"La volonté de tout réussir à la fois fait souffrir les femmes" explique la psychologue Claire-Marie Best

Alors que L’Usine Nouvelle prépare le deuxième trophée des femmes de l’industrie et que la négociation sur la qualité de vie au travail a abordé la question du congé parental, nous avons demandé à Claire-Marie Best, psychologue et auteure d’ "Imparfaite pourquoi pas !" (éditions Armand Colin), comment les femmes font pour jongler entre vie privée et carrière, entre enfants et collègues, cantine et réunion. Pour la clinicienne, c’est la volonté d’être une Superwoman surperformante qui crée des problèmes. Elle préconise d’affirmer des choix partagés au sein d’un couple où prévaut un vrai échange. De quoi impliquer les hommes autrement.

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L'usine Nouvelle - En 2013, les femmes qui travaillent ont-elles encore le sentiment de faire des sacrifices ?

Claire-Marie Best - Les femmes que je rencontre sont plutôt des cadres. Elles ont donc fait des études et veulent réussir leur vie professionnelle. Toutefois, elles restent contraintes par des stéréotypes, des préjugés qui persistent, même si la société avance. Les femmes avancent avec dans leurs têtes des idées contradictoires sur ce qu'est une vie réussie. Les entreprises, la société font des efforts pour améliorer la situation des femmes, mais pour l'individu ce n'est pas si simple. Or comme psychologue, ce sont les personnes qui m'intéressent.

Comment expriment-elles leurs difficultés ?

Un sondage a montré que 86 % des femmes pensent qu'elles doivent assurer sur tous les plans : professionnel, familiale, conjugal... Cette injonction les fait souffrir car c’est beaucoup pour une seule personne. Dès qu'un domaine de la vie n'est pas au niveau attendu, cela remet en question leurs choix, leurs convictions. Cette volonté de tout réussir à la fois provoque un essoufflement, d'un point de vue émotionnel notamment.

Mais elles peuvent choisir non ?

Ce n'est pas si simple. La femme qui fait passer sa carrière avant tout, quitte à ne pas avoir d'enfants sera regardée de travers. De même, celle qui s'arrête 5 ans ou plus pour s'occuper des enfants sera jugée. Bien sûr pas par les mêmes personnes. Mais ce que ressentent les femmes, c'est que quoi qu'elles fassent, ce ne sera pas bien. C'est d'autant plus compliqué que l'injonction d'être soi, de se réaliser est très présente dans la société.

La femme parfaite qui réussit tout n'existe pas, comme l'homme d'ailleurs. Vos patientes ne le savent pas ?

Bien sûr que Superwoman n'existe pas, mais les personnes ont toujours tendance à penser que l'herbe est plus verte à côté, que la soeur réussit mieux, que la collègue jongle mieux avec les contraintes et que la voisine réussit à la fois sa carrière, tout en faisant un super gâteau pour l'anniversaire des enfants. Les femmes ont tendance à se dire que les autres réussissent à jongler entre toutes les contraintes et pas elle. Cet écart entre leur réalité et la représentation qu'elles se font des autres crée un fort sentiment d'insatisfaction.

Que leur conseillez vous ? Que recommandez-vous ?

Nous sommes dans une situation sans précédent où une femme peut choisir sa vie sans avoir à en référer à qui que ce soit. Elles peuvent en théorie s'octroyer une liberté d'action. Encore faut-il oser le faire, prendre le temps pour savoir ce qu'on veut vraiment. Pour cela il faut avoir conscience que les priorités changent au cours de la vie, qu'on peut vouloir réussir sa vie professionnelle à 25 ans et vouloir s'occuper de ses enfants à 35 ans et changer encore.

C'est aussi simple ?

Dans une interview oui, mais ça prend du temps, il faut travailler pour arriver à ça. On peut pleinement s’investir dans une profession qu'on aime même si la pensée d'être une mauvaise mère nous envahit par moment.Tout réussir est impossible. En étant moins perfectionniste, moins absolue, on peut gagner en performance. Si on arrête de vouloir tout bien faire, si on accepte qu'on a une priorité, on sera plus détendu ensuite. A l'inverse, en caricaturant, je dirai que les femmes qui veulent tout réussir vont avoir tendance à penser à leurs enfants au travail, et à leur travail une fois à la maison. Elle ne sont jamais vraiment là où elles sont et en souffrent. C'est contre-productif.

Que risquent-elles sinon ?

Les femmes ressentent un sentiment d'échec, d'insatisfaction qui créent de la culpabilité. Les femmes ne sont pas toujours attentives à elles-mêmes et supportent beaucoup ce qui peut créer une forte fatigue qui, dans certains cas, peut aller jusqu'à des manifestations pathologiques.

Quel rôle peut jouer le conjoint dans cette démarche ?

L'idéal est de porter attention à ce que l'autre vit. C'est vrai pour les deux conjoints, mais les femmes le font peut-être plus spontanément. Reste que quand une femme s'interroge sur ses priorités, idéalement il serait préférable que le conjoint fasse attention à ce qui se passe, que le couple dialogue sur les priorités de l'un, de l'autre et des deux ensemble. Les conjoints peuvent s'accompagner dans la décision mutuellement.

Et cela existe vraiment ? Vous avez des cas ? Plus sérieusement, que disent les femmes sur leur conjoint dans votre cabinet ?

Les situations sont diverses évidemment. Il arrive que le mari dise "tu fais ce que tu veux" et croie ainsi aider sa femme à décider. La femme a alors l'impression de ne pas être accompagnée par son conjoint, de faire le chemin seule. Accompagner l'autre, c'est aussi intéressant pour les hommes, ils y gagneront une plus grande attention au moment présent, aux émotions, à l'autre. Il faut savoir se donner ce temps-là.

Vous avez évoqué la question des préjugés qui créent de la souffrance parce qu'on ne réussit pas à être à la hauteur. Comment lutter contre eux ?

Ce sera long et difficile. Pour commencer, de manière individuelle, je crois qu'il faut que chacun respecte les choix des autres quels qu'ils soient. Les femmes qui travaillent devraient respecter davantage celles qui font le choix de ne pas travailler pour élever leurs enfants ou même qui choisissent que dans le couple c'est le mari qui travaille. Symétriquement, les femmes qui font le choix de ne pas avoir d'enfants pour mener leur carrière sont aussi respectables que les mères de famille nombreuse.

Avez-vous vu des femmes qui travaillent et qui sont heureuses de le faire ?

Oui, bien sûr. Des études ont montré que la femmes qui travaillent sont en moyenne moins déprimées que celles qui restent à la maison. Plus généralement, ce qui importe, c'est de de faire des choix en cohérence avec ses priorités intimes et d'agir en conséquence. Une personne, homme ou femme, qui respecte ses choix profonds, aura un sentiment d'accomplissement plus important.

Propos recueillis par Christophe Bys

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