Le captage direct du CO2 dans l’air intéresse de plus en plus les industriels
D’abord considérée avec scepticisme, la capture directe du dioxyde de carbone (CO2) dans l’air suscite de plus en plus d’intérêt chez les industriels. C’est ce qui ressort du colloque organisé le 16 novembre par la Fondation de la Maison de la Chimie sur le captage, le stockage et l’utilisation du CO2.
Le captage direct du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère (Direct air capture, DAC) ne fait pas partie des technologies que développe Air Liquide. Toutefois, l’entreprise effectue une veille sur le sujet depuis quatre ans. Notamment depuis que Climeworks - startup issue de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich - a commencé à faire parler d’elle en 2017 avec un premier pilote.
« Au début, il y avait beaucoup de scepticisme chez Air Liquide concernant cette technologie, admet Régis Réau, directeur scientifique de la R&D au sein du groupe, lors d’un colloque en ligne organisé le 16 novembre par la Fondation de la Maison de la Chimie. Capter le CO2 dans une source aussi diluée que l’atmosphère paraissait totalement impossible. » Mais le vent a tourné. « Cette opinion a un petit peu évolué », poursuit-il.
Décarboner la production d’énergie, améliorer l’efficacité des procédés, capturer du CO2 sur des installations industrielles… pour atteindre la neutralité carbone d'ici quelques décennies, un éventail d'actions sont envisagées. « Mais cela ne suffira pas, souligne M. Réau. Beaucoup de scénario indiquent qu’il faudra être capable d’extraire du CO2 de l’atmosphère, grâce à des procédés naturels comme le captage par la biomasse ou le DAC. »
Environ 9000 tonnes/an de CO2 captées par DAC
Après un premier pilote de Climeworks en 2017 et une première publication d’ingénierie détaillée de la startup canadienne Carbon Engineering l’année suivante, des premières applications sont apparues très rapidement, assure M. Réau : « Il y a actuellement quinze sites en activité pour une production de CO2 d’environ 9 000 tonnes par an. Nous estimons que d’ici une dizaine d’année, nous pourrions arriver à un captage de 10 millions de tonnes de CO2 par an. »
En septembre 2019, Air Liquide a lancé une offre de CO2 capté dans l’air par la technologie de Climeworks pour des utilisations comme la croissance de biomasse sous serre ou la production de boissons gazeuses par exemple. Fin 2018, le groupe Coca-Cola avait également annoncé son intention d’utiliser du CO2 extrait par Climeworks dans une de ses boissons. La startup suisse fait aussi partie du consortium Norsk e-fuel lancé cette année pour produire des électro-carburants à partir de CO2, d’eau et d’électricité renouvelable. Enfin, en août 2020, la société Oxy a signé un partenariat avec Carbon Engineering pour un projet de capture de 500 000 tonnes de CO2. L’objectif de lutte contre les émissions de CO2 est toutefois moins évident : il s’agit ici de faire de l’« enhanced oil recovery » (EOR). C’est à dire injecter du CO2 dans des réservoirs pétroliers pour récupérer plus de pétrole.
Captage de sources distribuées
« Un des grands avantages de cette technologie de capture directe dans l’atmosphère est qu’elle va pouvoir capter du CO2 émis par des sources distribuées », relève M. Réau. Autres avantages de cette solution : sa flexibilité géographique, la possibilité d’aboutir à des émissions négatives en l’associant à un stockage de longue durée, et un impact limité sur l’eau et les sols.
Le principal inconvénient du DAC : son coût. « Actuellement, le CO2 qui en est issu revient quatre à six fois plus cher que le CO2 capté par des méthodes classiques, précise M. Réau. Il faut donc réduire ce coût d’environ 80 %. » Cela dépendra notamment d’un accès à de l’énergie bas carbone de manière abondante et à un prix compétitif, et d’une réglementation favorable, poursuit-il. « Avec l’expérience et un déploiement à grande échelle, différentes études montrent qu’il devrait être possible d’atteindre 200 euros par tonne de CO2 capté d’ici 2040 », ajoute David Nevicato à la direction R&D de Total.
Extraction énergivore du CO2 après captage
Démontrées à l’échelle de pilote, les deux technologies existantes se rejoignent sur leur fort besoin en énergie pour extraire et récupérer le CO2 une fois capté. Entre 5 et 10 gigajoules (GJ) sont nécessaires par tonne de CO2 lorsqu'il est concentré à environ 0,04 % comme il l’est dans l’atmosphère. Un chiffre à comparer aux 2 à 3 GJ nécessaires lorsqu’il est concentré à 4 %, comme dans les fumées issues d’une centrale à cycle combiné au gaz. « C’est extrêmement élevé mais les startups font des progrès très rapides pour faire décroître cette consommation », nuance M. Réau.
Vapeur d'eau à 100°C ou chaleur à 800°C
Choisie par Climeworks et la startup américaine Global Termostat, la première technologie fait appel à de l’absorption : le CO2 est capté par des amines qui recouvrent un filtre poreux à travers lequel l’air circule. Lors d’une deuxième étape, de la vapeur d’eau à 100°C est passée sur le filtre pour en extraire le CO2.
Développé par Carbon Engineering, le deuxième procédé utilise des cycles chimiques en phase aqueuse. L’air - et le CO2 qu’il contient - est mis en contact avec une solution de potasse (KOH) pour former un carbonate de potassium. Le CO2 ainsi capté est ensuite transféré dans du carbonate de calcium (CaCO3) lors d’une deuxième étape. Chauffé à plus de 800°C, le CaCO3 se transforme alors en CO2 et en oxyde de calcium (CaO).
L'analyse du cycle de vie à préciser
Pour évaluer si un projet impliquant du DAC fait sens d’un point de vue environnemental, M. Réau insiste sur l’importance d’effectuer une analyse du cycle de vie (ACV) complète. « Aujourd’hui, les publications sur ces ACV sont très contradictoires », souligne-t-il. Non réalisable à grande échelle pour certains, bénéfique pour l’environnement pour d’autres. Avant de devenir une réalité, le DAC devra clarifier son ACV.
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