Le soin, un marché semé d'embûches pour les groupes de luxe
par Astrid Wendlandt
PARIS (Reuters) - Burberry espère s'imposer dans les soins de beauté et faire jeu égal avec des marques telles que Chanel et Christian Dior, mais le groupe de luxe se lance sur un marché déjà bien encombré en dépit d'alléchantes perspectives en Asie.
Nombre de groupes de luxe ont échoué à imposer leurs crèmes pour la peau, tandis qu'il a fallu à Dior et Chanel des décennies et des dizaines de millions d'euros d'investissements en recherche et développement pour asseoir leur notoriété.
"Le parfum est la première étape dans le monde de la beauté pour une marque de mode. Ensuite, elle peut se lancer dans le maquillage. Mais toutes les marques de mode ne peuvent entrer dans le monde des crèmes de soin", résume Jean Mortier, président de Coty Prestige (groupe Coty) qui réalise des "jus" pour Marc Jacobs, Chloé ou encore Calvin Klein.
Burberry a déclaré qu'il ne créerait pas ses propres laboratoires de recherche mais travaillerait avec des "professionnels de la chaîne d'approvisionnement" existants. Pour autant, le groupe prendra son temps pour élaborer sa gamme de soins et aucun lancement n'est prévu avant au moins un an.
Chez Dior, qui a commencé à vendre du parfum en 1947 avec Miss Dior et des crèmes de soins il y a 40 ans avec Hydra Dior, les ventes annuelles estimées des produits de beauté atteignent 1,8 milliard d'euros, davantage que les vêtements et accessoires (1,3 milliard de chiffre d'affaires).
Burberry, qui a rapatrié il y a six mois ses parfums dans son périmètre, prévoit un résultat opérationnel de son activité beauté de 10 millions de livres sterling (12 millions d'euros) cette année, loin des 25 millions anticipés précédemment sur un chiffre d'affaires de 140 millions de sterling, en raison notamment de coûts d'investissements plus élevés que prévu.
SAVOIR-FAIRE SCENTIFIQUE
Pour les maisons de mode, il est plus délicat de se faire une place dans les crèmes de soins que dans les parfums et le maquillage, car le savoir-faire scientifique entre en jeu.
"Le parfum fait appel à l'émotion, tandis qu'avec la crème de soins, on est dans le domaine de la performance et du résultat", explique Véronique Gabai-Pinsky, chez Estée Lauder.
Les crèmes qui remportent un grand succès demandent généralement de gros investissements de R&D, alors que pour les parfums et le maquillage les coûts de marketing dominent.
De plus, il y a foule sur le marché des soins de la peau, tenu par les leaders que sont les marques Clinique (groupe Estée Lauder), Lancôme (L'Oréal) ou Clarins.
Nombreuses sont les marques de luxe qui ont vainement tenté de s'y faire une place. Stella McCartney a lancé en 2007 les soins biologiques CARE, interrompus quatre ans plus tard. Le joaillier Bulgari a lancé Secret de Gemmes, une ligne anti-âge abandonnée avant son rachat par LVMH en 2011.
A l'inverse, de grands noms de la mode comme Marc Jacobs et Michael Kors, tous deux entrés cette année dans le maquillage, n'ont pas l'intention de se lancer dans les soins.
Miu Miu (groupe Prada) qui a signé un partenariat avec Coty le mois dernier pour un parfum en 2015, n'est pas non plus pressé. "Prada et Miu Miu ont un fort potentiel dans le parfum, nous préférons y aller progressivement et rester sur le parfum pour le moment", a dit un porte-parole de Prada.
POTENTIEL DE CROISSANCE
Si Coty a réalisé au printemps des soins pour Chloé (groupe Richemont) au Japon, où le parfum de la marque est un succès, il n'a pas encore décidé de l'étendre à d'autres pays.
L'Asie-Pacifique pèse pour 60% du marché mondial du soin haut de gamme évalué à 28 milliards d'euros, et le marché chinois devrait presque doubler d'ici 2017, à six milliards d'euros, selon Euromonitor.
L'Asie est une région du monde où les soins de la peau revêtent une importance culturelle, tandis que l'habitude de se parfumer est historiquement plus répandue en Europe.
Yves Saint Laurent Beauté (L'Oréal) a lancé en 2012 une crème anti-âge aux débuts encourageants. Cette gamme représente désormais 8% du chiffre d'affaires total de YSL Beauté, et 40% au Japon, note son directeur général international, Stephan Bezy.
"Pour être un acteur majeur dans la beauté, il faut réussir dans le maquillage, le parfum et les soins", dit-il.
Renzo Rosso, fondateur et propriétaire de Diesel, a confié à Reuters qu'il aimerait lancer une ligne de soins, mais que L'Oréal, qui dispose de la licence de son parfum Diesel, n'est pas enthousiasmé par cette idée. "L'Oréal ne veut pas investir dans ce projet pour le moment", a-t-il dit.
L'Oréal, qui n'a pas voulu faire de commentaire à ce sujet, pourrait être bien avisé d'être prudent.
Dominique Rodriguez pour le service français, édité par Pascale Denis