« La science-fiction peut coloniser les imaginaires et susciter le désir de la réaliser »
Dans son dernier livre, Thomas Michaud montre comment les auteurs de science-fiction, souvent visionnaires, ont influencé des innovations majeures dans l'industrie. D'ailleurs, de plus en plus d'entreprises investissent dans la production de récits qui pourraient façonner le futur.
Pourquoi écrire sur « ces visionnaires qui ont changé le monde » ?
L’idée du livre, à travers ces portraits d’auteurs de science-fiction et autres visionnaires, est de montrer que certaines personnes ont développé des visions du futur qui se sont réalisées par la suite. Il ne s’agit pas seulement de prophéties : ainsi, la science-fiction de Jules Vernes, l’archétype du visionnaire, était tellement fascinante qu’elle a poussé certains individus et la société en général à réaliser les technologies de ses romans. C’est le cas de l’hélicoptère. Le pionnier de cette technologie, Igor Sikorsky, fut inspiré par l’Albatros décrit dans « Robur le Conquérant ». De même, Leo Szilard, un pionnier de l’énergie atomique qui a participé au projet Manhattan, a pointé le rôle fondateur de la bombe atomique imaginée par H. G. Wells en 1913. Plus proche de nous, le père du cyberpunk, William Gibson, inventeur du terme «cyberspace», a créé dans les années 1980 des dizaines de technologies utopiques qui ont nourri des générations d’ingénieurs.
De la fiction à l'innovation. Ces visionnaires qui ont changé le monde, de Thomas Michaud, éd. Le Manuscrit, 2022
Autrement dit, les prophéties de la science-fiction peuvent être autoréalisatrices. Par quels mécanismes ?
Je me suis appuyé sur la théorie de l’économie narrative de Robert J. Schiller, prix Nobel d’économie, qui a expliqué comment les histoires populaires – récits, discours… – influaient sur le développement des faits économiques. Avec la science-fiction, des visions de mondes ou de technologies futuristes se propagent dans la population et contaminent les esprits. En se répandant, cet imaginaire va inspirer des inventeurs, mais aussi favoriser l’acceptation des futures innovations par la population. Mon livre montre ainsi comment des fictions ont colonisé les imaginaires sociaux et suscité le désir de les réaliser.
Le visionnaire créateur seul ne suffit pas toujours. Vous pointez le besoin d’un relais par un « leader »…
Pour qu’un récit devienne influent, il faut qu’il soit récupéré par une personne charismatique, politique ou entrepreneur, qui l’inclut dans son discours et le diffuse à grande échelle. L’exemple du métavers est à cet égard éclairant. Le terme est apparu dans un roman de science-fiction de Neal Stephenson. Il était peu connu jusqu’à ce que Mark Zuckerberg le reprenne. C’est aujourd’hui un sujet de R & D pour de nombreuses entreprises. L’influence de la science-fiction est de plus en plus marquée avec de tels entrepreneurs, comme Elon Musk, que je qualifie d’hyper réels : ils confondent la réalité et l’imaginaire technologique. Leur discours stratégique intègre les visions de la science-fiction.
Votre livre encourage aussi les acteurs privés et publics à se saisir de la production de ces visions…
L’économie des visions du futur est un enjeu majeur du système productif. D’ailleurs, des entreprises comme les Gafam investissent dans la production de fictions. La science-fiction dévoile un imaginaire inconscient, des archétypes technologiques que j’appelle technotypes, qui peuvent façonner le futur. Une entreprise qui veut vraiment être innovante a tout intérêt à produire de la science-fiction pour atteindre ces technotypes qui inspireront ses ingénieurs, et qui lui donneront un avantage compétitif, puisqu’elle pourra ainsi imposer sa vision à tout un secteur. De plus en plus d’entreprises le font. C’est ce que l’on appelle le « design fiction ». En France, le collectif Making Tomorrow est spécialisé dans cette démarche et a produit une méthode fondée sur ses expériences en entreprise.
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