Les cinq conditions à remplir pour qu'ArianeGroup tienne tête à SpaceX
Fiabilité et performance du lanceur Ariane 6, efficacité industrielle, soutien des états, adaptation au nouveau marché des constellations et maîtrise de la réutilisation... Pour répondre au défi imposé par la société d'Elon Musk, l'Europe spatiale ne doit rien négliger.
ArianeGroup peut-il résister à la concurrence de SpaceX? L'Europe spatiale se pose forcément la question après l'irrésistible montée en puissance de la société dirigée par Elon Musk et sa démonstration de force réussie avec le lancement de sa fusée XXL Falcon Heavy, en février dernier. Contrairement aux apparences, le match est toutefois encore loin d'être joué.
"En 2017, Arianespace [filiale d'ArianeGroup, ndlr] a lancé 12 satellites géostationnaires contre 7 pour SpaceX. Et dans le domaine des prises de commandes de lancements, Arianespace a pris 9 commandes contre 8 pour SpaceX", a précisé Alain Charmeau, le PDG d'ArianeGroup, à l'occasion d'un point étape sur Ariane 6 qui s'est tenu mardi 10 avril dans les locaux de la société à Paris. Si l'Europe veut rester dans la course entre grandes puissances spatiales, cinq conditions doivent être respectées.
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1 - Le soutien des Etats européens
Ce soutien se mesure en comptant les lancements "institutionnels" qu'une puissance spatiale apporte à son lanceur. Or c'est le point faible de la fusée européenne face à SpaceX mais également à ses principaux concurrents. Selon des chiffres compilés par ArianeGroup sur ces dernières années, l'Europe est la puissance spatiale qui aide le moins son lanceur.
Arianespace réalise à peine plus d'un quart de son activité grâce aux lancements institutionnels, c'est à dire ceux confiés par les acteurs publics ou étatiques européens (Commission Européenne, l'Agence spatiale européenne et ses différents états membres, l'Agence européenne Eumetsat de météorologie...). Cette proportion grimpe à 57% pour les Etats-Unis, 79% pour la Russie, 89% pour la Chine. Conséquence: pour atteindre l'équilibre, ArianeGroup doit chercher un complément d'activités vital auprès des opérateurs privés, qui cherchent les prix les plus bas.
Cette situation crée une distorsion de concurrence. SpaceX profiterait des marges confortables pour ses nombreux lancements réalisés au profit de la NASA et du Pentagone pour mieux casser les prix sur les marchés en compétition face à Ariane. Pour réduire ce handicap, ArianeGroup demande donc aux acteurs européens de s'engager sur un minimum de lancements, soit la commande de 5 Ariane 6 et 2 fusées Vega-C par an. A deux ans du premier tir d'Ariane 6, cet engagement n'est pas encore arrivé.
2 - La tenue du calendrier industriel et des performances
"Nous sommes dans les temps pour un premier lancement d'Ariane 6 en juillet 2020. Le calendrier du développement est toujours tenu. Les performances sont également tenues", a indiqué Alain Charmeau. L'opérateur promet d'arriver sur le marché en 2020 avec un lanceur 40% à 50% moins cher à produire que le lanceur actuel. Des étapes de développement significatives ont été franchies. A Vernon (Eure) en France et à Lampoldshausen en Allemagne, les tests sur les différents moteurs à propulsion liquide Vulcain et Vinci, les pièces les plus critiques d'un lanceur, se déroulent comme prévu. Le premier booster sera assemblé à Kourou (Guyane) en mai prochain. A condition d'avoir les commandes, la fabrication en série des premières fusées pourrait démarrer dès le mois de juin.
ArianeGroup a également développé des capacités industrielles inédites. Ainsi aux Mureaux (Yvelines), la nouvelle usine d'assemblage d'Ariane 6 sera bientôt inaugurée. D'imposantes capacités industrielles ont vu le jour: au Haillan (Gironde) en France pour les tuyères, à Brême en Allemagne pour l'intégration de l'étage supérieur, à Colleferro en Italie pour la fabrication des boosters... Toutefois, le schéma industriel européen complique parfois la tâche. L'Italie et l'Allemagne se disputent la fabrication des boosters qui propulsent à la fois Ariane 6 et la fusée Vega-C. SpaceX qui concentre l'essentiel de la fabrication de son lanceur dans son usine de Hawthorne en Californie, n'a pas à s'embêter avec ce genre de soucis.
3 - La capacité à répondre au défi des constellations
C'est le marché d'avenir. Aujourd'hui, le marché traditionnel des satellites de télécommunications géostationnaires s'écroule. En 2017, il s'en est vendu moins d'une dizaine, contre près d'une vingtaine lors des bonnes années. Or cet attentisme des clients opérateurs pourrait durer. Le marché des satellites de constellation comme la flotte de l'entreprise OneWeb pourrait prendre le relais.
Ariane 6 a les atouts techniques pour y répondre. "Le moteur Vinci ré-allumable rend le lanceur particulièrement adapté aux constellations", explique l'industriel. Des exemplaires d'Ariane 6 en version 2 boosters seront notamment prévus pour accueillir des minisatellites en complément du principal satellite qu'elle mettra sur orbite. Par ailleurs, ArianeGroup a innové en développant un moteur auxiliaire permettant la séparation séquentielle des satellites, afin de prévenir tout risque de collision.
4 - Une fiabilité hors pair
Arianespace a d'autant mieux résisté à SpaceX qu'elle a bénéficié de la fiabilité extraordinaire d'Ariane 5 qui a réalisé 82 tirs consécutifs sans échec jusque fin 2017. Toutefois, le lanceur européen s'est fait une grosse frayeur en début d'année. Il s'en est fallu de peu qu'Arianespace ne perde les deux satellites lors de son premier lancement de l'année, le 25 janvier dernier. Mal paramétré, le lanceur a suivi une mauvaise trajectoire mais les satellites devraient rejoindre in fine leurs bonnes orbites.
"Nous avons renforcé les contrôles sur l'élaboration de la spécification qui avait été rédigée avec une erreur. Nous sortons de cette expérience encore plus robustes qu'auparavant", tient à rassurer Alain Charmeau, patron d'ArianeGroup. Il réfute l'idée que l'erreur soit liée à la nouvelle organisation d'ArianeGroup, qui vise à supprimer les interfaces qui existaient encore du temps Arianespace et d'Airbus Safran Launchers.
5 - La maîtrise de la réutilisation si le marché l'exigeait
Le retard européen dans ce domaine est une menace importante pour le lanceur. Si SpaceX réussit à transformer le succès technologique de ses fusées réutilisables en succès commercial en cassant les prix du marché, Ariane 6 serait en position difficile.
ArianeGroup reste toujours dubitatif sur la pertinence du modèle économique de la réutilisation des lanceurs. Prudente, l'Europe s'y prépare toutefois. Le CNES travaille sur des démonstrateurs de fusée réutilisable: le premier, Callisto, à l'échelle réduite en partenariat avec ses homologues japonais et allemand; le second Themis à l'échelle réelle, à travers une coopération avec ArianeGroup, sera testé à partir de 2025. En parallèle, l'Europe développe le moteur Prometheus, réutilisable et jusque dix fois moins cher que le moteur Vulcain actuel. Seul hic de ces initiatives: s'il voit le jour, le lanceur réutilisable européen ne volerait pas avant 2030. C'est loin, très loin.
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