Maroc : petits effets pour le big bang de la libéralisation des prix des carburants
Depuis le 1er décembre, les prix des carburants sont librement fixés. L’absence de mesures d’accompagnements par l’Etat rend vulnérable cette réforme capitale pour les finances publiques qui cessent de subventionner le prix de l'essence. Avec l’arrêt d'activité de la Samir, seule raffinerie du Maroc, les distributeurs doivent, pour leur part, constituer des stocks importants.
Cela fait désormais plus de trois semaines au Maroc que le prix des carburants à la pompe est fixé librement par les distributeurs.
Une petite révolution pour ces prix traditionnellement administrés et uniques sur l'ensemble du territoire. Indexés sur les cours internationaux, en 1995, puis désindexés et fixés bien en deçà lors de l’envolée du prix du baril en 2000, puis réindexés à nouveau partiellement le 19 août 2013, les prix du gasoil et de l’essence super évoluent désormais librement depuis le 1er décembre.
La mise en application finale d'une reforme préparée depuis deux ans par le gouvernement Benklirane qui a habilement tiré parti depuis un an de la plongée de cours du brut. Tout en reformant dans le même mouvement le système de subventions (compensation) qui a coûté jusqu'à 5% du PIB et est désormais quasiment aboli.
Le résultat ? Il est modeste dans les faits pour l'instant.
"Aujourd’hui, la tendance des prix est plutôt à la baisse à court et moyen terme", estime Adil Zyadi, président du Groupement des pétroliers du Maroc. Les consommateurs ne doivent cependant s’attendre à aucune baisse considérable.
Encore fixés à 7,96 dirhams le litre de gasoil et 9,49 dirhams le litre d’essence, le 30 novembre , ils s’établissent aujourd’hui, dans certaines stations Shell, alias Vivo Energy, de Casablanca, à 7,67 dh pour le gasoil et 9,29 dh pour l’essence.
Quelques distributeurs se partagent le marché marocain des carburants dont les principaux sont Afriquia (détenu par le ministre de l'Agriculture Aziz Akhanouch), Vivo Energy (compagnie de droit néerlandais détentrice de la licence Shell en Afrique), Winxo (ex-CMH), Total Maroc ou Oillybia
"La concurrence entre les distributeurs pétroliers ne s’exerce pas sur le prix, a assuré Mohamed Raïhani, directeur de Vivo Energy Maroc, un des principaux distributeurs du royaume répondant à Challenge car, lorsque le prix d’un litre de carburant dépend à près de 90% des cours du brut à l’international et des taxes, la marge de manœuvre des pétroliers est très limitée."
"Il est alors indispensable que l’État relâche substantiellement sa pression fiscale, pour que les distributeurs aient davantage de marge d’intervention, et les consommateurs puissent profiter du jeu de la concurrence en termes de pouvoir d’achat", analyse Hicham El Moussaoui, économiste, professeur à l’Université Sultan Moulay Slimane de Beni Mellal, dans une tribune parue sur Libre Afrique.
"Il y aura 1,2 ou 3 centimes de dirhams de baisse, mais rares seront ceux qui changeront de station pour si peu. Je pense que les sociétés de distribution vont jouer le jeu de la concurrence à minima uniquement pour montrer que même sans la Samir, même sans l’Etat, les choses fonctionnent correctement", affirme Omar El Fetouaki, ancien responsable de la distribution des carburants au ministère de l'Energie.
Depuis août, la Samir, unique raffinerie nationale est à l’arrêt, écrasée par les dettes. Le conflit opposant son actionnaire majoritaire, Sheikh Mohammed Al Amoudi, PDG de Corral Petroleum Holdings AB et le gouvernement marocain, n’a pas trouvé de solution et l’augmentation de capital de 10 milliards de dirhams promise pour le 15 novembre, n’a pas été faite.
"Les sociétés de distribution, aujourd’hui, assurent qu’il n’y a pas de problèmes d'approvisionnement, qu’elles sont là, mais il faut une raffinerie en fonctionnement au Maroc pour amener de la concurrence sur le marché", juge Omar El Fetouaki,
L’activité de la raffinerie étant suspendue, elle ne peut assurer les stocks de sécurité nécessaires au secteur. Le gouvernement a donc reporté cette tache sur les distributeurs.
"Depuis la fermeture de la Samir, le ministère de l’Energie et des mines nous oblige à disposer d’un stock minimal de 30 jours, précise Adil Ziadi. Auparavant, les subventions aux carburants constituaient un fardeau que nous supportions, aujourd’hui il a été transféré sur les obligations de stockage."
Et si les prix repartent à la hausse
Quand les distributeurs étaient contraints d’avancer la subvention aux produits pétroliers de l’Etat pendant 4 ou 5 mois avant d’être remboursé, le gouvernement n’était pas regardant sur l’état des stocks, dont la responsabilité revenait à la Samir.
"Dix millions de tonnes de carburants sont vendus annuellement au Maroc, en moyenne, pour un stockage de 1,6 millions de tonnes", précise Adil Ziadi.
Mais si le gouvernement a donc réussi à mettre fin à la subvention colossale des prix des carburant qui grevait lourdement le budget de l’Etat, à la faveur de l’effondrement des prix du pétrole, que se passera-t-il si les prix repartent à la hausse ?
"L’enjeu est d’éviter que le gouvernement remette en cause la libéralisation en intervenant sur les prix en cas de hausse des cours. Le cas de la suppression de l’indexation en 2000 suite à la hausse des cours à l’international est toujours là pour en témoigner. D’où la nécessité de prévoir des mécanismes d’accompagnement, mécanisme d’assurance mutuelle par exemple, sans remettre en cause le principe de libéralisation, et qui permettrait d’amortir la hausse éventuelle des cours à l’international", écrit Hicham El Moussaoui.
"Le gouvernement lui-même annonçait, au départ, que la réforme tenait en deux mouvements : il libéraliserait les prix, mais en même temps il distribuait des nouveaux revenus [en contrepartie de la fin du prix subventionné des carburants ndr] pour éviter la paupérisation. Là, il a oublié la deuxième partie. La réforme n’a plus aucun sens", s’indigne Najib Akesbi, enseignant chercheur à l'Institut agronomique et vétérinaire de Rabat.
Pour Omar El Fetouaki, un retour en arrière est toujours possible et ne pose pas problème "Je pense que cette libéralisation doit être un essai. On se cherche ; rien n’est figé. On peut revenir à la situation d’avant, du jour au lendemain, parce que l’Etat a la responsabilité d’assurer la sécurité de l’approvisionnement."
Julie Chaudier, à Casablanca
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