"Les salariés ont la solution, mais personne ne la leur demande", explique la coach Valérie Moissonnier
Depuis 10 ans, Valérie Moissonnier et son équipe coachent des dirigeants, des salariés, des services et même des entreprises. Elle nous explique pourquoi il est nécessaire d’écouter les salariés et comment bien les écouter. Loin d’être un gadget, elle assure que c’est le meilleur moyen de résoudre bien des problèmes.
L’Usine Nouvelle - En quoi consiste le coaching d’organisation que vous pratiquez ?
Valérie Moissonnier - Nous intervenons dans le cadre de ces missions non pas sur une personne mais sur l’ensemble d’un service, voire d’une entreprise. La méthode reste la même que pour un coaching individuel, faire émerger les solutions et c’est ce qui nous distingue des consultants. Pour cela, nous écoutons les personnes, nous n’arrivons pas avec une recette miracle, une solution toute faite, comme le font parfois les cabinets de conseil. D’expérience, nous savons que les salariés, les personnes ont la solution, même s’ils n’en sont pas toujours conscients : ils savent comment être plus performants, créer un bon climat…
Avez-vous des outils spécifiques ?
Oui, nous réalisons un diagnostic en interviewant les gens pour connaître leur analyse… Mais la différence vient du fait que nous écoutons vraiment, ce qui nous amène à poser d’autres questions. On ne mène pas de la même façon une interview selon qu’on a une idée préconçue de la solution ou non.
Vous avez fondé votre entreprise il y a dix ans maintenant. Avez-vous constaté des évolutions ?
Avant tout, je tiens à préciser que nous intervenons sur tous types de mission, aussi bien dans des entreprises en croissance que pour aider un manager en difficulté. Globalement, je constate que depuis dix ans les conditions de travail se sont tendues, et cela est vrai aussi bien dans l’industrie que la banque ou la distribution, dans le privé, mais aussi dans les collectivités locales. C’est un phénomène général que nous constatons.
Quelles sont les raisons de cette dégradation ?
Elles sont multiples, bien sûr, et dépendent des entreprises. Les 35 heures ont incontestablement joué un rôle. Sociologiquement, les salariés français ont un goût pour le travail bien fait, ils sont perfectionnistes. A gros traits, ce sont des artisans qui peaufinent. Ce n’est pas pour rien que la France a cette qualité dans les industries du luxe.
Or, avec les 35 heures, les managers expliquent aux salariés qu’ils doivent "faire moins bien" pour aller plus vite. Cela heurte les valeurs profondes des personnes. Dans certains cas, cela peut produire de la souffrance si le conflit avec les valeurs est trop fort.
Le discours dominant, notamment du côté des organisations patronales, pointe plutôt le fait que les salariés ne seraient plus assez assidus avec les 35 heures. Ils passeraient leur temps à compter leurs jours de RTT. Qu’en pensez-vous ?
C’est une inversion de la causalité. Si les salariés comptent leur jour de RTT, c’est parce qu’ils ne peuvent plus apporter la qualité qu’ils voudraient dans leur travail. Ne trouvant plus un motif d’épanouissement, ou leur épanouissement étant moins grand, les salariés se désengagent. Pour ne rien arranger, la situation de chômage et de crise renforce ce mouvement. La personne qui est mécontente sait bien qu’elle aura du mal à trouver ailleurs.
Tous les discours qui mettent en avant l’urgence, la flexibilité du travail ne sont-ils pas condamnés à échouer parce qu’ils omettent la question de la qualité du travail ?
C’est tout à fait ça. Plus que l’urgence ou la flexibilité, nous vivons dans un culte de l’hyper productivité. J’accompagne actuellement une société industrielle de 80 personnes. Seulement 25 travaillent en production et la direction prévoit de réduire encore le nombre de salariés !
Peut-on agir localement ou le système est-il plus fort que tout ?
Juste un exemple que j’ai rencontré au cours de ma carrière. J’ai été appelé pour travailler dans une usine où le directeur commercial avait un problème avec le service logistique qui n’arrivait pas à livrer dans les temps. On a écouté les uns et les autres pour comprendre d’où venait le problème. Tout le monde semblait de bonne volonté. Or le problème venait de l’administration des ventes qui était en sur-qualité, en promettant une livraison à J+12h, sans que personne ne se soit demandé si cela était compatible avec les obligations des uns et des autres.
Dans ce genre de contexte, il faut s’arrêter, écouter la souffrance des gens et leur donner le temps de parler. Les écouter n’est pas suffisant mais c’est déjà énorme.
Si la solution est si simple, pourquoi faire appel à un coach ?
Parce que les managers ne sont pas formés à écouter. Là encore, je vais vous donner un exemple. Je travaille pour une grande banque où on a nommé un cadre, qui se sait en sursis s’il rate sa mission, à la tête d’une équipe de soixante personnes. Sa feuille de route est d’externaliser le service. Autrement dit, de le ramener à une dizaine de personnes.
Et bien, personne au service des ressources humaines n’a eu l’idée de le former à la conduite du changement. La seule personne qui aurait pu le soutenir, son n+1, est parti. Quand j’ai demandé à la personne des RH qui m’a fait venir pour un autre coaching comment cela était possible, elle a eu une réponse très vague. La réalité est que l’on tire sur l’élastique en croyant qu’il ne rompra jamais. Or quand il rompt, les dégâts sont énormes.
Propos recueillis par Christophe Bys
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