Le futur de l'automobile passera par l'innovation dans les matériaux

Ces dernières années, l'allègement des véhicules est devenu un enjeu majeur pour la croissance verte de l'industrie automobile. Une démarche qui fera nécessairement appel aux progrès et à l'innovation des industriels en chimie des matériaux.

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Le futur de l'automobile passera par l'innovation dans les matériaux
Les matériaux composites peuvent être employés pour leur rigidité dans les pièces structurelles d'un véhicule.

En avril 2015, les pouvoirs publics nationaux ont lancé la deuxième phase du programme de réindustrialisation dénommé « Nouvelle France Industrielle » (NFI).

Il vise à moderniser en France l'outil de production et à transformer le modèle industriel par le numérique. Ce plan repose sur neuf « solutions industrielles » issues de la tendance de l'industrie du futur. Parmi les axes développés par le NFI, celui lié à la mobilité écologique a pour objectif de rendre les véhicules des particuliers plus écologiques. « Durant la vie d'un véhicule, environ 73 % des émissions de CO2 sont liés à son usage, contre 15 % pour sa production », précise Gérard Liraut, expert leader Polymères Caractérisation et Procédés de transformation du groupe automobile Renault. Avant d'ajouter : « L'allègement des matériaux constitue l'un des postes d'amélioration de l'empreinte carbone d'un véhicule, mais ce n'est pas le seul. Il est également possible de travailler sur l'architecture, l'électrification, l'aérodynamisme, les frottements ou encore le moteur ». Cependant, bon nombre de constructeurs automobiles travaillent sur la problématique de diminuer le poids des pièces structurelles du véhicule et les vitrages. « Il y a un potentiel d'allègement de 200 à 300 kg à aller chercher via les matériaux. L'utilisation des aciers à très haute limite élastique permet un gain de poids de 10 %, tandis que l'utilisation d'autres métaux comme l'aluminium ou le magnésium aiderait à 20 %. L'usage de composites à la place de l'acier dans les pièces structurelles serait une rupture technologique, puisqu'elle offrirait un allègement allant jusqu'à 30 % du poids du véhicule », développe Gérard Liraut (Renault).

À l'heure actuelle, les véhicules automobiles de série restent majoritairement constitués de matériaux métalliques et plastiques. « Près de 75 % de la masse d'une voiture est due au poids des matériaux métalliques : acier, fonte et aluminium principalement », détaille Louis David, maître expert Matériaux chez le constructeur automobile PSA. Avant de continuer : « Le poids des matériaux polymères dans une voiture représente 20 % de la masse d'une voiture, comprenant des plastiques chargés, des élastomères et des composites ». « Le secteur a notamment recours à des polymères de spécialités procurant de moyennes ou hautes performances en matière de résistance mécanique, de tenues chimique et thermique », constate Patrick Cazuc, responsable Développement Polymères et Élastomères pour l'automobile chez DuPont.

Des polymères de plus en plus présents dans le véhicule

En ce qui concerne les éléments sous le capot, la structure et la carrosserie, l'industrie automobile a recours à plusieurs types de matériaux. Si les matières métalliques comme l'acier et l'aluminium prédominent en raison de leurs performances et de leur bonne "processabilité" à la fabrication, les polymères rattrapent peu à peu leur retard et sont de plus en plus présents dans ces parties. « Les parties extérieures telles que les boucliers, les ailes, le capot ou encore les hayons sont majoritairement constituées de polypropylène (PP) », détaille Gérard Liraut (Renault). Plus surprenant, il est possible de retrouver des plastiques à proximité de zones où les contraintes thermiques sont très fortes. « L'adoption du plastique s'accroît dans l'automobile, avec notamment le développement des polymères chargés et des polymères à haute tenue de température », affirme Louis David (PSA). À tel point qu'il est désormais possible d'en retrouver dans l'environnement moteur. « Les systèmes d'alimentation de carburant, d'air ou encore les réservoirs sont constitués principalement de polyéthylène (PE), de polypropylène (PP), de polyamide (PA) et de polymères hautes performances », liste Gérard Liraut (Renault). « Depuis plusieurs années, le secteur automobile a été contraint de réduire la taille des moteurs de ses véhicules, ce qui entraîne des contraintes thermiques supplémentaires. Pour aider nos clients à répondre à ce défi, nous commercialisons des PA chargés en fibres de verre, capables de supporter des températures de plus de 200 °C », explique Laurent Vaucenat, directeur Grands comptes Automobiles Renault-Nissan-PSA chez BASF.

Pour les pièces de structure, l'emploi de composites est également possible comme chez l'équipementier automobile Faurecia. « Les pièces semi-structurelles en grande série comme les hayons de coffre, le bac de roue de secours ou le fond de coffre, nous utilisons des composites renforcés par des fibres de verre. En ce qui concerne des pièces en plus petite série, Faurecia a recours également à des composés renforcés fibre de carbone », précise Olivier Lefriec, porte-parole de Faurecia. « Techniquement, les composites peuvent être employés dans des zones où l'on recherche de la rigidité au niveau du matériau », explique Louis David (PSA). Avant d'affirmer : « De plus, certains sont capables de supporter les procédés de l'automobile comme la cataphorèse. Les composites devraient constituer une alternative sérieuse aux aciers et à l'aluminium d'ici à 5 ans ».

Autre poste où le potentiel d'allègement pourrait s'accroître : les vitrages qui représentent environ 3 à 4 % du poids total d'une voiture. Actuellement, les constructeurs automobiles utilisent essentiellement du verre minéral. « Les acteurs de la filière sont réglementairement tenus d'utiliser ce type de verre pour le pare-brise », indique Louis David (PSA). Il existe bien des alternatives organiques pour ce type d'application telles que le polycarbonate (PC), ou le verre acrylique (PMMA) démocratisé notamment par Arkema sous la marque Altuglas. Cependant, ces résines sont peu employées dans la filière automobile, essentiellement pour des raisons technico-économiques comme le précise Gérard Liraut (Renault) : « Leur résistance aux rayures et à l'abrasion reste insuffisante notamment pour des vitres coulissantes ou dotées d'essuie-glaces. De plus, leur prix reste trop élevé, comparé au verre minéral, ce qui est un frein pour un usage à fort volume ». En outre, il subsiste des limites en ce qui concerne le photo-vieillissement, et le phénomène de distorsion de l'image due aux différents indices de réfraction de la lumière. « Compte-tenu des verrous actuels et de la réglementation, la substitution du verre minéral par du verre organique dans les pare-brises n'aura pas lieu avant une dizaine d'années », estime Laurent Vaucenat (BASF).

Améliorer la compétitivité des composites

En ce qui concerne les matériaux employés à l'avenir, les acteurs de l'automobile fondent beaucoup d'espoir dans les composites pour la substitution de l'acier et de l'aluminium. Cependant, certains verrous les concernant sont encore à faire sauter. Premièrement, les performances ne sont pas encore tout à fait équivalentes à celles des matériaux métalliques, notamment au niveau des propriétés de tenue à la statique (pour les revêtements), à la fatigue et au crash. La modélisation pourrait être un levier pour améliorer les propriétés. « Les composites et les thermoplastiques injectés sont encore insuffisamment documentés pour réaliser des modèles », indique Gérard Liraut (Renault). De plus, le prix de ces matériaux se révèle encore trop élevé pour une utilisation dans des véhicules commercialisés en série. « Le ratio gain de poids/coût n'est pas encore favorable aux composites vis-à-vis des matériaux métalliques. Cela s'explique notamment par la présence d'un outil industriel historiquement orienté pour la métallurgie », explique Laurent Vaucenat (BASF). Avant d'affirmer : « Pour favoriser l'innovation de matériaux innovants, il est nécessaire de faire évoluer les mentalités car le cahier des charges actuel de l'industrie automobile est conçu pour une industrie métallurgiste ».

Un autre axe de travail concerne l'approvisionnement de la filière automobile. « Les composites sont techniquement et économiquement adaptés pour une production à faible cadence. Mais ce rythme est insuffisant, si l'on doit utiliser les composites pour les voitures de série », détaille Gérard Liraut (Renault).

Plusieurs composites prometteurs

Dans ce contexte, la filière automobile attend beaucoup des progrès concernant les composites renforcés fibres de carbone, qui sont actuellement trop onéreux. À ce propos, les acteurs de l'automobile, en collaboration avec ceux de la chimie et de l'institut technologie Jules Verne ont initié un projet dénommé FORCE, initié en 2014. Piloté par la Plateforme de la filière automobile et l'UIC, ce programme de R&D vise à donner naissance à une filière de fibres de carbone économiques (à moins de 8 €/kg). En outre, l'industrie automobile s'intéresse également aux composites renforcés avec fibres naturelles comme le lin ou le chanvre, mais toujours en recherche d'un intérêt technique. « L'industrie refuse de payer pour le fait qu'un matériau ou un polymère soit issu de la biomasse », affirme Patrick Cazuc (DuPont). « Aujourd'hui, il n'est pas encore possible de fabriquer en version bio-sourcée tous les types de matériaux répondant aux besoins des constructeurs automobiles et à leur cahier des charges. Utiliser des matières premières renouvelables grâce à la technologie Biomass Balance est une des solutions efficaces pour diminuer significativement les ressources fossiles utilisées et les émissions de gaz à effet de serre émises pour la fabrication du véhicule tout en conservant les mêmes performances », ajoute Éric Vernet de BASF, Key-Account Manager Performance Materials.

En outre, un problème de taille réside dans la gestion de fin de vie de ces composites : il n'existe pas encore de procédé compétitif de recyclage. Sachant que la réglementation oblige les constructeurs automobiles à ce que le véhicule en fin de vie soit recyclable à 85 % et/ou valorisable à 95 %, nul doute que les constructeurs et équipementiers automobiles vont attendre des avancées dans ce domaine avant d'investir massivement sur ce matériau pour une industrialisation.

Le secteur automobile observe attentivement ce qui se fait en matière d'innovation de matériaux. Si, à ce jour, la majorité d'un véhicule est composé de matériaux métalliques, cette répartition pourrait évoluer dans le futur. « Il devrait y avoir un rééquilibrage en ce qui concerne la composition en matériaux. Le châssis du véhicule restera métallique, mais les équipements et les pièces extérieures intègreront davantage de composites et de polymères chargés », prévoit Louis David (PSA). Et pour favoriser l'acceptation de matériaux innovants dans la filière automobile, peut-être qu'une des pistes à explorer serait d'y adjoindre des fonctionnalités ou de la valeur ajoutée. « Le meilleur matériau à inventer serait celui doté d'une fonctionnalité qu'on aurait même pas encore à l'esprit. C'est pour cela que le secteur doit être constamment demandeur de nouveautés auprès de ses fournisseurs et de sa R&D », conclut Gérard Liraut (Renault).

85 % Taux minimum de la masse à recycler d'un véhicule hors d'usage imposé par la réglementation

20 % part moyenne du poids de matériaux polymères dans un véhicule automobile de série

95 g CO2/km Seuil limite d'émissions de CO2 à atteindre pour un véhicule à l'horizon 2020 selon le Parlement européen

COMPOSITESLe lin : une opportunité à saisir pour alléger les véhicules

Cela fait 20 ans que la société normande Ecotechnilin produit des non-tissés à base de fibres naturelles qui servent à fabriquer des pièces intérieures pour l'automobile. Ces non-tissés sont constitués d'un mélange de résidus de l'industrie du textile (fibres courtes et étoupes), et de fibres de polypropylène. Ils peuvent ensuite être transformés en pièces automobiles par simple thermoformage par des équipementiers de rang I. Plus récemment, Ecotechnilin a développé des grades qui peuvent être travaillés par thermocompression/injection. À ce jour, les non-tissés d'Ecotechnilin ont permis de produire de nombreuses pièces automobiles, comme des tablettes arrière, des pavillons, des panneaux de portes, des fonds de coffres, des passages de roues... Parmi les bastions qu'il reste à conquérir, Karim Behlouli, directeur général de la société, cite les arrières de siège ou la possibilité d'intégrer toutes ces pièces sur un même véhicule. Pour l'instant, les constructeurs intègrent une à une ces solutions sur leurs véhicules. Le gros avantage de cette technologie est la réduction du poids des pièces intérieures, qui contribuent à alléger les véhicules. Si elle est en compétition avec la fibre de verre, elle ne permet pas de rivaliser au plan mécanique avec de l'acier ou des composites renforcés fibre de carbone, notamment pour des pièces de structure. C'est pourquoi on étudie aujourd'hui le potentiel des fibres longues de lin. « Depuis une dizaine d'années, on cherche à introduire des fibres longues dans les composites pour fabriquer des produits structuraux », explique Tristan Mathieu, responsable applications techniques et composites pour Terre de lin. Mais pour l'heure, hormis la fabrication de skis, de meubles ou de hauts-parleurs haut de gamme, la technologie n'a pas encore percé dans l'automobile. En cause, le coût plus élevé du matériau. Une contrainte qui n'est pas compatible avec la pression exercée sur les prix dans l'automobile. Mais Tristan Mathieu assure que les recherches se poursuivent : « Dans l'automobile, tous les constructeurs sont en train d'évaluer cette technologie de composites lin à fibres longues. L'offre est mûre au niveau des matériaux, mais il y a encore des soucis de mise en oeuvre ». Il estime néanmoins que, dans les trois à cinq ans à venir, les premières pièces automobiles pourraient faire leur apparition sur le marché.

S.L.

SERVICES DE CARACTÉRISATIONSGS COMPLÈTE SON OFFRE POUR LES COMPOSITES AUTOMOBILES

Le fournisseur de prestations d'analyse et de caractérisation a inauguré une extension sur son laboratoire de Cestas dédié aux tests de matériaux composites, notamment pour l'automobile. « Notre laboratoire collabore depuis près de 30 ans avec des acteurs du secteur automobile. Ce marché représente environ 80 % de notre activité », détaille Antoine Bousquet, directeur général de SGS Sercovam. Avant de poursuivre : « La mise en place de ces capacités supplémentaires répond au fait que de plus en plus d'acteurs de l'automobile nous sollicitent pour tester ce type de matériau. De plus, cela s'inscrit dans la stratégie de SGS de proposer une offre complète d'essais matériaux à ses clients ». Le laboratoire de Cestas est désormais équipé pour effectuer des tests et la caractérisation de composites sur les aspects de vieillissement, de corrosion, d'émissions (COV, odeurs etc.), ou encore de résistance mécanique. « Les composites représentent un matériau d'avenir, qui sera de plus en plus courant dans le secteur automobile. La filière s'intéresse principalement aux composites à matrice organique, c'est-à-dire basés sur des polymères », précise Antoine Bousquet. Les capacités de tests sur les composites de Cestas viennent compléter ceux déjà existants sur les polymères et les métaux. La volonté étant d'être un guichet unique et réactif pour ses clients. « Nous nous devons d'avoir une réactivité pour ce qui est de la validation et la normalisation d'essais de matériaux pour la filière », indique Antoine Bousquet. Avant de conclure : « Cette qualité de services se doit d'être la même, quelle que soit la localisation de notre client dans le monde, et c'est effectivement le cas grâce au réseau de laboratoires SGS ».

D.O.

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