Le secteur automobile espagnol prospère mais doit se repenser

par Sonya Dowsett

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MARTORELL, Espagne (Reuters) - À l'heure où l'industrie automobile européenne en crise commence à peine à entrevoir la lumière au bout du tunnel, les usines d'assemblage espagnoles tournent à plein régime et des emplois sont créés.

Malgré les années de récession et de mesures d'austérité qui ont plombé son économie, l'Espagne a tenu son rang de deuxième producteur automobile européen et résisté à la concurrence de plus en plus sévère des pays où les coûts sont moins élevés, comme la République tchèque.

Mais si elle veut que cette situation perdure, mettent en garde les professionnels du secteur, il va falloir développer les activités de recherche et développement, mais aussi que l'Etat améliore le réseau de transport de fret, en dépit de ses difficultés budgétaires.

Pour l'heure, le temps est au beau fixe. Dans un pays où le taux de chômage dépasse 26%, les chaînes de production de la plus grande usine espagnole semblent tout droit venues d'une autre planète.

À Martorell, près de Barcelone, le siège de Seat, la filiale espagnole du groupe Volkswagen, pas moins de cinq modèles de voiture sont assemblés, dont l'Ibiza et la Leon, et la production a augmenté de 7% l'an dernier.

"Personne ne parle de chômage technique ici et il n'y a eu aucun licenciement", se réjouit Pedro Pastor, un ouvrier de 30 ans qui travaille depuis une décennie pour Seat. "Je peux faire la comparaison avec mes amis (à l'extérieur), dont beaucoup sont au chômage et n'arrivent pas à trouver un emploi."

A l'instar du Mexique, qui inonde presque tout le continent américain de voitures produites sur son territoire, l'Espagne tire son épingle du jeu en ciblant les marchés plus prospères de l'Union européenne et en maintenant des coûts de production peu élevés.

FLEXIBILITÉ DU TRAVAIL

Tout le monde n'est pas logé à la même enseigne : six années de recul des ventes et les stratégies agressives de prix cassés en Europe ont porté un coup sévère aux constructeurs de moyennes cylindrées, comme PSA Peugeot Citroën, dont les pertes se sont élevées à cinq milliards d'euros l'an dernier.

Or, la France est le premier marché à l'export pour Seat, devant l'Allemagne et la Grande-Bretagne.

Le secteur automobile espagnol a créé 2.400 emplois au premier semestre 2013, grâce à l'ouverture de chaînes de production par Ford et même PSA, qui ont investi 3,5 milliards d'euros dans la péninsule au cours de l'année écoulée.

Soucieux de préserver les emplois dans un contexte de flambée du chômage, les syndicats ont été enclins à accepter davantage de flexibilité du travail et un gel des salaires, ce qui a contribué à garnir les carnets de commande.

Bien qu'il n'y ait plus de constructeur purement espagnol depuis que Volkswagen a racheté Seat, en 1986, le secteur automobile représente 10% du produit intérieur brut (PIB) et emploie 9% de la main-d'oeuvre salariée.

Les salaires des ouvriers du secteur sont proches de la moyenne européenne - comparables à ceux de leurs homologues italiens, par exemple - mais syndicats et patronat se sont accordés sur des mesures de flexibilité, comme le fait d'allonger le temps de travail en période de forte activité et de prendre des congés quand les chaînes tournent au ralenti.

"Les syndicats espagnols signent les meilleurs accords de négociations collectives avec les sociétés multinationales en Europe", a dit cette semaine à Reuters le ministre du Trésor, Cristobal Montoro.

Les syndicats ont fait d'autres concessions encore impensables il y a cinq ans, comme l'adoption d'une double grille de salaire qui permet de payer les nouveaux employés moins cher que ceux qui sont déjà dans l'entreprise pour un travail équivalent.

Certaines de ces mesures, comme le fait que les négociations salariales sont désormais menées au sein de chaque entreprise, et non du secteur tout entier, ont été inscrites dans la loi lors de la réforme du travail mise en place l'an dernier par le gouvernement.

CONCURRENCE TCHÈQUE

Selon les syndicats, le gel des salaires du secteur signifie qu'ils sont restés en retard sur l'inflation d'environ deux points de pourcentage ces deux dernières années. Compris dans une fourchette de 1.900 à 2.000 euros mensuels, ils restent supérieurs au salaire moyen espagnol.

Les salaires ne représentent cependant que 10% environ du coût de production d'un véhicule.

Pour que les chaînes espagnoles puissent tourner à 85% en 2015, contre 68% en 2012, comme le prévoit le consultant IHS Automotive, les constructeurs appellent l'Etat à améliorer le réseau de transport de marchandises, clé d'un meilleur accès aux marchés étrangers qui absorbent 90% de la production.

"La limitation des salaires ne suffit pas. Il faut améliorer le transport de fret", insiste Mario Armero, vice-président de l'Association des constructeurs espagnols (ANFAC).

Le gouvernement, qui a jusqu'ici privilégié le transport des passagers pour favoriser la croissance du secteur touristique, a promis d'investir 112 millions d'euros pour connecter ses ports aux réseaux routiers et ferroviaires. Mais ces grands travaux risquent de prendre du retard dans un contexte d'austérité.

Ces délais inquiètent les professionnels du secteur, qui voient poindre la concurrence de pays comme la République tchèque, où les coûts de production sont deux fois moins élevés et dont les usines sont plus proches des principaux marchés, dont l'Allemagne.

Ils auront bientôt un élément de réponse lorsque Volkswagen décidera s'il produit le nouveau SUV de Seat à Martorell ou dans les usines de sa filiale tchèque Skoda.

L'une des parades, disent les professionnels, serait d'attirer les activités de recherche et développement en Espagne, afin que le secteur soit moins dépendant de ses chaînes de production.

Ce que Manuel Diaz, expert technique de PwC, résume ainsi : "L'Espagne ne doit plus être qu'un atelier d'assemblage".

Avec Laurence Frost, Tangi Salaün pour le service français, édité par Gilles Trequesser

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