Maroc : crise politique et démission (parmi d’autres) du ministre de l’Economie

Le départ de Nizar Baraka, ministre de l’Economie du Maroc fait suite à la décision de son parti, l’Istiqlal, de quitter la coalition gouvernementale menée par les islamistes du PJD. La période est sensible car le Maroc doit relancer sa croissance, réformer son système de subventions publiques et redresser ses comptes extérieurs. Désormais en mal de majorité au Parlement, le premier ministre Abdelilah Benkirane aborde dans une position délicate cette crise politique. Avec le roi en arbitre.

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Maroc : crise politique et démission (parmi d’autres) du ministre de l’Economie
Nizar Baraka, ministre de l'économie, l'un des poids lourds du gouvernement Benkirane est démissionnaire

Le ministre de l’économie Nizar Baraka a démissionné du gouvernement marocain, le mercredi 10 juillet avec quatre autres de ses collègues tous représentants comme lui du parti de l’Istiqlal (Parti de l’indépendance, classé au centre droit) au sein de la coalition au pouvoir à Rabat.

Fouad Douiri, ministre de l'Énergie, des mines, de l'eau et de l'environnement, autre portefeuille important au plan économique, est également démissionaire avec Abdessamad Qaiouh, ministre de l'Artisanat, Abdellatif Maâzouz, ministre délégué chargé des Marocains résidant à l'étranger et Youssef Amrani, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères.

CLASH

Le ministre de l'Éducation nationale, Mohamed El Ouafa, bien que membre de l’Istiqlal aurait refusé de quitter le gouvernement et serait donc suspendu de son parti.

Ces départs en série et ce clash au sein de la coalition au pouvoir font suite à l'annonce fracassante de Hamid Chabat, président du parti de l’Istiqlal, le 11 mai proclamant le départ prochain de son parti du gouvernement.

Hamid Chabat est par ailleurs secrétaire général d’un des principaux syndicats du pays l'Union générale des travailleurs du Maroc (Ugtm) depuis 2009 et député-maire de Fès. Depuis plusieurs mois, il critiquait de façon croissante la politique, notamment économique, du gouvernement. Une rencontre avec le roi le 26 juin n'y a rien changé.

Le gouvernent du premier ministre Abdelilah Benkirane est dominé par le Parti de la justice et du développement (PJD), formation islamiste modérée, dont est lui même issu le chef du gouvernement. Il était associé avant cette rupture dans une coalition hétéroclite regroupant l’Istiqlal mais aussi le Mouvement populaire (libéraux) ou le PPS (ex-communistes).

Sans l’Istiqlal, qui pèse 60 députés sur 595, le gouvernement n’a pas la majorité à la Chambre de représentants. Le PJD n'y dispose que de 107 sièges.

Formellement, la démission des ministres doit être validée par le roi Mohammed VI, chef de l’Etat, ce qui ce jeudi 11 juillet dans l’après-midi, n’était pas fait.

Une période d'incertitude est en tout cas ouverte depuis hier car cette situation est une première depuis la réforme de la Constitution. Celle-ci a été menée en 2011 en plein cœur du Printemps arabe. Suite aux manifestations et au mouvement dit du "20 février" le roi avait choisi alors de renforcer les attributions du Parlement et du gouvernement.

Dans cette monarchie héréditaire de droit divin, Mohammed VI avait donc laché du lest tout en gardant toutefois d'importants pouvoirs, militaires notamment. A cela s'ajoute l'influence du "Makhzen" (l'entourage du palais) souvent décriée.

Beaucoup d’analystes (et de marocains) spéculent d'ailleurs sur des manœuvres du "Palais" certains affirmant qu’il veut maintenir le gouvernement en place, d'autres qu’il veut le faire tomber…

Le gouvernement actuel est issu des législatives de novembre 2011, suivant la réforme constitutionnelle. Pour la première fois un parti islamiste était alors associé au pouvoir dans ce pays en pleine phase de transition.

Le dynamisme d'une part de l'économie s'y conjugue avec de fortes attentes sociales, en matière d'emploi notamment.(20% de chômage en zone urbaine). Le royaume est aussi confronté au maintien de la pauvreté dans bien des zones rurales ou urbaines.

Classiquement ces attentes de la population se rapportent au logement, au pouvoir d'achat, à l'éducation et à la lutte anti-corruption, sujet dont le PJD avait fait son cheval de bataille.

Mais les sondages des derniers mois sur la perception de l'efficacité du gouvernement Benkirane ne sont guère concluants, même si le Premier ministre lui-même reste malgré tout populaire dans le pays.

élections anticipées

Au vu de cette crise politique, une des alternatives serait donc pour le Premier ministre Benkirane la constitution d’une nouvelle coalition avec d’autres partis mais des élections anticipées ne sont pas à exclure.

Parmi les partenaires possibles du PJD figure le RNI ou Rassemblement national des indépendants de Salaheddine Mezouar (ministre de l'Economie de 2007 à 2012) mais c'est jusque là un de ses adversaires farouches. Le RNI dispose de 52 députés.

Cette crise politique résonne, évidemment aussi, avec les difficultés récentes des partis islamiques en Tunisie, Turquie et surtout en Egypte, bien que le PJD s'affiche bien plus modéré que le parti de M. Morsi par exemple et soit plutôt calqué sur le modèle turc.

La crise politique s’explique en bonne partie par la situation économique intérieure au Maroc où en 2012 la croissance a fortement reculé à 2,4% contre 5% en 2011.

Les prévisions font état d’un rebond d’environ 4,5 % cette année et autant l’an prochain, ce qui est plutôt rassurant. Mais, le souci essentiel du gouvernement au plan macro-économique reste celui de maitriser les déficits jumeaux : commerce extérieur et budget.

ministre appriécé

Dans cette situation budgétaire tendue (environ 8% du PIB de déficit), Nizar Baraka le ministre sortant de l'Economie était plutôt apprécié sur la scène internationale. Il est ainsi parvenu depuis un an à placer plusieurs émissions obligataires auprès des investisseurs et sa gestion était considérée comme sérieuse par le FMI et la Banque mondiale qui soutiennent fortement le Maroc.

Ce membre de l'intelligentsia marocaine a été même été désigné "Ministre des finances de l'année" pour la zone Moyen-Orient fin 2012 par la publication spécialisée britannique "The Banker" (Financial Times).

Paradoxalement, Hamid Chabat accusait le Premier ministre de rester inactif face au ralentissement de la croissance.

Il a par ailleurs récemment fustigé ses liens avec les autres gouvernements du monde arabe menés par des partis islamiques. Mais les raisons officielles du différent entre l’Istiqlal et le PJD restent bien l'emploi et le pouvoir d'achat.

Un des dossiers principaux du moment est la réforme à venir du système des subventions publiques aux produits de base : produits alimentaires et surtout les carburants. Ces subventions sont gérées par la "Caisse de compensation" dont le budget, c’est-à-dire la charge pour l’Etat, atteint environ 5 milliards d’euros par an soit 6 à 7% du PIB, et ne cesse d'enfler.

Le problème? La nécessaire diminution des subventions se traduira par des hausses des prix et donc du mécontentement social. Le gouvernement a prévu en contrepartie d’apporter des aides directes aux familles les plus modestes, mais ce système reste encore assez flou.

Dans une interview à L’Usine Nouvelle en février Nizar Baraka avait estimé qu’il n’y avait "pas le choix" concernant cette réforme de la Caisse.

Mais celle-ci semble loin de faire l’unanimité au sein même de l’Istiqlal puisque son président Hamid Chabat, tribun aux accents populistes et rival de Nizar Baraka au sein de son parti, s’inscrit lui plutôt contre. Il faut aussi rappeler que Hamid Chabat n'était pas encore président de son parti lorsque celui-ci avait négocié sa participation au gouvernement fin 2011. Ceci explique peut être cela.

Pierre-Olivier Rouaud

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