en propriété. Or beaucoup de sociétés nord-américaines ou européennes préfèrent louer et mettre l’argent dans leur core busines, dans leurs machines. Il y a surcapacité en mode vente et non disponibilité en mode location. Nous créons donc 1 000 ha en location.
Où se situera cette offre locative ?
Sur plusieurs zones et à priori pas immédiatement sur les P2i même si cela reste une possibilité à discuter avec MedZ. L’idée est de boucler cela avant la fin de l’année avec une première zone de 147 ha près de Casablanca. Nous avons signé le démarrage des études avec les parties prenantes, les propriétaires, le wali…
Medz sera associé à ces projets?
Dans l’immédiat, ce n’est pas prévu. D’autres opérateurs ont une expertise et un track record réussi en matière d’offre locative. Je pense à la Chambre française de commerce et d’industrie au Maroc (CFCIM). Nous avons mené des réunions de travail enrichissantes avec la CFCIM. Il faut ouvrir le jeu, chacun sa spécialité.
"LE FONDS DE DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL DISTRIBUERA DES SUBVENTIONS EN ECHANGE D'ENGAGEMENTS D'EMPLOI OU D'EXPORTATIONS"
Autre outil annoncé, le Fonds de développement industriel (FDI), de quoi s’agit-il précisément ?
Le FDI distribuera des subventions. Il mobilisera 3 milliards de dirhams par an [270 millions d’euros], soit 21 milliards sur 7 ans, c’est inédit au Maroc. Il sera inclus dans la prochaine loi de finances pour être opérationnel début 2015. Ce sera un fonds accompagnement et d’amorçage avec des montants beaucoup plus importants que ce qui existe et avec plus de flexibilité.
Moulay Hafid Elalamy, 54 ans, est ministre de l'Industrie, du Commerce, de l'Investissement et de l'Economie numérique du Maroc sous l’étiquette RNI (Rassemblement national des indépendants) depuis octobre 2013 suite au remaniement du gouvernement de l’islamiste modéré Abdelilah Benkirane. Formé au Canada à l’université de Sherbrooke, issu de la grande famille Fassi, "MHE" est un entrepreneur à succès. Son groupe Saham dont il a délégué la gestion depuis son entrée au gouvernement est un des leaders de l’assurance au Maroc et s’étend fortement en Afrique. Saham qui emploie plus de 6000 salariés est aussi présent dans la relation client, l'immobilier et la santé. Moulay Hafid Elalamy qui a lancé plusieurs initiatives dans le domaine de l’entreprenariat a été président de la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc), le patronat marocain de 2006 à 2009.
Le FDI aidera les investisseurs étrangers ou nationaux selon des modalités cohérentes avec la Charte de l’investissement qui va être rénovée. Le nouveau fonds co-existera avec le fonds Hassan II qui cible lui le foncier et l’investissement. Les aides du FDI seront liées à des engagements sur l’emploi, la création de valeur et les exportations. Il visera les entreprises et les fédérations.
Pourquoi les fédérations?
Elles ont besoin de fonds pour se structurer, former, conduire des études, monter les écosystèmes, identifier les maillons manquants ou accroître leur présence internationale.
LE FDI n’est donc pas d’un fonds d’investissement en capital ?
Non. J’ai songé un temps à un fonds de prise de participation mais c’est trop complexe selon moi d’engager des deniers publics dans le capital privé. Cela change de plus la nature des entreprises, les rend d’une certaine manière dépendante, ce qui n’est pas très efficace. De par mon expérience d’opérateur, je sais qu’avoir avoir un tel actionnaire à son tour de table n’est pas une très bonne chose. De plus si un fonds public vous soutient pendant 15 ans, c’est que vous avez un problème.
Autre point de votre plan, l’accès au financement…
Il s’agit de remettre la lumière sur l’accompagnement du tissu industriel filière par filière et de positionner les banques pour accompagner cette transformation via une convention d’accompagnement des industriels en reprofilant aussi les crédits pour ceux qui peuvent rencontrer des difficultés ou en soutenant l’offre de crédit avec des taux bonifiés. Les banques marocaines ont pris ces engagements lors des Assises le 2 avril. Je compte sur elles.
Pour passer de 14 à 23% d’industrie dans le PIB, vous aurez besoin de locomotives. Après Renault, le Maroc va-t-il accueillir un second constructeur?
Pourquoi juste un second ? Aujourd’hui, notre pays figure sur la carte automobile comme sur celle de l’aéronautique. Je crois à l’arrivé d’un nouveau constructeur à horizon 2 à 3 ans. Nous discutons avec des industriels de plusieurs continents.
Y compris des chinois ?
Oui, des investisseurs chinois viennent me voir sans être démarchés. C’est nouveau. Je leur ouvre les portes dans tous les secteurs, automobile comprise. Un industriel chinois mène d’ailleurs un projet d’usine d’acier dans le nord du pays. Je compte quant à moi ces prochains mois mener une action de prospection en Chine.
Je reçois déjà dans mon bureau des opérateurs présents en Chine et qui me disent "tiens, nous n’avions pas pensé nous installer au Maroc."
Aéronautique, automobile, offshoring... y a-t-il d’autres secteurs où le Maroc a sa carte à jouer selon vous ?
Pensez au textile, malgré la déflagration qui a suivi la levée des quotas de produits chinois en Europe, le Maroc a encore des choses à faire dans ce domaine. Zara un des leaders mondiaux s’approvisionne à nouveau fortement au Maroc. Cela veut dire que la Chine n’a pas répondu à tous ses besoins. Au Maroc, il y a environ 80 usines travaillant pour Zara, un groupe qui ces dernières années se sourçait surtout en Asie. Cette entreprise a rebasculé. Elle n’est pas la seule.
D’autres secteurs ?
Oui, certains sur lesquels peu de gens parient comme l’électroménager. Mais au-delà de cette liste de secteur globalement, l’idée c’est que notre pays constitue pour les investisseurs étrangers une plate-forme vers l’Europe mais aussi l’Afrique. A côté de la France, notre principal partenaire, cela séduit les investisseurs américains et ceux venus d’Asie. Vous le savez le japonais Sumitomo est le deuxième employeur du pays. Le Maroc permet de servir l’Europe et l’Afrique à moindre prix avec moins de complexité logistique comparé aux bases de production asiatiques où de plus les coûts augmentent fortement. Sur la thématique africaine, nous incitons d’ailleurs notre industrie à mener des stratégies d’intégration avec des pays africains.
Sujet d’un autre ordre, les différents commerciaux. Votre ministère a accordé fin 2013 au sidérurgiste Maghreb Steel l’instauration de droits antidumping à l’importation sur l’acier plat, face notamment à ArcelorMittal. D’autres affaires sont en cours pour le papier ou l’insuline. Le protectionnisme, ça vous tente ?
Non pas du tout. Mais ne confondez pas notre choix de l’ouverture et l’acceptation de dérapages de certains partenaires. Le Maroc a conclu des accords de libre-échange avec 55 pays, c’est une bonne chose mais tous ces partenaires ne jouent pas le jeu. J’ai bien connu ce problème comme président du patronat, je le retrouve comme ministre.
Le Maroc joue le jeu ?
Oui, les produits entrent librement chez nous. Mais par contre j’utilise toutes les voies légales pour protéger notre industrie lorsqu’elle est attaquée par des opérateurs pratiquant le dumping, ce que certains m’ont même avoué ! Les règles de l’OMC le permettent. Etre agressé par un groupe qui confronté à une superproduction chez lui se dit, tiens détruisons l’industrie d’un autre pays cela peut être utile, est inacceptable.
De même à l’export certains pays trouvent des moyens non tarifaires pour bloquer nos produits, cela, je le combats. Le Maroc ne prend pas de décision farfelue. Nous agissons en coordination avec l’OMC [Organisation mondiale du commerce]. Concernant l’acier, j’ai demandé un audit à l’OMC mené par leurs experts internationaux, danois notamment.
Mais, attention je dis aux opérateurs marocains : mon action ne sera jamais protectionniste. Si vous n’êtes pas performants, je ne peux rien pour vous ! Vous n'imaginez pas combien j'en éconduis !
Le Maroc affiche un très lourd déficit commercial, comment agir ?
Par toutes les mesures que je vous ai détaillées. Nous allons rapprocher aussi notre agence de promotion des investissements l'AMDI et la structure de promotion Maroc Export.
Le chef du gouvernement a décidé en avril une hausse de 10% du SMIG, le salaire minimum. Comme ministre de l’industrie, vous y voyez un coup à la compétitivité ?
Toute augmentation de salaire a un impact sur l’économie. Mais écoutez, peut-on ne pas relever le salaire minimum pendant plusieurs années ? Je pense que non. Cela se discute entre l’Etat, le patronat et les syndicats. Le patronat considère que c’est trop, les syndicats pas assez, la base du dialogue social, c’est le compromis.
Enfin, votre sentiment sur la conjoncture au Maroc ?
Je perçois un rebond et je ne suis pas le seul. Je le valide avec les banquiers qui sont en première ligne. Je pense qu’on assiste à un certain redémarrage de notre économie.
Le Maroc a été épargné par la crise financière car notre secteur bancaire n’était pas connecté sur la finance internationale et les produits toxiques. Si notre industrie a vécu des moments difficiles c'est parce que notre principal client l’Europe a beaucoup souffert. Mais il n y a pas eu de démantèlement du tissu industriel. La question maintenant, c’est de lui donner un nouvel élan.
Notre pays peut pleinement jouer de ses atouts car la carte de l’industrie mondiale est en pleine reconfiguration. La Chine, l’usine du monde, où les coûts progressent vite va délocaliser, selon certaines études, 85 millions d’emplois en dix ans. Si le Maroc en capte 1% nous tenons nos objectifs !
Propos recueillis à Rabat par Thibaut de Jaegher et Pierre-Olivier Rouaud
"L’offshoring redémarre"
L'Usine Nouvelle Maroc : L’offshoring a stagné en 2013, quelle est votre analyse. Le Maroc est-il en danger sur ce métier ?
Moulay Hafid Elalamy : Il y a eu une guerre froide en Europe entre les grands donneurs d’ordre, les "Telco" en France particulièrement. Avec un impact sur les prix et les marges, notamment chez les prestataires de centres d’appel. Le marché a dû s’y adapter. En France, il a énormément souffert. Une croissance zéro pour le Maroc en 2013, ce n’est pas si mal. Aujourd’hui au Maroc, le marché est reparti pour les opérateurs efficients. Pourquoi ? Parce que notre pays présente une offre diversifiée : centres de contact et d’appel, ITO, BPO. Il offre des fonctions que vous trouvez difficilement dans d’autres pays. Par exemple dénicher des actuaires en Europe c’est mission impossible. Au Maroc nous en avons encore,
Pour relancer le marché vous avez demandé un effort aux trois opérateurs de votre pays, Maroc Telecom, Inwi et Méditel sur le prix de certaines communications internationales, soit -25%…
Par rapport aux pays concurrents, le Maroc est un peu cher notamment sur la téléphonie. Mais à vrai dire, pas pour les grands donneurs d’ordre internationaux qui savent négocier des prix. L’objet de cet ajustement de tarif, c’est d’attirer de nouveaux entrants, c’est-à-dire des PME qui veulent développer leur centre d’appel au Maroc et qui trouvent nos coûts élevés, c’est donc faciliter l’accès à cette clientèle des PME.Les opérateurs marocains l’ont-ils pris avec le sourire ?
Pas totalement mais ils sont malins et ont fait leur calcul. Si notre pays devenait non compétitif, ils feraient zéro en chiffre d’affaires additionnel. A partir du moment où ils supportent de toute façon les coûts fixes, il leur était possible de consentir un effort sur les tarifs.Enfin, quid du plan Maroc Numeric 2013 qui est arrivé à échéance?
Il va être reconduit et rénové bien sûr. Il portera comme le précédent sur le soutien à nos industries numériques d'une part et sur la digitalisation de toute la société de l'autre. La première mouture est prête. Tout n'est pas parfait et les parties prenantes ne sont pas forcément d'accord mais c'est une bonne base de travail. Le plan devrait être bouclé avant fin 2014.
Propos recueillis à Rabat par T.D. et P.-O. R.
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