Conférence de presse ? Ou meeting politique ? Le doute était possible en écoutant Pierre Gattaz, le président du Medef, dérouler les propositions de l'organisation patronale pour créer un million d'emplois en France d'ici à 2020. En conclusion, il convoque le patriotisme et termine son discours d'un "vive l'entreprise, vive la France", comme un écho à un Premier ministre qui déclarait il y a peu qu'il aimait l'entreprise. C'est que le document du Medef a des allures de programme électoral économique, proposant de réduire le coût du travail, les impôts et les taxes, de simplifier la législation du travail, des propositions récurrentes depuis que Pierre Gattaz est élu...
En somme du très classique pour un mouvement représentant les entreprises et, pour tout dire, rien de bien neuf par rapport aux précédentes prises de parole du Medef. La page Parisot est bel et bien tournée et on sent comme un regain de l'influence de Denis Kessler, l'homme qui murmurait à l'oreille d'Ernest-Antoine Sellière, dans ce programme à base de déréglementation et de libéralisation. On y retrouve la contestation des 35 heures comme durée légale du travail pour toutes les entreprises, la volonté d'un travailler plus (avec la suppression de deux jours fériés)...
Les raisons invoquées par le Medef sont elles aussi connues : les marges des entreprises laminées par l'augmentation des prélèvements fiscaux et sociaux depuis plusieurs années, un droit du travail trop complexe et incertain. Expert ès réthorique, le monsieur Social de la maison, Jean-François Pilliard regrette que 80% des embauches se fassent en CDD quand les chefs d'entreprises préfèreraient des contrats moins précaires s'ils pouvaient mettre un terme au CDI de façon moins coûteuse et plus certaine. Moins de précarité à l'embauche c'est possible si... les salariés acceptent un assouplissement des règles du licenciement.
"Le monde va nous broyer"
Tout le programme du Medef est ainsi pris dans une subtile danse de pas en avant et de pas de côté. Rien ne serait plus faux que de croire que Pierre Gattaz et son équipe pratiquent un jeu de chamboule tout sur le social. Là où le paradoxe est le plus criant c'est dans le calendrier. D'un côté, Pierre Gattaz répète à l'envi que la situation est catastrophique : "si on reste immobile, le monde va nous broyer", a-t-il prévenu en réponse à une question. Pourtant, il n'a eu de cesse de repousser la présentation de ces mesures d'abord prévues pour l'université d'été puis pour la semaine dernière.
Etrange décalage entre une situation alarmiste et un fignolage des propositions, comme si voyant l'iceberg, le capitaine du Titanic décidait de polir les bateaux de sauvetage pour qu'ils soient plus jolis. Plus encore, dès qu'on lui fait remarquer que les mesures sont provocatrices, ou qu'elles ont été contestées par tel ou tel, le président du Medef s'abrite derrière un "ce sont des propositions, dont il faut discuter sans tabou". Quand on est sur le point de se faire broyer par le monde, peut-on encore discuter ?
De ces précautions résulte parfois une impression d'imprécision . Par exemple, Pierre Gattaz refuse de dire qu'il veut supprimer les 35 heures, mais il est d'accord pour que ce ne soit plus la durée légale. Subtile nuance reprise par Geoffroy Roux de Bézieux qui explique que les 35 heures ne sont pas la durée légale (!), que la durée du travail annuelle est la seule pertinente et que la seule durée légale qui vaille ce sont les 48 heures hebdomadaires maximum prévues dans la loi. Quand on lui demande si les entreprises sont prêtes à renoncer, en échange, aux allègements de charges dont elles bénéficient, la réponse convainc partiellement. "C'était pour compenser la hausse du coût du travail consécutive à la réduction du temps de travail. Les entreprises n'ont pas baissé les salaires alors", explique Geoffroy Roux de Bézieux.
Au cas par cas
De là à augmenter les salaires si l'on travaille davantage ? Interrogé sur ce point, à propos de la suppression souhaitée de deux jours fériés, Pierre Gattaz a estimé que c'était aux entreprises de juger au cas par cas.
Les solutions proposées pour l’emploi reprennent aussi les souhaits récurrents des différentes fedération du Medef. On retrouve ainsi l'exploitation du gaz de schiste qui réjouira l'Ufip, la critique de Bale 3 et de Solvency 2, que réclament banques et assureurs ou encore la demande que les collectivités locales reprennent le programme d'investissement dans les infrastructures, une mesure présentée par Patrick Bernasconi l'ancien patron de la fédération des travaux publics. Du classique comme l'ouverture des commerces le dimanche pour stimuler le tourisme.
Les partenaires sociaux avaient froidement accueilli les fuites dans la presse de ces mesures. Accepteront-ils maintenant d'en discuter ? Ou vont-ils à leur tour faire des propositions avant que le monde ne nous broie ?
Christophe Bys
24/09/2014 - 23h10 - Attéré
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