La production française au ralenti
LE CABINET DE CONSEIL ROLAND BERGER POINTE DU DOIGT LE TRÈS FAIBLE POSITIONNEMENT DE LA FRANCE SUR LA PRODUCTION DE NOUVEAUX MÉDICAMENTS CHIMIQUES, AU DÉTRIMENT DE SES VOISINS EUROPÉENS.
La nouvelle étude sur le secteur de la production pharmaceutique du cabinet Roland Berger ne s'avère pas « d'un optimisme débordant », selon Patrick Biecheler, partenaire, responsable du Centre de compétence France et du pilotage de l'activité au niveau européen du cabinet. Il observe ainsi que « l'érosion de la production chimique semble inéluctable ». Alors que l'étude 2012 révélait que sur les 47 nouvelles molécules autorisées par l'EMA en 2011, aucune n'avait fait l'objet d'un enregistrement d'un site français, la nouvelle édition, qui porte sur l'année 2012 et le premier semestre 2013, dénombre seulement quatre nouvelles molécules sur 53 pour lesquelles un site français est mentionné. Parmi ces molécules, on compte un produit dans la réduction de la consommation d'alcool, le Selincro de Lundbeck, qui a obtenu son AMM européenne en février 2013 mais dont « on ne sait pas encore s'il sera lancé », selon le consultant. Le deuxième est un produit de contraste de Lilly, l'Amyvid produit par Cyclopharma. On compte également un auto-générique, Riluzole Zentiva, du princeps Rilutek de Sanofi , dans la sclérose latérale amyotrophique. « La production de l'auto-générique permet de défendre le maintien de l'équilibre charge-capacité et la compétitivité du site », note Roland Berger. Enfin, le site d'Osny du façonnier Cenexi constitue un back-up de production pour l'Esmya de Gedeon Richter. Pas de quoi se réjouir néanmoins de ces quatre productions potentielles, selon le cabinet Roland Berger. « Il s'agit de quatre opportunités de production en France qui ne semblent pas relever de milliers d'emplois sur le sol français », analyse Patrick Biecheler.
Le cabinet note ainsi que, contrairement aux idées reçues sur la concurrence asiatique, les sites enregistrés pour les nouvelles molécules sont essentiellement basés en Europe occidentale. « Deux pays vont tirer leur épingle du jeu : l'Allemagne et le Royaume-Uni. Ces enregistrements d'un site dans une AMM sont des décisions prises par les laboratoires depuis trois à cinq ans. Ils sont le fruit de politiques incitatives, etc. », détaille Patrick Biecheler qui anticipe une montée de l'Espagne dont « le territoire est devenu hautement compétitif ». 14 sites allemands, 10 sites anglais et cinq sites espagnols sont enregistrés pour la production de nouvelles molécules. Le consultant appelle donc les industriels à s'appuyer sur la puissance publique afin d'avoir un dialogue transparent, constructif et d'avoir en tête le développement de services et de la prise en charge du patient. « La pharmacie doit s'appuyer sur la puissance publique pour anticiper la nécessaire restructuration de son tissu industriel et en parallèle réviser son business model en anticipation des évolutions profondes de son marché », détaille Patrick Biecheler. S'il note l'importance des mesures issues du Csis-CSF de juillet 2013 comme « les bases d'une action à renforcer », le consultant constate l'antagonisme de ces feuilles de route avec le PLFSS 2014. « La négociation du PLFSS vient percuter les bonnes intentions. Plusieurs mesures du Csis-CSF devaient débuter en octobre-novembre. Pour le moment, nous ne voyons rien arriver », souligne Xavier Lemoine, chef de projet du Centre de compétence France avec une expertise market access, achat, stratégie, industrie de Roland Berger. Ainsi, le cabinet se montre sceptique sur l'inversion de la tendance d'érosion de la compétitivité industrielle. Patrick Biecheler estime que la production pharmaceutique française devrait perdre 600 à 800 emplois en 2014. Des pertes auxquelles s'additionnent l'érosion de la balance commerciale et les pertes d'opportunités liées à la difficulté de capter la production de nouvelles molécules. Le cabinet Roland Berger estime ainsi à « deux milliards d'euros par an l'érosion de valeur ».
VOS INDICES
source
200 -2.44
Avril 2023
PVC
Base 100 en décembre 2014
100 +0.1
Avril 2023
Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 21.20 − Préparations pharmaceutiques
Base 100 en 2015
146.8 -4.49
Avril 2023
Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 20.1 − Produits chimiques de base, engrais, Produits azotés, plastiques, caoutchouc synthétique
Base 100 en 2015
Productions alternatives et services, des relais de croissance
Les compensations possibles reposent d'abord sur « les productions alternatives ». Il s'agit notamment des activités de façonnage mais aussi de la production de biosimilaires et autres produits issus des biotechnologies. Un autre relais de croissance : les services. Si Patrick Biechler constate la frilosité des big pharma, il cite cette nouvelle activité comme un facteur de développement de nouveaux métiers. « Il existe un mouvement de fond qui consiste à regarder toutes les étapes de la chaîne de valeur sur laquelle les laboratoires peuvent intervenir », constate-t-il. Plusieurs facteurs confortent le cabinet de consultant dans son analyse de développement de nouveaux métiers : les évolutions sociologiques et démographiques, avec par exemple le vieillissement de la population et l'évolution du nombre de maladies chroniques ; les progrès technologiques, notamment dans la e-santé ; la réglementation et les contraintes ; les mouvements des acteurs de la pharma qui tentent de se diversifier. Reste cependant à définir un modèle pour les laboratoires pour fournir des services de santé. Le cabinet recense de « nombreux besoins insatisfaits le long de la chaîne de valeur ». D'abord en termes de diagnostic et dépistage, ensuite pour des opérations de prévention, de sensibilisation des patients. Roland Berger souligne également des opportunités de services en termes d'administration et de délivrance du traitement et des soins mais également pour le monitoring et le suivi au long cours. Patrick Biecheler cite notamment des exemples d'initiatives, comme Biogen Idec avec Unilabs pour proposer un médicament avec son test compagnon, mais aussi un rapprochement entre MSD et WeightWatchers, la société qui propose des solutions de régime alimentaire. D'autres laboratoires ont développé des programmes afin de faciliter le traitement. « Des laboratoires ont commencé à s'y intéresser, mais le niveau de maturité est encore peu élevé », conclut Patrick Biecheler.