Les laboratoires veulent croître à l'international

Le chiffre d'affaires à l'étranger des laboratoires français se porte bien. Pourtant, derrière des résultats positifs, se cachent des situations disparates et une croissance qui ralentit. L'export est devenu un passage obligé pour garantir la bonne santé des laboratoires français. Enquête sur les tendances et les nouvelles approches menées par les entreprises du médicament pour gonfler leurs chiffres hors de l'Hexagone.

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Les laboratoires veulent croître à l'international

C'est un chiffre qui fait la fierté de l'industrie pharmaceutique française. Le marché du médicament pèse 27 milliards d'euros à l'export, selon les données communiquées par le Leem. Une étrangeté pour les entreprises tricolores, qui souffrent souvent d'un déficit criant dans ce domaine. L'industrie pharmaceutique est ainsi un des rares secteurs en France à ne pas voir rouge dès qu'on aborde sa balance commerciale. Une donnée historiquement positive, mais que nuance cependant Éric Baseilhac, directeur accès, économie et export du Leem : « La part des entreprises françaises à l'export a progressé moins vite par rapport aux autres pays européens face auxquels nous perdons des parts de marché ».

En dix ans, la part des exportations françaises est ainsi passée de 16 % à moins de 13 % des exportations issues de la zone euro. La croissance annuelle moyenne des exportations était de 3,3 % entre 2009 et 2013, elle s'est réduite à 1,9 % entre 2014 et 2018. Et quelques signaux n'incitent pas à l'optimisme. La part de médicaments issus de la chimie fine représente ainsi 80 % des exports.

Des produits de pharmacie « traditionnels » fortement attaqués sur les prix par des pays à plus bas coût de production comme l'Afrique du Nord ou l'Inde. La part de produits biologiques ne représente ainsi que 20 % des exportations des entreprises françaises. C'est un constat récurrent, ces dernières années, qui vaut aussi pour ce domaine : la France a raté le virage de la bioproduction. Mais peut compter sur une dynamique globale plutôt favorable aux industriels de la pharmacie et poussée par deux locomotives du marché mondial des médicaments : les États-Unis et la Chine.

États-Unis et Chine, les marchés les plus convoités

« Les États-Unis restent le territoire d'attractivité majeure pour l'industrie. Les niveaux de prix restent sans comparaison avec ceux qui sont pratiqués dans le reste du monde », estime Cédric Mazille, associé responsable des industries de santé chez PwC. Le sésame de la FDA constitue un standard réglementaire pour accéder à de nombreux marchés dans le monde. Et le pays est réputé pour donner la prime à l'innovation (voir aussi l'exemple d'Erytech).

Pourtant, le marché US est régulièrement l'objet de menaces de régulation. Le prix des médicaments, jugé comme excessivement cher, fait partie des cibles régulières de Donald Trump, qui souhaiterait tendre vers un alignement sur les niveaux de tarification pratiqués en Europe. Mais les leviers pour infléchir à la baisse les prix semblent limités, selon Cédric Mazille. « On peut prendre des mesures protectionnistes sur le vin ou le fromage mais moins se permettre de prendre des décisions unilatérales quand il existe un impact sur l'accès aux soins », explique-t-il.

Le marché américain devrait ainsi rester encore un marché prioritaire dans les années à venir. Un autre marché prend cependant de l'importance : la Chine. Contrairement à son voisin indien qui dispose de nombreux acteurs industriels sur son sol et qui représente un marché verrouillé, le géant chinois demeure un marché plus ouvert. Émergence d'une classe moyenne, essor de l'accès aux soins et vieillissement de la population associés à un réseau de distribution simplifié et à un bon niveau de prix rendent le marché chinois particulièrement attractif et disputé. L'arrivée sur ce marché ne s'improvise pas et nécessite d'importants moyens commerciaux et marketing soutenus par des partenariats locaux pour la distribution ainsi qu'une stratégie affûtée. « Il faut investir massivement dans la force de frappe commerciale. Les laboratoires « priorisent » tous la Chine pour soutenir leur croissance, il faut donc limiter le turn-over de ses visiteurs médicaux, la compétition sur le recrutement de ces représentants fait rage », observe Cédric Mazille de PwC.

Les grands laboratoires français ont les ressources pour s'attaquer à ces marchés. Ils constituent des passages obligés pour espérer survivre à la compétition mondiale. Pour les entreprises de taille intermédiaire, le marché chinois peut cependant constituer un vrai challenge. Elles s'appuient alors essentiellement sur le marché intra-européen. Ce marché continental constitue ainsi la principale zone d'exportation depuis la France (voir le graphique « les exportations françaises de médicaments » en 2018). Avec une curiosité : la position occupée par la Belgique, numéro 2 des pays destinataires. « La Belgique dispose de structures logistiques conséquentes, notamment aéroportuaires, capables de prendre en charge les produits de santé. Le pays représente souvent une étape avant l'exportation sur d'autres continents », analyse Éric Baseilhac. Le directeur accès, économie et export du Leem voit dans ce constat la nécessité de muscler les capacités françaises en logistique, pour soutenir l'export.

Les laboratoires Théa, un exemple tourné vers l'Europe

Parmi les entreprises qui ont fait de l'Europe leur terreau privilégié de développement, se trouvent les laboratoires Théa, membre du G5 Santé et spécialiste des solutions ophtalmologiques. Basé à Clermont-Ferrand, le laboratoire réalise ainsi « 70 % de son chiffre d'affaires à l'export, nous sommes présents dans plus de 70 pays », se félicite Carlos Amador, directeur des opérations des laboratoires Théa.

L'Europe est son marché le plus important, l'Espagne a été la première filiale du groupe, mais l'Italie est désormais la première en termes de chiffre d'affaires, après la France. Une stratégie à l'export développée tardivement, puisqu'au début des années 2000, le marché intérieur représentait la majorité du chiffre d'affaires. Ce développement à l'international permet de financer les pipelines des nouveaux produits R&D. « Nous avons choisi un socle européen car nous avons une bonne connaissance du marché, des canaux de distribution, de l'aspect réglementaire et des parties prenantes », commente Carlos Amador, qui poursuit : « Avant d'arriver sur un marché, nous évaluons l'investissement nécessaire, la visibilité sur ce marché est également très important. Enfin, nous réalisons aussi un business plan ».

Le développement des laboratoires Théa à l'étranger s'appuie sur trois modèles d'implantations différents. Le premier prend la forme d'un ballon d'essai, via un partenaire local. « Concrètement nous commençons par faire un partenariat avec une force de vente dédiée puis, selon les résultats de ventes, nous créons une filiale sur place », explique Carlos Amador. Deuxième exemple, au Royaume-Uni, la stratégie des laboratoires Théa est passée par la création initiale d'une joint venture avec un partenaire local, avant de reprendre, dans un second temps, 100 % du capital. Enfin, le troisième modèle repose sur le rachat d'un produit déjà implanté sur le pays visé. « En 2011, nous avons ainsi racheté un actif de Novartis qui était déjà commercialisé dans les pays nordiques, ce qui nous a permis de prendre des parts sur ces pays », cite Carlos Amador.

Parmi ses autres territoires de prédilection : la Russie, le Mexique et l'Amérique du Sud avec le Chili et le Brésil. Le laboratoire travaille par cluster géographique, regroupant, par exemple, Royaume-Uni, Pays-Bas, Canada et pays scandinaves, et conçoit une stratégie globale, puis des adaptations locales. Lorsqu'on aborde la question de l'exportation et du marché européen, difficile de ne pas aborder le retentissement du Brexit. « Aujourd'hui, nous prévoyons surtout un impact au niveau logistique et nous travaillons sur l'augmentation de nos stocks pour qu'il n'y ait pas de problèmes d'accès aux traitements », confie Carlos Amador.

Les relations internationales peuvent cependant influer sur la décision d'arriver sur un marché national. Les laboratoires Théa ont, un temps, jaugé le marché iranien. Avant de renoncer. « Après l'embargo, nous avons pris la décision de geler le contrat », commente Carlos Amador. Si le groupe est très présent en Europe, il est également reconnu dans les pays d'Afrique francophone. « L'école française en ophtalmologie est une référence pour de nombreux pays d'Afrique. En tant qu'entreprise familiale nous sommes reconnus dans ce domaine », souligne Carlos Amador des laboratoires Théa.

Aider au développement des pays émergents

L'Afrique représente un territoire dans lequel, historiquement, les entreprises françaises sont très présentes. « L'Afrique est une zone qui représente 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires. On distingue le Maghreb de l'Afrique francophone dont la Côte-d'Ivoire et le Sénégal, qui sont nos premiers marchés d'exportation sur le continent », indique Julie Assedo, chargée de mission affaires internationales du Leem. Un continent qui voit sa population augmenter et qui connaît une bascule épidémiologique avec l'arrivée de maladies chroniques, comme le diabète et l'hypertension. Autant de sujets sur lequel le Leem sensibilise ses adhérents pour les aider à mieux appréhender ces marchés et continuer à en faire des places fortes de l'industrie pharmaceutique française.

« Le marché le plus attractif reste le Maghreb, qui est plus structuré », observe Cédric Mazille de PwC. « Pour l'Afrique subsaharienne, le potentiel est important ,mais passe par une structuration de la distribution, une réglementation plus claire et une stabilité politique. ». Un travail de développement auquel le Leem souhaite prendre sa part. L'organisation fait ainsi la promotion auprès des pays en voie de développement du modèle français sur ses aspects réglementaires comme sur son système de couverture maladie, reconnu comme une référence.

Une façon de redéfinir le rôle de l'industriel au-delà de la vente et de la production de médicaments. « Nous sensibilisons nos interlocuteurs sur les partenariats que peuvent offrir les laboratoires français », souligne Éric Baseilhac. « Cela passe notamment par l'émergence des solution digitales qui peuvent aider des pays qui souhaitent aller vers une offre de soins globale ». Au-delà de l'industrie, c'est ainsi tout un savoir-faire qui cherche aujourd'hui à mieux s'exporter.

LA RÉGULATION DES PRIX INFLUE AUSSI SUR L'EXPORT

C'est un cheval de bataille régulier des organisations représentant les industriels (voir aussi notre article consacré au PLFSS p.39). Les économies demandées, chaque année, à l'industrie pharmaceutique influencent les performances des entreprises à l'export. « Chaque fois qu'il y a baisse d'un euro sur le prix d'un médicament en France, cela entraîne un manque à gagner de 82 centimes d'euro à l'export », chiffre Éric Baseilhac pour le Leem. Un constat que partage également Cédric Mazille, de PwC. « Les discussions entre autorités publiques et industriels sont compliquées, les interlocuteurs publics sont très frileux à l'idée de mettre en place des accords sur les prix qui intégreraient des dimensions variables basées sur l'efficacité en vie réelle du nouveau traitement ».

 

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