"Les écarts de salaires homme/femme : pas un sujet de discrimination mais de qualification" selon Agnès Audier

La première semaine de l'égalité professionnelle a lieu du 14 au 20 octobre. Simultanément se tient à Deauville le Women's Forum. Directrice associée du bureau parisien du Boston Consulting Group (BCG), Agnès Audier estime que si la situation s'est améliorée pour les femmes à la tête des entreprises, elle est beaucoup moins favorable pour les non-cadres. En cause, des choix de filière qui restent marqués par les stéréotypes et un accès insuffisant à la formation continue et à l'entrepreneuriat.

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L'Usine Nouvelle - La proportion de femmes dans les conseils d'administration d'entreprises du CAC 40 est passée de 8,5 % en 2007 à 22,3 %. Globalement, la situation s'améliore ?

Agnès Audier - Oui, même si le chemin est encore long. Dans les grandes organisations, les candidatures des femmes, les difficultés qu'elles rencontrent sont prise en considération. C'est aussi le résultat de la loi qui oblige à intégrer des femmes dans les conseils d'administration. Mais la progression se vérifie aussi dans les comités exécutifs qui ne sont pourtant pas concernés. La plus grande visibilité des femmes dans les conseils incite d'autres femmes à postuler à des postes avec des responsabilités. Enfin, les grandes entreprises ont compris que la diversité est bonne pour elles.

On entend souvent cette affirmation. Sur quoi repose-t-elle ?

Le monde change. Il est plus complexe, plus difficile à anticiper. Dans ce genre d'environnement, avoir des visions, des intuitions différentes rend plus fort. De nombreuses études ont établi le lien entre diversité et performances. L'an dernier, au Women’s Forum auquel j'assistais, une étude établissait que dans ce type d'environnement la capacité à comprendre l'écosystème interne et externe était essentiel. Ce sont deux qualités que l'on trouve plutôt chez les femmes.

Ces femmes qui réussissent au sommet des organisations sont-elles les arbres qui cachent la forêt ?

Pour les femmes ayant un haut niveau de qualification, la voie est globalement plus dégagée pour elles qu'elle ne l'était pour leurs mères. Pour toutes les autres, la situation est beaucoup plus délicate. On assiste à une grande stagnation professionnelle des femmes. Ceci s'explique notamment parce que les femmes restent toujours dans les mêmes filières professionnelles. Les jeunes filles ne vont pas assez vers les métiers techniques et scientifiques qui offrent pourtant plus de débouchés. Elles s'orientent vers des métiers peu qualifiés. 50 % des femmes sont réparties sur 12 familles de métiers. Un autre frein à la progression des femmes est leur faible présence dans l'entrepreneuriat. Sur les nouvelles technologies, les médias, on trouve plutôt des hommes.

A cela s'ajoute le fait qu'elles sont plus souvent à temps partiel, qui est fréquemment subi.

Qu'apporterait une meilleure intégration des femmes ?

0,4 point de PIB est perdu par une mauvaise intégration des femmes dans le monde professionnel. La moindre présence des femmes sur certains métiers fait qu'on y observe des tensions. Si plus de femmes s'orientaient vers la technique, cela réduirait les difficultés à recruter, des projets pourraient avancer plus vite, voire pourraient être lancés. Plus de femmes dans le BTP ou dans la high tech aurait donc un effet.

Contrairement aux conseils d'administration, les entreprises n'y peuvent pas grand chose. Cela dépend de choix qui sont faits en amont de la vie professionnelle, non ?

Le choix du métier dépend des représentations mentales collectives, des stéréotypes. L'orientation scolaire joue un rôle fondamental. Le choix d'un métier est un acte individuel qui s'inscrit dans un jeu orchestré.

Cela ne veut pas dire que les entreprises n'ont rien à faire. Elles ont une révolution culturelle à accomplir en s'intéressant à ce sujet qu'elles ne regardent pas assez. Le débat s'est focalisé sur les écarts de salaires qui ne sont pas un sujet de discrimination. Ils résultent des écarts de qualification, des différences de carrière. Au bureau parisien du BCG, nous avons constaté que parmi les personnes qui ne sont pas des consultants, nous avions plutôt des hommes à l'informatique et des femmes au secrétariat. Nous avons agi pour changer cette situation. Il faut être volontariste. Les entreprises doivent être attentives à la mixité dans les métiers.

Doivent-elles ouvrir davantage la formation continue aux femmes ? C'est, en effet, un des enseignements de votre étude : les femmes ont moins accès à la formation que les hommes.

Cela tient au fait que les salariés qui sont les plus éloignés de la formation sont les salariés à temps partiel. Dans l'esprit des responsables de formation, il y a l'idée que l'on va plutôt investir en faveur des salariés qui sont le plus présents, car "on veut en avoir pour son argent". Or, les femmes le sont plus souvent que les hommes.

C'est un véritable cercle vicieux. La formation initiale conduit les femmes à avoir des métiers avec de bas niveaux de qualification, d'où davantage de temps partiel, qui ouvre moins à la formation continue... Par ailleurs, les femmes se battent peut-être moins pour accéder à la formation.

Pourquoi ?

Je ferais une hypothèse. Elles restent encore responsables des contraintes familiales. Dans ce cadre, suivre une formation c'est avoir des horaires différents qui peuvent poser des problèmes pour les gardes d'enfants, l'organisation de la vie familiale. Sans oublier les familles monoparentales. Une femme chef de famille monoparentale sur trois est pauvre. Obtenir une formation pour ces femmes là, peut poser de vrais problèmes qui fait qu'elles y renoncent.

Quelle politique faudrait-il avoir pour que davantage de femmes créent des entreprises ?

Là encore, il faut travailler sur les représentations et revoir l'accompagnement des personnes sans emploi. Les premières années sont essentielles pour la réussite d'un projet. Un véritable accompagnement les premières années serait nécessaire. Il faut aider à construire le projet. Des dispositifs spécifiques pour les femmes ne sont pas nécessaires. Ce qu'il faudrait, c'est avoir une information spécifique pour les femmes.

Propos recueillis par Christophe Bys

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