Maroc : la croissance industrielle impactée par la pénurie d’eau
L’industrie marocaine va devoir réduire sa consommation d’eau et cesser de la polluer tout en continuant à augmenter sa production. L’injonction presque paradoxale imposée au secteur industriel, dans le contexte prochain de pénurie d’eau au royaume, était abordé mardi 29 mars, par la CGEM, la fédération patronale marocaine présidée par Miriem Bensalah Chaqroun.
"Nous avons déjà réussi à réunir 27 fédérations patronales pour la Cop22, quand la France en avait réuni 25, l’an dernier", a annoncé fièrement Meriem Bensalah Chaqroun, présidente de la Confédération générale de entreprises du Maroc (CGEM) à l’adresse de Marouane Touali, membre du CNDH.
Mardi 29 mars 2016, la CGEM a organisé à Casablanca une rencontre intitulée "Eau et changements climatiques : Enjeux pour les entreprises" dans le cadre de ses préparatifs pour la Cop22 qui se tiendra à Marrakech à l’automne prochain.
"A la suite de nos deux panels, nous enverrons nos propositions au Comité scientifique", a assuré la présidente de la CGEM. L’occasion de s’interroger sur les besoins en eau et sa gestion par les industriels.
Selon les études du ministère chargé de l’Environnement, les ressources en eau, rares et mal réparties au Maroc, vont s’amenuiser au point que le royaume passera en dessous du seuil du stress hydrique, évalué à 500 mètres cube d’eau par an et par habitant, entre 2020 et 2030, selon les scénarios.
"Cet état des lieux, nous amènera inévitablement à des situations d'arbitrage pour fournir l'eau comme produit de première nécessité à nos citoyens, mais également pour pourvoir notre agriculture et nos industries", a souligné Meriem Bensalah Chaqroun.
Pas de danger de pénurie
"Pour les entreprises, il n’y a pas de problèmes [d’approvisionnement en eau]", a rassuré cependant Abdelaziz Zerouali, directeur de l’Agence de bassin hydraulique de Chaouia Bouregreg. Historiquement, en cas de conflit sur la ressource, le Maroc a toujours priorisé les besoins en eaux des villes – alimentation en eau potable et industrielle - sur l’eau dédiée à l’agriculture. Elle constitue le premier poste de consommation d’eau du pays.
Ainsi, au sein du secteur agricole, "en temps de sécheresse, comme cette année, l’Office de mise en valeur agricole demande aux agriculteurs de ne pas emblaver certaines de leurs terres, en leur disant que de toute façon ils ne leur fourniront pas d’eau", expliquait Abdeljalil Derj, agroéconomiste, consultant, spécialiste de la planification de l’eau, il y a quelques mois.
Même sans être atteints directement par le manque d’eau, les industriels en tiennent compte dans leurs plans de développement. Une consommation additionnelle de 70 millions de mètres cube par an, comme le prévoit l’OCP sur l’axe Khouribga-Jorf Lasfar entre 2008 et 2025 représenterait à elle seule 20% de l’eau potable et industrielle consommée annuellement sur la totalité du bassin hydraulique.
Plan de mobilisation des ressources en eau non conventionnelles
"A terme, les prélèvements depuis le barrage de Daourat seront arrêtés. En 2020-25, le site de Jorf Lasfar aura besoin de 60 millions de mètres cube par an et ils seront totalement pourvus par la station de dessalement de l’eau de mer dont la première phase de 10 millions de mètres cube a été achevée", expliquait Brahim Ramdani le directeur du site de Jorf Lasfar lors du lancement de la filiale OCP Africa. Selon ce plan, 60% de l’eau consommée par les installations industrielles de l’OCP sera d’origine non conventionnelle en 2025.
Une telle augmentation de la consommation d’eau aura cependant un impact proportionnel en termes de rejets. "Dans la zone d’action de l’agence du bassin hydraulique d’Oum Er-Rbia, la quantité annuelle des rejets est évaluée à près de 16 millions de mètres cubes dont 13 millions proviennent des rejets OCP et qui sont stockés dans des bassins d’épandage", estimait l’Agence du bassin hydraulique de l’Oum Er Rabia en 2006/2007. Les toutes premières normes sur la qualité des rejets industriels ont été adoptées en 2013, mais ne seront applicables qu’en 2018.
"Dans le contexte actuel proche de la pénurie, le peu d’eau que le Maroc a, nous l’avons pollué. La moitié des points d’eau surveillés ont une qualité d’eau mauvaise à très mauvaise", regrettait ainsi Mohamed Sinan, spécialiste de l’hydrologie, professeur à l’école Hassania des travaux Publics, en décembre dernier.
"Au Maroc, par exemple, les consommations d’eau dans l’industrie sont en moyenne de 1 088 milliards de mètres cube par an, mais, les rejets d’eaux usées représentent 964 milliards de mètres cube, soit 90% de l’eau consommée", a rappelé mardi la présidente de la CGEM.
"Ne laissez pas l’Etat investir seul"
"Les activités industrielles dans la région Casablanca Settat déversent en mer et dans le milieu naturel autant d’eaux usées qu’une ville de 5,5 millions d’habitants, a révélé Abdelaziz Zerouali. Ces rejets doivent été autorisés par l’agence de Bassin. Pour chaque nouvelle demande, nous réalisons une enquête publique. Lorsque ces rejets ne dérangent pas les riverains, ne se font pas à l’intérieur du périmètre de sécurité d’un barrage ou près d’un site d’intérêt biologique... Ils sont autorisés".
Si la raréfaction de la ressource d’eau potable va avoir un coût pour les entreprises puisqu’elles devront adapter leur outil de production à la nouvelle donne, elle constitue également une opportunité.
"Il s’agit d’un secteur rentable où il y a beaucoup d’opportunités d’affaires. Ne laissez pas l’Etat investir seul. Le secteur de l’eau a besoin de vous !", a lancé à l’assemblée de dirigeants d’entreprise Charafat Afailal, ministre déléguée auprès du ministre de l'Energie, des mines, de l'eau et de l'environnement, chargée de l'Eau.
"Les entreprises marocaines sont capables de réaliser des bassins d’épandages classiques, mais sur les stations d’épuration mécanisées elles restent absentes et les marchés sont remportées par des entreprises étrangères", regrette Moncef Ziani, membre du Conseil économique social et environnemental.
La première phase de la STEP de Marrakech a ainsi été réalisée par Suez. La deuxième phase a été développée et est aujourd’hui exploitée par la société belge Waterleau pour le compte de la RADEEMA, la régie autonomie de Marrakech.
"Le programme de dépollution industrielle qui va être lancé par le ministère offre également des perspectives d’activité pour des entreprises marocaines qui se placeraient sur ces marchés », ajoute Moncef Ziani.
Julie Chaudier à Casablanca
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