Matrix Pack, une entreprise transformée par la directive SUPD sur les plastiques à usage unique
Comment rebondir lorsque l'on est touché de plein fouet par la directive européenne SUPD sur les plastiques à usage unique, adoptée dans des temps record, qui affecte 100 % de son activité ? Matrix Pack, qui était spécialisée dans la fabrication de pailles en plastique, est un exemple de société qui a dû se réinventer. Récit de Jean-Marc Novène, directeur général adjoint et cofondateur de la société.
La Commission européenne est souvent critiquée pour son incapacité à proposer des études d'impact économique de ses changements législatifs. C'est l'expérience qu'a vécue la société Matrix Pack, le leader européen de la fabrication de pailles, touché de plein fouet par la nouvelle directive sur les plastiques à usage unique (ou Single-Use Plastics Directive, SUPD), ébauchée en mai 2018, adoptée en juin 2019 et mise en application en juillet 2021. « Matrix Pack est une société européenne qui emploie quelque 300 personnes et possède trois sites de production, deux en Grèce et un en Bulgarie. Notre métier est d'apporter des solutions durables et respectueuses de l'environnement pour les systèmes de boisson à emporter (on-the-go drinking systems), avec aujourd'hui 80 % de notre chiffre d'affaires apportés par la production de pailles », explique Jean-Marc Novène, directeur général adjoint et cofondateur.
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En effet, à sa création en 2009, et alors que l'on parlait à peine de sustainability, les fondateurs ont considéré que fabriquer en Asie un produit de commodités, comme la paille, ne faisait pas sens au regard de l'énergie dépensée pour le transporter. Ils ont ainsi lancé une production made in Europe, prônant l'économie des ressources, avec des équipements hautement automatisés. Or, alors qu'elle parvenait à apporter un service premium par rapport à une concurrence tout-venant en provenance d'Asie, avec un savoir-faire à la fois technique et marketing, la société a été touchée de plein fouet par la directive européenne, car les pailles de Matrix Pack étaient essentiellement produites en matière plastique et bioplastique. Outre l'utilisation de polypropylène, la société s'est préoccupée très tôt de proposer des grades biosourcés biodégradables et compostables industriellement, en utilisant des compounds de PLA, ce qui avait nécessité des développements de R&D importants, de 2014 à 2017. Mais ce matériau n'a pas davantage franchi la barrière de la directive. Car, à compter du 3 juillet 2021, qu'ils soient d'origine fossile ou biosourcés, tous les objets à usage unique en plastique - à savoir les pailles, les couverts et assiettes, les bâtonnets mélangeurs, les tiges pour ballons ou encore les Cotons-Tiges, etc. - seront bannis de l'Union européenne, ce qui n'a laissé que peu de temps à la société pour se transformer. « La directive sur les sacs plastiques a occasionné sept ans de discussions. Dans le cas de la directive single-use, les discussions ont pris moins d'un an et demi avant son adoption », souligne le dirigeant pour illustrer la brutalité de la mesure pour les fabricants de produits à usage unique concernés.
C'est ainsi que la société Matrix Pack, qui avait réussi à conquérir d'importantes parts de marché, notamment auprès d'acheteurs de la restauration rapide, du marché HOBARECA (HOtel BAr REstaurant CAfé) et de la grande distribution pour fournir une paille sur dix vendues en Europe, a dû repartir d'une page blanche pour se réinventer. Pour commencer, elle a considéré que, même si certaines technologies de substitution commençaient à se profiler, comme le développement de nouveaux couvercles de gobelets, le besoin de pailles subsisterait pour des applications de mobilité, par exemple lorsque l'on se déplace à pied, en vélo, en transports en commun ou que l'on conduit un véhicule pour pouvoir regarder droit devant soi, ou pour des applications plus festives. Cela a conduit la société à examiner les matériaux pouvant remplacer le plastique. « L'utilisation du verre, du bambou ou du métal pour fabriquer des pailles réutilisables pose un problème en termes d'hygiène, car l'usage unique a justement été inventé pour des questions sanitaires », note Jean-Marc Novène. Ne restait alors plus que le papier !
Un outil industriel à repenser
Une fois ce choix fait, la problématique de la société restait entière, puisque son outil industriel, essentiellement composé d'extrudeuses, n'était plus utilisable. « Les pailles en papier qui sont essentiellement produites en Chine s'appuient sur un procédé de spiralage, basé sur trois bandes de papier, collées les unes aux autres », explique Jean-Marc Novène. Cependant, il évoque un problème de productivité lié à l'usage de machines asiatiques de spiralage. Il ajoute : « Auparavant, nous avions une capacité de production de 300 mètres de paille par minute. Avec une machine asiatique de spiralage, la capacité n'était plus que de 30 m/min avec une emprise au sol des machines bien supérieure à celle de nos extrudeuses ». Heureusement, il existait aussi des machines de spiralage made in France, d'une technicité et robustesse sans égal par rapport aux machines asiatiques, ce qui a permis à Matrix Pack de s'équiper malgré un coût d'investissement important. Mais en parallèle, la société a eu l'idée de repenser totalement la façon de produire une paille en papier. « Quand je vois une paille en papier, je vois presque une cigarette. C'est alors que je suis allé à la rencontre des fabricants de machines de cigarettes. En 2019, Matrix Pack a entamé un partenariat avec le groupe allemand Hauni, le leader mondial pour la fabrication des machines produisant des cigarettes. Ensemble, nous avons mis au point une machine utilisant une technique de pliage linéaire, la Hauni StrawMaker, permettant de produire des pailles en papier avec une capacité de 250 à 270 m/min, nous rapprochant de la capacité de production de pailles en plastique », détaille le dirigeant.
D'ores et déjà, trois machines ont pu être installées dans les deux usines grecques de Matrix Pack et vont pouvoir produire jusqu'à presque deux milliards de pailles par an (gamme BioPaper Plus). Les ventes de Matrix Pack, quelque peu érodées en 2020 sous l'effet de la double peine de la directive à usage unique et de la crise du coronavirus, retrouvent le chemin d'une très forte croissance. En 2021, l'entreprise devrait pouvoir doubler son chiffre d'affaires pour atteindre les 26 millions d'euros, puis le doubler à nouveau pour franchir la barre des 50 M€ en 2022. Dans cette aventure, la société a toutefois dû investir l'équivalent d'un an de chiffre d'affaires pour réussir sa transformation !
Une charte de confiance pour une concurrence loyale
Mais pour que la partie soit définitivement gagnée, restait encore à pouvoir bénéficier d'une concurrence loyale. Jean-Marc Novène s'explique : « L'Europe a dit oui aux pailles en papier, mais il n'y a pas de standard qualité défini au niveau des produits, en particulier des papiers, qui doivent avoir une certaine tenue à l'eau, ou des colles qui ne répondent pas toujours aux réglementations européennes. Considérées comme des jouets avant la directive SUPD, les pailles en papier chinoises n'étaient pas soumises jusqu'alors à la réglementation des produits en contact avec les denrées alimentaires ».
D'où l'idée de la création d'un groupe de travail autour de la supply chain de la paille en papier, la « Paper Drinking Straw Supply Chain Task Force », réunissant des fabricants de papier, de colles, d'encres, de machines spéciales et les principaux concurrents européens de Matrix Pack, hébergée par la plateforme collaborative 360°FoodService*. « Nous avons réussi à réunir seize sociétés ou organisations professionnelles. Ensemble, nous avons rédigé la charte de confiance - The Charter of Trust for Paper Drinking Straws- », poursuit-il. Il s'agit d'une initiative visant à informer le marché européen sur la qualité nécessaire et la sécurité des pailles en papier et de leurs composants. Elle mettra aussi en valeur les entreprises qui accordent la priorité à la conformité du produit avec toutes les exigences légales européennes et nationales applicables aux matériaux en contact avec les denrées alimentaires. « Toute paille en papier proposée à la vente ou à l'utilisation dans l'UE - qu'elle soit fabriquée en Europe ou importée - doit être conforme et sûre. C'est la condition pour garantir que le commerce des pailles en papier sur le marché européen soit honnête et équitable et que les consommateurs soient protégés contre les risques », estime le dirigeant qui, après deux années de remise en question et de travail intense, entrevoit désormais le bout du tunnel.
* 360°Foodservice est une association professionnelle européenne basée à Bruxelles. Elle rassemble des entreprises qui fournissent des solutions de réutilisation et/ou à usage unique pour servir en toute sécurité des aliments et des boissons à des millions d'Européens chaque jour, quels que soient les matériaux utilisés. Pour toute question, vous pouvez les contacter via l'adresse mail suivante : secretariat@360 foodservice.com