Métaux critiques: ne pas passer du "peak oil" au "peak all"
Passée de l'illusion des ressources inépuisables à l’ère de la finitude, l’industrie ne doit pas pour autant tomber de Charybde en Scylla et s’inquiéter de tout: les métaux stratégiques, terres rares comprises, ne sont pas rares. Néanmoins nécessaire, la sécurisation des approvisionnements passe par une meilleure évaluation de la criticité, le développement de mines européennes et l’écoconception en prévision du recyclage.
On ne rappellera jamais assez combien les terres rares sont en réalité réparties de manière relativement homogène dans la croûte terrestre. Contrairement au platine, qui est une anomalie géologique que l’on retrouve presque uniquement en Afrique du Sud et en Russie. C’est pourtant sur les premières que s’est focalisée l’attention, après que la Chine a réaffirmé son contrôle en modifiant ses quotas. Or, dans le cas des terres rares, c’est bien la production (et non la ressource) qui est monopolistique : la Chine en contrôle environ 95% uniquement parce qu’elle a développé des mines et des capacités de transformation.
Cette inquiétude se retrouve sur d’autres métaux critiques, notamment ceux qui alimentent les énergies renouvelables (aimants permanents) et les nouvelles technologies (lithium, cobalt, indium, etc). Mais "cette rareté est-elle relative ou absolue ?", questionne Gilles Pennequin, vice-président du Forum international sur les technologies de la sécurité (FITS, présidé par Alain Juillet), qui s’exprimait lors d’un colloque sur les métaux stratégiques et le recyclage organisé par Orée et Global Links le 12 juin à Paris. "Cette crainte est surtout révélatrice de notre très grande dépendance, française et européenne", notamment vis-à-vis de la Chine.
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En France : quelques mines et un peu d’exploration
Car tous ces petits métaux sont exploités comme coproduits de métaux de base comme le cuivre, le nickel et le manganèse. En France, la quasi-disparition de l’activité minière a obéré tout espoir d’extraire ces co-produits, rarement rentables économiquement s’ils devaient être extraits seuls, puisqu’en trop petite concentration.
Il reste en France métropolitaine deux petites mines de bauxite qui alimentent des cimenteries, et un ouverture proche d’un projet d’extraction de fluorine. "Ce qui est intéressant, car la fluorine est sur la liste des métaux critiques", rappelle Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales non-énergétiques au ministère du Développement durable, présent au même colloque. "Mais nous n’avons pas grand-chose comme métaux stratégiques. Il y a tout de même des permis d’exploration en cours pour le tungstène, l’antimoine, le germanium et le lithium." Les mines françaises ont fermé avant d’avoir exploité l’ensemble des ressources. Au point que des recherches sont en cours pour rechercher des métaux d’intérêt dans les terrils et autres stériles issus des vieilles mines.
Produire pour sécuriser ses approvisionnements
L’Europe peut – et doit – développer sa propre production. C’est ce qu’a commencé à faire Solvay à travers le recyclage d’ampoules basse consommation. C’est aussi l’objet des nombreuses réflexions sur une écoconception qui anticiperait sur le cycle de vie du produit.
Mais le recyclage n’y suffira pas, et nous aurons toujours besoin de matières vierges. "Il n’y a pas d’opposition entre économie circulaire et mine, martèle l’expert Didier Julienne. Elles sont complémentaires." Ce stratège en matières premières défend l’idée d’une démarche "locamine" qui, comme son précédent locavore, s’approvisionnerait régionalement en contrôlant la soutenabilité de l’extraction plutôt que de soutenir aveuglément le développement d’énergies renouvelables qui consomment, en amont, énormément d’énergie carbonée. Didier Julienne dénonce une "hystérie collective à propos des énergies climatiques, ou décarbonées" : à quoi bon rouler électrique et s’alimenter à l’énergie éolienne si l’extraction des matières qui composent ces équipements émettent autant Asie que ce qui est économisé en bout de chaîne en Europe ? C’est le vieux réflexe "not in my backyard" (pas chez moi), relèvent plusieurs participants.
D’autres appellent de leurs vœux ce développement de l’extraction responsable, dont Rémi Galin, qui reconnaît que "nous ne pourrons pas nous passer de l’extraction de ressources minérales, en tout cas pour les 30 ou 40 prochaines années." Une lecture que partage le chef de l’unité des matières premières, des métaux et des minerais de la Commission européenne, Mattia Pellegrini. "Sauf dans des cas spécifiques comme celui du platine, les autres métaux stratégiques ne sont pas rares. En tout cas pas en potentiel. Il faut développer une exploitation soutenable en Europe."
"La mine propre n’existe pas"
"Soutenable", et non pas "propre". Car "la mine propre n’existe pas", affirme Rémi Galin. Ce dernier, mis à disposition du ministère des Mines, préside pourtant le comité de rédaction de la charte "mine responsable" lancée à l’initiative d’Emmanuel Macron et Ségolène Royal. "Une mine a toujours un impact sur les populations, l’environnement, elle transforme toujours un territoire. A notre charge de rendre cet impact positif !"
Mieux évaluer la criticité réelle
Il est également temps, selon Gilles Pennequin, "d’évaluer sérieusement l’état des réserves prouvées et exploitables à un coût raisonnable et dans des conditions acceptables". Sur le cuivre, les évaluations de réserves varient d’un facteur de 10.
L’autre facteur d’incertitude est lié à la technologie, qui propose régulièrement de nouveaux débouchés à ces matières. Revenant au platine, Mattia Pellegrini, de retour d’une série de visites de mines en Afrique du Sud, a été frappé par le fait que les minières évoquaient non plus les pots catalytiques, leur débouché historique, mais un nouveau marché très prometteur : celui des piles à combustible (à l’hydrogène). S’il tient ses promesses, ce dernier marché pourrait faire grimper les platinoïdes sur l’échelle de la criticité.
Myrtille Delamarche
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