Les marchés intègrent enfin le double message de la Fed
par Ann Saphir
SAN FRANCISCO (Reuters) - Après des mois de malentendus, Wall Street intègre enfin le message de la Réserve fédérale: réduire le programme d'assouplissement quantitatif n'équivaut pas à durcir la politique monétaire.
Alors même que la banque centrale américaine s'apprête à réduire ses rachats massifs de dette, probablement dans le courant du premier trimestre 2014, les futures sur les taux à court terme montent, repoussant les anticipations de hausse du taux des fed funds plus tard dans l'année 2015.
Au vu des futures, les traders ne voient pas la Fed relever les coûts d'emprunt à court terme avant juillet 2015 au plus tôt.
Fin mai au contraire, quand Ben Bernanke, le président de la Fed, avait pour la première fois évoqué un ralentissement des rachats d'actifs "lors des prochaines réunions", les rendements obligataires avaient grimpé à l'unisson, toutes maturités confondues, et certains anticipaient une hausse de taux dès octobre 2014, ce que même les faucons de la Fed n'envisageaient.
Il y a deux mois encore, quand la banque centrale a surpris les marchés en maintenant ses rachats d'obligations à 85 milliards de dollars par mois, les traders tablaient sur un début de cycle de hausse des taux à partir de janvier 2015.
L'évolution des anticipations est une bonne nouvelle pour les responsables monétaires américains, dont la principale préoccupation était une réaction exagérée des marchés qui risquait de miner la reprise toujours fragile.
Cette inquiétude est l'une des raisons qui a motivé le statu quo surprise de septembre.
"Après ce qui s'est passé (...), je crois que la Fed avait conscience qu'il lui fallait faire passer le message que la réduction des rachats d'actifs (tapering) n'était pas synonyme de resserrement monétaire", observe Millan Mulraine, économiste chez TD Securities in New York.
"Je pense qu'elle y est parvenue."
DIVERGENCES DE TAUX
Publié mercredi, le compte rendu de la réunion monétaire des 29 et 30 octobre redit que la Fed est prête à réduire ses rachats d'actifs dans les prochains mois, du moment que l'amélioration de la situation économique se poursuit.
Cette fois, la réaction du marché a été plus nuancée. Les emprunts à 10 ans ont reculé et leurs rendements, qui évoluent à l'inverse, ont atteint des plus hauts de deux mois à plus de 2,8% -mais cette fois ils n'ont pas entraîné dans leur sillage les taux à court terme comme cela avait été le cas en mai.
L'écart entre les rendements des emprunts à 10 et 2 ans s'est ainsi élargi, rendant plus attractif le papier long avec pour effet de "capper" les taux à plus long terme, essentiels pour alimenter le crédit.
Quand l'amélioration du marché du travail sera suffisamment nette pour permettre la réduction de l'assouplissement quantitatif, "je souhaiterai que cette action n'ait pas pour effet adverse d'accroître les taux à long terme", a déclaré cette semaine le président de la Fed de Chicago, Charles Evans.
La banque centrale s'est engagée à ne pas toucher à son taux des fed funds, actuellement proche de zéro, jusqu'à ce que le taux de chômage tombe à 6,5% et certains de ses responsables préconisent même d'abaisser ce seuil.
Le compte rendu de la réunion d'octobre révèle toutefois que seuls deux banquiers centraux -vraisemblablement Charles Evans et son homologue de la Fed de Minneapolis, Narayana Kocherlakota- ont émis cette suggestion.
Plus probablement, la Fed s'engagera à maintenir les taux bas pour une durée encore plus longue qu'attendu, ce que s'est employé à faire cette semaine Ben Bernanke en assurant que les taux resteraient proches de zéro "bien après" que le taux de chômage sera revenu à 6,5%.
Pour Millan Mulraine, le marché est aussi dans l'attente d'indications sur la manière dont la Fed entend gérer son bilan qui par sa seule taille exerce une pression à la baisse sur les taux longs.
Les trois phases d'assouplissement quantitatif mises en oeuvre par la Fed ont porté son portefeuille d'actifs à 3.860 milliards de dollars.
"La Fed a fait du bon travail en stabilisant la partie courte de la courbe des taux, la prochaine étape pourrait bien être de donner plus d'indications sur ses projets en matière de gestion de son bilan", a-t-il dit.
Véronique Tison pour le service français, édité par Marc Joanny