Le caoutchouc de pissenlit refait surface
Le latex, indispensable à la création du caoutchouc naturel, est un élément stratégique. Aussi pour diversifier les approvisionnements des chercheurs allemands ont repris des études initialisées voici près de 90 ans par les Soviétiques et réussi à faire sauter les verrous technologiques qui empêchait d’utiliser le latex issu … du pissenlit.
Le manufacturier allemand Continental vient de présenter un pneumatique automobile où le caoutchouc naturel issu du latex de l’hévéa employé dans le mélange de gommes composant la bande de roulement, a été remplacé par du Taraxagum. Cette matière est issue du Taraxacum, l’appellation botanique du pissenlit. Un développement qui fait suite à une étude menée en 2011 par des chercheurs de l’université de Münster sur le latex contenu dans les pissenlits. D’ailleurs, un autre manufacturier, Bridgestone, devrait faire une annonce similaire prochainement.
Mais l’idée n’est pas nouvelle. Dès 1928, les Soviétiques, qui ne disposaient pas de colonies tropicales, ont envoyé de par le monde des agronomes sous la houlette du professeur Vavilov, afin de trouver, parmi les plantes herbacées produisant du latex, des espèces qu’ils pourraient acclimater sur leur territoire. Ceux-ci trouvèrent dans les steppes du Turkestan, entre la mer Caspienne et la frontière chinoise, une espèce de pissenlit, le Kok-Saghyz, répondant à cette demande.
Ils mirent ce pissenlit en culture sur de grandes étendues dès 1932. En 1936 cette culture occupait déjà 7 000 hectares et 67 000 ha en 1941. Les plans quinquennaux prévoyaient de la cultiver sur 500 000 ha en 1945. Mais la guerre en décida autrement.
Les Allemands à la recherche d’un ersatz
Les Allemands lors de l'invasion de l'URSS en juin 1941 trouvèrent de gigantesques plantations de Kok-Saghyz en Ukraine et reprirent les études à leur compte, car le blocus naval des Alliés les privaient du latex de l’hévéa leur permettant de fabriquer le caoutchouc naturel indispensable à leur industrie de guerre. La SS confia à la sinistre IG Farben la recherche d’un ersatz (produit de remplacement en Allemand) du latex. Cette société chimique fit construire en Pologne par des déportés, le complexe de Monowitz dépendant du camp de concentration d'Auschwitz. Outre des travaux sur le développement de l’essence synthétique, l’IG Farben essaya d’y développer un caoutchouc synthétique, le Buna, issu du styrène et du butadiène.
Mais consciente du potentiel du pissenlit ‘‘gommeux’’, elle créa à côté en juin 1943 un laboratoire puis une station expérimentale à Raïsko où 250 agronomes et chimistes déportés cultivaient et expérimentait la plante. Parallèlement 16 700 hectares furent mis à disposition sur le territoire du Reich en 1944 pour la culture du pissenlit ‘‘gommeux’’. Mais cela ne débouchât pas sur une production industrielle, car le latex issu du pissenlit coagule et se transforme spontanément et rapidement en caoutchouc, dès que l’on casse la racine, ce qui rend difficile sa récolte et son travail.
Les scientifiques français aussi
Les Allemands confièrent même des graines de Kok-Saghyz à l’Institut français du caoutchouc et au Muséum d’histoire naturelle de Paris pour évaluer leur potentiel et les possibilités de culture en France. Les résultats de cette étude furent communiqués à l’Académie d’agriculture en mars 1943 et à l’Académie des sciences en mai 1944. Celle-ci concluait : « qu'il est possible qu'un jour une lutte s'engage entre l'hévéa de plantation et un pissenlit de culture amélioré pouvant être cultivé dans les pays tempérés en assolement avec les céréales et les légumineuses ». Et de constater qu'à l’époque une plantation d'hévéa pouvait produire 1 500 kg de latex à l'hectare, tandis que le pissenlit ne fournissait que 200 kg/ha, mais à un moindre coût de culture.
70 ans plus tard, il y a toujours un intérêt à multiplier les sources d’approvisionnement en latex, d’où la reprise des recherches sur le Kok-Saghyz ou pissenlit ‘‘gommeux’’. Les chercheurs de l’université de Münster sont ainsi parvenus à créer des pissenlits transgéniques dans lesquels l'enzyme à l'origine de la coagulation naturelle rapide du latex a été désactivée. Il peut s’écouler librement de la plante et être récolté, en vue d’être transformé en caoutchouc par coagulation, broyage, chauffage et calandrage.
Et ça, c’est nouveau !
Jean-François Prevéraud
Pour en savoir plus : http://www.persee.fr