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Coach et professeur à l’école de management de Grenoble, Agnès Muir-Poulle publie aux presses universitaires de Grenoble un "Petit traité d’impertinence constructive". L’ouvrage décrypte pourquoi il est urgent de libérer la parole dans l’entreprise et comment cette libération est synonyme d’une plus grande efficacité. Dans l’interview qu’elle nous a accordé, elle revient aussi sur le bon usage de la vitesse et sur la façon dont le management doit évoluer pour s’adapter à la société et à l’économie du 21e siècle. Son constat est radical : le caporalisme c’est fini !
L'Usine Nouvelle : Votre livre s’intitule "Petit traité d’impertinence constructive". Faut-il en conclure que, comme pour le cholestérol, il y a la bonne et la mauvaise impertinence ?
Agnès Muir-Poulle : Ce que j’ai appelé impertinence constructive désigne la capacité à exprimer son avis sur un sujet polémique et à savoir entamer un dialogue fertile avec sa hiérarchie. Ce serait ça la bonne impertinence, exprimer une idée qui a pour but d’améliorer la situation quelle qu’elle soit. La mauvaise impertinence, ce serait ne pas être ouvert à la co-construction d’une solution. Ce serait partir en bataille, fermer le débat, ne pas être capable d’entendre les arguments de l’autre, ne pas chercher à comprendre un autre point de vue, juger sans connaître.
Pour quelles raisons, les salariés préfèrent se taire plutôt que d’exprimer leur point de vue ? Y-a-t-il une fatalité ?
Les causes sont évidemment multiples. L’éducation à la française joue un rôle important : beaucoup de personnes ont été formatées à se taire et à se plier à l’autorité. Seul celui qui est bon élève peut s’autoriser beaucoup de choses. L’élève "moyen" qui propose une idée ou questionne est très souvent mal vu. Le résultat est qu’adulte nous avons intégré qu’il vaut mieux se taire que d’avoir une pensée différente. Un autre facteur vient de l’uniformité de la formation des élites et de la composition homogène de nombreux comités de direction, qui rendent difficile l’expression de pensées divergentes.
A cela, s’ajoutent des facteurs psychologiques bien connus : exprimer une pensée différente, c’est prendre le risque de ne plus appartenir au groupe, d’être rejeté. Or, le désir de conformité sociale est très fort chez les êtres humains : pour rester dans le groupe, nous sommes prêts à ne rien dire. Il y a aussi la peur d’être jugé négativement par sa hiérarchie. Mais ceci n’est pas une fatalité. On peut apprendre à être impertinent et constructif. J’ai rencontré des personnes qui ont fait le pas. Elles se sentent plus en paix avec elle-même, ont su tisser des relations de meilleure qualité et ont contribué à améliorer les choses.
Dans quelle mesure ce silence des personnes est-il dommageable pour les organisations ?
C’est d’abord dangereux pour les individus. Ne pas parler a un impact sur la santé et les relations. Les études montrent que le sentiment d’une faible autonomie dans le travail est une cause majeure de stress. Les entreprises aussi y perdent. Le déficit d’engagement a un impact direct sur les marges selon une étude de Towers Watson. Le déficit d’intelligence collective peut entrainer des coûts de projets démesurés. Il ne permet pas de simplifier des procédures devenues inadaptées et d’être agile. Des chercheurs ont mis en évidence le lien entre la "stupidité fonctionnelle" et la faillite de certaines entreprises. Par ailleurs, je pense que le manque d’impertinence constructive a des effets néfastes sur la capacité d’innovation et notre économie en a cruellement besoin. La France est au 20e rang des nations innovantes ! Enfin, des individus qui ne sont pas heureux dans leur travail ne parlent pas favorablement de leurs organisations, ne sont pas enthousiastes… Il y a des coûts cachés non négligeables.
Les solutions que vous préconisez dans votre livre requièrent du temps, celui d’explorer ces besoins et ses envies, celui du dialogue… le modèle de décision centralisé n’a-t-il pas l’avantage de la vitesse dans un monde qui s’accélère ?
Il faut savoir se hâter lentement. La vitesse n’est pas toujours bonne conseillère. Je crois que pour être performant, il faut savoir ralentir, prendre le temps de questionner globalement les solutions et les impacts de ces décisions pour pouvoir aller vite après. Tous les grands dirigeants que j’ai rencontrés n’ont pas de problèmes avec la lenteur. Ce sont souvent leur entourage qui sont pris dans le tourbillon de la vitesse. Apprenons ensemble à oser et à partager une diversité de points de vue, à ralentir pour agir ensuite vite et juste.
Dans votre livre, vous citez des propos de Francis Mer sur les managers de terrain : "s’il passe son temps à montrer à ses chefs qu’il est parfait et respecte toutes les procédures, plutôt qu’aider son équipe à améliorer ses performances, il fait fausse route et l’entreprise avec lui". Pourquoi ?
Je trouve intéressant qu’un grand dirigeant comme Francis Mer exprime aussi clairement le besoin que l’on a d’avoir des managers qui aient confiance dans les autres. Le manager tout puissant, qui sait tout et choisit l’obéissance plutôt que le respect de l’autonomie et le dialogue fertile est une conception complètement dépassée et très risquée pour les entreprises du XXIème siècle.
De plus en plus, le manager doit co-construire avec son équipe. Pas sur tous les sujets, car ce serait épuisant et irréaliste. Le rôle du manager est en train d’évoluer en profondeur. Il doit de plus en plus être au service des membres de son équipe et trouver les moyens pour que les gens travaillent bien, en étant bien dans leur peau. Il doit pour cela apprendre à très bien animer et coordonner.
Ceux qui pensent que ce n’est pas possible de faire de cette façon doivent regarder du côté d’entreprises telles que E2V, Manutan, ARaymond, MMA, La Boite à outils, Sogilis… Ces entreprises sont performantes et ont choisi de mettre en place des pratiques d’organisations nutritives.
Vous écrivez que le pouvoir sera de plus en plus un "pouvoir ensemble". Quel est l’intérêt de l’ambition si, à peine arrivé à un poste de pouvoir, il faut le partager ?
Je ne crois pas qu’avoir le pouvoir seul soit utile pour la société. Croire que le pouvoir c’est uniquement être en compétition c’est faire fausse route. Je pense que l’on a tous intérêt à développer la collaboration. Ensuite, décider est un acte responsable. Décider à plusieurs est souvent très compliqué et doit s’apprendre. Décider est ce qu’il y a de plus dur dans le pouvoir, car il faut être prêt à déplaire et à prendre des risques.
Les magazines féminins des années 80 nous parlaient des superwomen. On a l’impression qu’elles ont cessé d’être battantes et compris qu’elles obtiendraient leur pleine liberté en partageant leur pouvoir. N’est ce pas la même chose qui se passe avec les managers, qui doivent apprendre à se faire aider par leur équipe ?
Le parallèle est audacieux. Mais je crois effectivement qu’un manager doit susciter l’entraide. Dans un monde complexe comme le nôtre, personne n’a seul la solution.
Le principal obstacle reste dans nos croyances que se faire aider est une faiblesse et une perte de crédibilité du leader. Si on veut manager les autres, on ne peut pas faire l’économie de bien se connaître, de savoir ce qui nous freine, nous motive. On parle peu de ses peurs dans le monde du travail. C’est regrettable. Car la peur a une vertu : elle nous rend vigilant.
Propos recueillis par Christophe Bys
Le livre d’Agnès Muir-Poulle paraîtra le jeudi 18 septembre. A pré-commander chez tous les libraires.
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