Les microalgues seraient aptes à produire industriellement des hydrocarbures
Des chercheurs du CEA à Cadarache ont identifié dans la chlorelle une enzyme capable de transformer des acides gras en hydrocarbures. Cette découverte pourrait ouvrir la voie à la production industrielle d'hydrocarbures par des microalgues, avec pour matières premières du CO2 atmosphérique et de la lumière.
Produire à l'échelle industrielle des hydrocarbures grâce à des microalgues, des chercheurs du CEA du BIAM à Cadarache1 estiment que cette perspective pourrait se concrétiser d'ici quelques années. Ils viennent en effet de franchir une étape importante. Alors que les microalgues produisent des acides gras en grande quantité - constitutifs des lipides de réserve, des lipides membranaires... - , à partir du CO2 de l'air et selon des mécanismes connus de longue date, l'équipe du BIAM a découvert une enzyme qui permet aux microalgues de transformer certains de ces acides gras en hydrocarbures. Cela est rendu possible par la coupure du groupement acide carboxylique situé au bout de la chaîne carbonée d'un acide gras. « Nous savions que les microalgues produisaient des hydrocarbures en très petite quantité. Nous avons donc cherché l'enzyme responsable de cette synthèse. Nous l'avons extraite et purifiée puis nous avons cloné le gène codant pour la protéine », explique Frédéric Beisson, chercheur CNRS au sein de l'équipe du BIAM dirigée par Gilles Peltier. « Nous avons eu la surprise de découvrir qu'il s'agissait d'une photoenzyme. C'était complètement inattendu ». Cette enzyme a été baptisée FAP (pour Fatty Acid Photodecarboxylase, en français acide gras photodécarboxylase). Elle est d'un type très rare car seules quatre enzymes utilisant la lumière ont été identifiées jusqu'à présent dans le monde vivant. Par ailleurs, selon les chercheurs, la FAP est au moins dix fois plus rapide que la meilleure enzyme de synthèse d'hydrocarbures connue.
Cette découverte a été publiée le 1er septembre dans la revue Science. Elle est d'autant plus importante que nous vivons dans un contexte de transition énergétique. Cette enzyme permettrait en effet de produire des hydrocarbures (et pas seulement des acides gras), en utilisant seulement du CO2 atmosphérique et de la lumière comme matières premières. Les hydrocarbures verts pourraient remplacer des hydrocarbures d'origine fossile, dont l'utilisation est en grande partie responsable de nos émissions de gaz à effet de serre.
VOS INDICES
source
612.5 -2.93
Février 2023
Phosphate diammonique (DAP)
$ USD/tonne
82.8 +0.36
Février 2023
Cours des matières premières importées - Pétrole brut Brent (Londres) en dollars
$ USD/baril
163.1 +0.87
Janvier 2023
Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 20.30 − Peintures Industries
Base 100 en 2015
À noter que si cette photoenzyme occasionne la production d'une molécule de CO2 par molécule d'hydrocarbure, le bilan carbone reste largement favorable. La construction d'une chaîne carbonée d'acides gras par un organisme photosynthétique entraîne la consommation d'un nombre beaucoup plus conséquent de molécules de CO2 (typiquement 8 à 20 selon le type d'acide gras).
Une découverte en partenariat
Pour effectuer ces recherches, les scientifiques ont utilisé la chlorelle qui est une algue verte unicellulaire d'eau douce faisant partie des quelques microalgues déjà cultivées industriellement. L'étude publiée par Science nous apprend que ce sont les chercheurs du BIAM qui ont pu identifier cette enzyme clé en la traçant grâce à son activité, puis en déterminant une liste de candidats possibles grâce à une analyse protéomique réalisée au laboratoire Biologie à grande échelle de Grenoble. Puis, c'est l'expression dans la bactérie E. coli du gène codant pour la principale de ces enzymes candidates qui a permis de mettre en évidence la production d'hydrocarbures et de démontrer que cette enzyme était nécessaire et suffisante pour synthétiser des hydrocarbures. La caractérisation de l'enzyme purifiée a révélé qu'elle était capable de couper un acide gras en une molécule d'hydrocarbure et une molécule de CO2, et que cette activité nécessitait de la lumière.
Puis la structure tridimensionnelle de l'enzyme a été déterminée par une étude de diffraction aux rayons X menée sur la ligne de lumière entièrement automatisée « MASSIF-1 » au Synchrotron européen de Grenoble. Cette structure ainsi que des études de spectroscopie d'absorption cinétique, réalisées à l'Institut de Biologie intégrative de la cellule de Saclay, ont permis de proposer un modèle du mécanisme de l'enzyme.
Pour ce qui est des perspectives, les chercheurs estiment que cette enzyme pourrait constituer un outil biotechnologique très efficace pour la synthèse d'hydrocarbures, soit par conversion in vitro d'huiles végétales (biocatalyse), soit par conversion in vivo des acides gras membranaires de bactéries, levures ou idéalement microalgues (en boostant la synthèse de l'enzyme dans ces micro-organismes). En revanche, au moins deux années de recherche seront encore nécessaires pour explorer tout le potentiel de cette enzyme, notamment sa stabilité, ses débouchés qui dépendront des longueurs de chaînes d'hydrocarbures accessibles (moins de 10 carbones pour les essences ou de 10 à 13 carbones pour les kérosènes). Les chercheurs prospectent actuellement toutes possibilités de financements pour porter ce projet du stade de la recherche à celui du développement.