"La première qualité d’un entraîneur c’est d’oublier qu’il a été athlète un jour", estime le coach de Renaud Lavillenie

Un objectif sportif n’est pas si éloigné d’un objectif d’entreprise. Et si l’entraîneur est un manager quelles leçon tirer des méthodes d’entrainement et de préparation de Renaud Lavillenie, le recordman du monde du saut à la perche depuis son saut à 6,16 mètres ? Son entraîneur Philippe D’Encausse a répondu à nos questions. Si la passion du champion est indispensable, son succès doit beaucoup à la qualité du dialogue avec son entraîneur.

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L’Usine Nouvelle - On compare parfois le sport et l’entreprise. Pourtant, dans le saut à la perche, des mois d’entrainement se concrétisent dans un saut qui dure dix secondes. Comment gère-t-on ce moment ?

Philippe d’Encausse - Dix secondes c’est la vision du téléspectateur. Le jour où Renaud Lavillenie bat le record du monde de saut à la perche, il commence à s’échauffer à midi et il ne quitte la salle qu’à dix-neuf heures. Pour réussir, l’athlète doit savoir gérer l’attente. Il passe son après-midi à observer les uns et les autres, à jauger ses compétiteurs. Il doit voir ce qui se passe tout en restant concentré.

Comme entraîneur, pensez-vous que vous contribuez comme un manager à la réussite de Renaud Lavillenie ?

J’espère que j’ai un rôle, sinon c’est que je ne servirais rien et je ferais autre chose ! Après, on est dans le dialogue, lui et moi. Quand il a quitté son précédent entraîneur, c’est qu’il n’était plus satisfait. A l’époque je dirigeais une structure nationale. Nous évoluions dans le même univers, on se connaissait. Quand il m’a proposé le job, je n’ai pas hésité une seconde, car cela ne se refuse pas.

En quoi consiste votre rôle ?

Je travaille avec Renaud sur les contenus d’entraînement. Je lui fais des propositions, on est vraiment dans le dialogue, la réflexion commune. Une partie peut-être moins connue de mon travail consiste à construire avec lui la saison, c’est-à-dire choisir les compétitions auxquelles il va participer ou non. Il faut planifier l’année, les sorties, ce qui l’amène à participer à des petites compétitions sans grands enjeux. C’est une sorte d’échauffement.

Vous êtes vous-même un ancien perchiste. Est-ce que cette expérience vous sert comme entraîneur ?

Non. Pour moi, la première qualité d’un entraîneur, c’est d’oublier qu’il a été un athlète. Le pire ce serait de faire du copier-coller, préparer un athlète comme on l’a soi-même été. Les choses évoluent et je ne suis pas du genre à penser que c’était mieux avant. Non c’est mieux aujourd’hui. Ce qu’on fait est plus intéressant. Pour être un entraîneur il faut avoir cet état d’esprit, sinon on passe complètement à côté.

Pourquoi ne pas s’appuyer sur l’expérience ?

Bien sûr elle compte, mais elle n’est pas centrale. L’entraînement a évolué. A mon époque, si j’ose dire, le modèle dominant était celui des athlètes soviétiques. C’était très stakhanoviste, ils bossaient beaucoup, tout le temps. Les autres pays faisaient pareils, mais sans avoir forcément les mêmes "produits" pour aider. Résultat : les gars se blessaient souvent parce que le corps ne tenait pas le coup. Aujourd’hui, les entraînements sont beaucoup plus orientés sur la qualité. Renaud n’est pas un géant hyper baraqué. C’est un athlète de haut niveau qui court vite et qui est fort physiquement. Attention, je n’ai pas dit qu’il faisait huit heures de muscu comme certains footballeurs. Non il fait un travail de fond, suit des soins régulièrement, sais récupérer après un effort. Ça lui permet de rester compétitif. C’est un athlète solide, qui n’a pas des claquages tous les trois jours. C’est le fruit de son travail au long cours.

Revenons à un éventuel parallèle avec le management. Comment gère-t-on dans une équipe un champion pareil ?

Vous savez, avec Renaud, c’est assez facile. Il a un effet positif sur le groupe que j’entraîne. Il les pousse vers le haut. Tous n’ont qu’une envie : lui ressembler. Il sait qu’il motive les autres et donne parfois des conseils à l’un ou à l’autre. Il se rend bien compte qu’il est observé mais il ne s’en sert pas pour jouer les mentors.

Titulaire du record du monde, Renaud Lavillenie n’a plus rien à prouver. Comment allez-vous le remotiver maintenant ?

C’est mal le connaître. Renaud est un passionné de son sport. J’ai envie de dire que d’avoir le record du monde est un soulagement pour lui. Il l’a fait, il peut passer à autre chose. D’une certaine façon, il retrouve de la liberté, il n’a plus cette barrière à franchir. C’est fait, il peut continuer. Vous savez, quand il a eu la médaille d’or à Londres, il a été hyper sollicité par les télés. Ça ne l’intéressait pas, il voulait retourner s’entraîner. C’est vraiment sa passion. Après le record du monde, il pourrait être blasé, se dire qu’il a réussi. Non lui ce qu’il veut c’est reprendre l’entraînement, car il est plus motivé que jamais.

Peut-on expliquer cette passion ? Comment ?

La perche est un sport spectaculaire. Pour celui qui la pratique, c’est très fun, un peu comme le surf ou la planche à voile. Après, il y a une vraie prise de risque. A chaque essai, on sait qu’on peut se faire mal, très mal. Plus on cherche les sommets, plus on prend des risques. On le sait quand on saute, il faut jouer avec l’instinct de survie qui nous invite à nous préserver. C’est pour ça que les fous furieux ne peuvent pas réussir dans notre sport : ils se font mal et sont contraints d’arrêter. Un perchiste comme Renaud est, je vous l’ai dit, un athlète de haut niveau, c’est une évidence, mais c’est aussi quelqu’un qui a un mental exceptionnel. L’un sans l’autre ça ne marche pas.

Et puis il n’y pas de secret Renaud est un énorme bosseur. Avant de sauter, il y a une course de 45 mètres. Parmi les nombreux paramètres, la pose du pied au moment du saut a un rôle important. C’est au demi-centimètre près. Il faut être très précis. Pour y arriver, il faut faire des heures et des heures de répétition. Courir encore et encore ces 45 mètres, pour avoir le meilleur appui. Celui qui permet de devenir le recordman du monde !

Christophe Bys

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