La tribune de Jean-Luc Audren : " Est-il légal de travailler par forte chaleur ? "

 " Est-il légal de travailler par forte chaleur ? ",  interroge Jean-Luc Audren, Expert indépendant en Sécurité industrielle, qui propose un tour d'horizon des textes réglementaires et des bonnes pratiques qui peuvent être mises en place dans l'entreprise.

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La tribune de Jean-Luc Audren :

La température au sein des locaux et des ateliers revient souvent en début d’été comme un point de crispation. Peut-on travailler à + 30 °C ? + 35 °C ? + 40 °C ?... Mais où est la limite ? Pour une fois, le Code du travail ne fixe pas de règle et ne permet pas de répondre clairement à cette question de limite par température chaude. Il y a, bien sûr, des postes de travail spécifiques reconnus pour leur pénibilité à la température. Attention, le mot « pénibilité » dans le Code du travail a été remplacé depuis 2017 par « facteur de risques professionnels », comme indiqué dans l’article D. 4163-2 qui reconnaît un « environnement physique agressif » pour une « température inférieure ou égale à 5 degrés Celsius ou au moins égale à 30 degrés Celsius » et plus de « 900 heures par an »…

Mais que dire, que faire pour des postes et des métiers moins exposés ? Certes, un certain nombre d’articles du Code du travail mentionne la ventilation, l’aération et l’assainissement des locaux (R. 4212-1 à 7, R. 4222-1 à 26). Dans cet ensemble législatif, l’article R. 4222-1 va même jusqu’à imposer que l’air soit renouvelé de façon à « éviter les élévations exagérées de température, les odeurs désagréables et les condensations », sans toutefois préciser ce qu’est précisément une élévation « exagérée » de température !

Cependant, une piste de réflexion est proposée par l’article R. 4213-7 en mentionnant « l'adaptation de la température à l'organisme humain pendant le temps de travail », sans toutefois préciser ce qu’est précisément cette « adaptation ». Bref, la définition d’une forte chaleur sur un site professionnel n’est pas encore réglementée en France.

Toutefois, les effets de la chaleur sur l’organisme humain sont pourtant bien connus et nombreux, mais ces effets sont néanmoins fort variables d’un individu à un autre, puisqu’ils vont de simples céphalées, de la transpiration et de la déshydratation, jusqu’au fameux coup de chaleur, lorsque la température corporelle interne dépasse 40,6 °C. Au-delà, si le salarié a une défaillance de la régulation de sa température corporelle interne, cela peut être létal.

Car le problème d’adaptation du corps humain est bien là : dès qu’il fait plus sec, la chaleur est ressentie « moins forte » ; dès qu’il fait plus humide, la chaleur est ressentie alors comme « plus forte », alors que c’est la même… Il faut savoir que l’organisme humain est doté d’une régulation thermique interne remarquable mais fort sensible à l’humidité. La sudation fait partie de cette régulation thermique, mais elle est tout simplement ralentie lorsque l’humidité relative de l’air augmente, ce qui entraîne une sensation de « plus chaud », bien qu’il ne fasse pas plus chaud. C’est juste la régulation thermique interne qui est modifiée. D’où l’importance de mettre en place des parades complémentaires pour aider son corps à s’autoréguler plus souplement.

Bien sûr, l’employeur doit aussi aménager les locaux pour mettre à disposition de l’eau potable et de l’eau fraîche (article R.4225-2 du Code du travail et suivants).

Alors comment s’en sortir ? En fait, les Américains se sont posé la même question sans le Code du travail de la France, mais avec leur esprit pragmatique. Vu l’étendue de leur territoire, la météorologie est fort différente du nord au sud et d’est en ouest. Apparemment, ce n’est que vers 1980 qu’a été développé le « Heat Index », bien sûr en degré Fahrenheit ! Heureusement, on trouve sur Internet « l’indice de chaleur » converti en degrés Celsius. De là, une grille associée à cet indice avec un code couleur permet, en fonction de la température et de l’humidité relative, d’évaluer le niveau de risque :

  • Vert : gêne ou inconfort
  • Jaune : inconfort soutenu
  • Orange : danger
  • Rouge : mise en danger probable de la santé des salariés

Mais cet indice de chaleur a un défaut dans sa conception même : la température et l’humidité relative sont mesurées à l’ombre.

Par conséquent, si vous avez besoin d’un niveau de précision encore plus élevé en prenant en compte l’exposition directe au soleil de vos salariés, vous devrez comme certains athlètes ou autres militaires, consulter l’ISO 7243, « Ergonomie des ambiances thermiques - Estimation de la contrainte thermique basée sur l’indice WBGT (température humide et de globe noir) » dont la dernière révision date de 2017.

Par exemple, certaines règles peuvent être appliquées pour les postes de travail en extérieur :

  • réduction de l’exposition à la chaleur
  • réduction de l’intensité et/ou de la répétition du travail physique
  • réduction de l’isolement du poste de travail de certains salariés
  • aménagement des horaires de travail et des pauses

Cela étant, chaque employeur est libre de fixer ou non avec son médecin du travail, son responsable HSE et son CSE (Comité social et économique) les règles associées à chaque niveau d’effort physique et pour des personnels particuliers (antécédents médicaux, grossesse, âge de plus de 50 ans, obésité, diabète, problèmes pulmonaires…).

Évidemment, il est utile de réfléchir en amont à cette question des températures d’été dans les locaux/ateliers et de faire rédiger une fiche de procédure d’urgence en cas de salarié affecté par un coup de chaleur au travail.

Les entreprises qui ont mis au point cette démarche sont généralement très satisfaites. Mais il faut quand même un instrument de mesure température/humidité installé dans un endroit sécurisé et fiable. Cet instrument doit être surveillé par quelqu’un de tout aussi fiable, avec l’autorité, la compétence et les moyens nécessaires.

Car oui, il est légal de travailler par forte chaleur, mais l’employeur doit prouver les moyens qu’il a retenus pour satisfaire l’article L. 4121-1 du code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

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