Le numérique et l’environnement ne peuvent plus s’ignorer
L’organisme de formation continue du CNRS, CNRS Formation Entreprises, s’engage pour l’environnement en proposant la formation « Enjeux des technologies numériques écoresponsables », dispensée par Eric Rondeau, chercheur au CNRS.
Aujourd’hui, le numérique est en constante évolution. Il est partout, et devient de plus en plus énergivore et polluant. Pour pallier cela, il est indispensable pour les ingénieurs du numérique d’adopter une vision écoresponsable en plaçant l’humain au cœur de leur métier et en prenant la terre, l’air et l’eau en considération dans toute leur réflexion.
Focus sur le concept d’écoconception avec Eric Rondeau, chercheur au laboratoire CRAN du CNRS, qui œuvre pour sensibiliser les acteurs du numérique d’aujourd’hui et de demain, notamment à travers la formation « Enjeux des technologies numériques écoresponsables », organisée par CNRS Formation Entreprises.
Quels sont aujourd’hui les impacts du numérique sur l’environnement ?
E. R. : Le monde numérique a un impact aussi positif que négatif sur l’environnement. Il est présent dans les villes, entreprises, habitations, voitures, bus, train, avion… Et peut prendre la forme de serveurs, réseaux de communication, ordinateurs, smartphones, tablettes, imprimantes, objets communicants… Les performances et les objets numériques évoluent tous les dix-huit mois, selon la loi de Moore. Nous développons aujourd’hui des services qui étaient inimaginables quelques années auparavant ! C’est l’aspect positif, car cela construit le monde de demain, mais cela signifie aussi que nous surutilisons les ressources de la Terre en émettant plus de gaz à effet de serre. En effet, nous devons produire plus d’électricité pour faire fonctionner ces éléments et les refroidir, mais aussi pour fabriquer de nouveaux modèles et de nouveaux objets lorsque les anciens ne semblent plus répondre à nos besoins.
Si les travailleurs du numérique incluaient l’environnement dans leur métier, ils pourraient par exemple considérer différemment la toxicité des composants durant la phase de recyclage, le bruit d’un datacenter, les ondes radio des communications sans-fil, la préservation des paysages lors du déploiement d’antennes GSM…
Comment chacun peut-il minimiser l’impact du numérique sur l’environnement ?
E. R. : Tout est possible avec le numérique aujourd’hui. Par exemple, on peut facilement y diffuser des données, des connaissances, des expériences, éduquer, acheter, jouer, échanger… Toute la complexité est d’en définir les limites. Il y a quelques années, les acteurs du numérique ont dû suivre des règles éthiques, comme l’anonymat et la protection des données personnelles. Aujourd’hui, pour aller plus loin, cette éthique doit être intégrée par tous et dans toutes les phases du cycle de vie de la conception d’une solution numérique : lors de l’achat de matériels, en s’interrogeant sur les conditions de travail ou les matériaux utilisés pour les fabriquer ; lors de l’utilisation de programmes informatiques, en se demandant si ces logiciels sont piratés ou libres de droit… Pour concevoir une ingénierie écoresponsable respectueuse de l’environnement, il faut, dans un premier temps, appliquer une éthique respectueuse des hommes.
En adoptant une démarche d’écoconception, il est possible de minimiser l’impact du numérique sur l’environnement. Grâce à son intelligence, l’éthique rend plus propre les maisons, les villes, les transports, l’énergie et l’industrie et change nos habitudes quotidiennes, avec ce paradoxe de développer des solutions digitales polluantes pour moins polluer par ailleurs. Pour protéger la nature, cela oblige d’abord à analyser l’impact négatif du numérique pour évaluer ensuite un rapport coût-bénéfice : c’est la démarche d’écoconception. Cette analyse est actuellement peu courante, pourtant elle aurait le mérite d’amoindrir le message négatif du numérique sur la planète.
Qu’est-ce qu’une démarche d’écoconception et comment l’adopter ?
E. R. : La première étape d’une démarche d’écoconception passe par la définition de métriques supplémentaires à celles utilisées en informatique (temps de réponses, pertes d’information…) pour analyser le rapport coût-bénéfice, puis par l’intégration de nouvelles contraintes et objectifs. Ainsi de nouvelles solutions informatiques émergent : la mise en place de procédures de mises en sommeil sur les nœuds d’interconnexion réseaux ainsi que la virtualisation et la cloudification ,qui permettent de réduire le nombre de serveurs.
Ces solutions techniques continuent d’évoluer, mais la difficulté majeure réside dans la prise en compte environnementale. Par exemple, il existe une centaine de métriques pour analyser un datacenter « vert »1, mais cela entraîne des confusions sur les arbitrages dans les prises de décision car elles peuvent être contradictoires : la réduction des gaz à effet de serre peut se faire au détriment d’une augmentation de l’utilisation des énergies renouvelables. En effet, l’électricité produite par des panneaux solaires est plus carbonée que celle produite par une centrale nucléaire. Une vision systémique est alors indispensable en écoconception pour prendre en compte l’impact global d’un choix sur un autre. Numérique et environnement ne peuvent donc plus s’ignorer.
Comment sensibiliser les acteurs du numérique à ces enjeux environnementaux ?
E. R. : À travers ce constat, il est essentiel de sensibiliser les travailleurs du numérique d’aujourd’hui et de demain sur l’environnement. C’est pourquoi, je dispense avec CNRS Formation Entreprises la formation « Enjeux des technologies numériques écoresponsables ». Nous montrons aux participants comment, en respectant les règles d’un système éco-mature, nous pouvons élaborer des solutions en adéquation avec la nature. Nous illustrons cette approche dans deux directions. La première2 consiste à élaborer des métriques environnementales pour le numérique en cohérence avec les recommandations faites par J. Benuys. La seconde3 permet de comparer les performances vertes de datacenters avec des indicateurs réduits et compréhensibles par tous. Ces règles de la nature pourraient être utilisées dans d’autres secteurs et vues comme un espéranto en écoconception.
Aussi, en créant le Master international PERCCOM (PERvasive Computing & COMmunications for sustainable development), labélisé et subventionné par la Commission Européenne, j’ai mené avec d’autres collaborateurs une expérience pour former une première centaine d’étudiants avec cette double compétence : l’Informatique et l’Environnement.
Les cadres du numérique de demain vont devoir être inventifs pour répondre à ces nouveaux défis en repartant, par exemple, sur des idées simples, où pour ne pas brutaliser la nature, il faudrait dans un premier temps l’écouter.
1) Dinesh Reddy, V., Setz, B., Rao, G.V., Gangadharan, G.R., Aiello, M., 2017. Metrics for
sustainable data centers. IEEE Trans. Sustain. Comput. 2 (3), 290e303.
2) N. Drouant, E. Rondeau, JP. Georges, F. Lepage Designing green network architectures using the Ten Commandments for a mature ecosystem, Computer Communications, Vol 42, pp 38-46, April 2014.
3) S. Kubler, E. Rondeau, J.P Georges, P. Lembi Mutua, M. Chinnici, Benefit-Cost model for comparing data center performance from a Biomimicry perspective, Journal of Cleaner Production, Vol 231, 817-834, 10 sept 2019.
Contenu proposé par CNRS