La gestion délicate des substances préoccupantes
La mise en œuvre du règlement encadrant l'utilisation des substances chimiques en Europe conduit à des évolutions successives des listes de substances, notamment au niveau des substances extrêmement préoccupantes. Une instabilité qui ne facilite pas la R&D en vue de trouver des solutions de substitution.
Adopté depuis fin 2006, le règlement européen pour l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et la restriction des produits chimiques (Reach) vise à améliorer la protection de la santé et de l'environnement en maîtrisant les risques liés à l'utilisation des substances chimiques. Au sein de ce règlement, il existe différentes listes de substances dont l'usage au niveau européen est encadré, les substances étant soumises à restriction (annexe XVII) ou à autorisation (annexe XIV). L'inclusion de nouvelles substances au sein de ces listes suit un processus bien précis, via la soumission de dossiers auprès de l'Agence européenne des produits chimiques (Echa). Pour l'autorisation, les États-membres (ou la Commission européenne) identifient une substance selon des critères de dangerosité : dangers CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques) ou dangers PBT (persistance, bioaccumulation et toxicité), par exemple. Ils constituent alors un dossier regroupant les informations sur les impacts potentiels et justifiant du caractère extrêmement préoccupant. « Une fois le processus enclenché, l'Echa lance alors une consultation publique afin de recueillir le plus d'informations sur la ou les substances candidates ; les industriels peuvent apporter leurs contributions », indique Sonia Benacquista, responsable Reach au sein de l'Union des industries chimiques (UIC). « Malheureusement, les commentaires seuls ont un impact souvent faible. La tâche est d'autant plus complexe que le délai imparti pour déposer ces suggestions est extrêmement court », regrette Pierrick Dra peau, chef de projet Reach chez Eco Mundo, société spécialisée de la réglementation chimique et de l'éco-conception.
Après consultation des différentes parties (industriels, États-membres, experts, etc.), l'Echa procède dans un premier temps à l'intégration de la substance candidate sur une pré-liste, dénommée liste des substances extrêmement préoccupantes (SVHC). A ce jour, elle recense 151 substances différentes dont les risques sur la santé ou l'environnement sont soupçonnés, suite aux ajouts successifs effectués jusqu'à maintenant. « L'Echa décide ensuite de prioriser ou non une substance candidate présente sur cette pré-liste vers l'annexe XIV, liste des substances soumises à autorisation. Plusieurs critères sont pris en compte à ce stade : les tonnages utilisés, l'usage dans des applications dispersives et le caractère PBT », explique Sonia Benacquista (UIC). Avant de compléter : « Les produits jugés comme prioritaires seront inclus à l'annexe XIV, interdisant leur usage sauf si autorisés » commente Sonia Benacquista (UIC). « Ils peuvent également être intégrés à l'annexe XVII, qui interdit certaines utilisations de ces substances, notamment pour pouvoir contrôler les articles importés », ajoute-t-elle. A ce jour, 22 substances sont répertoriées dans la liste des produits soumis à autorisation de Reach. « Dans la liste actuelle, les substances inscrites sont principalement celles qui présentent des risques CMR, et qui sont connues depuis des dizaines d'années », note Pierrick Drapeau (Eco Mundo). Avant de continuer : « Dans les prochaines listes, nous verrons probablement l'apparition de substances telles que les perturbateurs endocriniens ou les allergènes, auxquels les scientifiques s'intéressent de près ».
VOS INDICES
source
612.5 -2.93
Février 2023
Phosphate diammonique (DAP)
$ USD/tonne
123 -4.65
Janvier 2023
PP Copolymère
Base 100 en décembre 2014
172.7 -2.15
Janvier 2023
Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 20.1 − Produits chimiques de base, engrais, Produits azotés, plastiques, caoutchouc synthétique
Base 100 en 2015
Plusieurs secteurs industriels plus affectés par l'annexe XIV
Sur cette liste de l'annexe XIV de Reach, on peut y trouver plusieurs substances telles que des phtalates, des dérivés du chrome VI, ainsi que des solvants. L'interdiction d'usage de ces substances affecte l'activité industrielle de certains secteurs, comme l'indique Pierrick Drapeau (Eco Mundo) : « La liste des substances interdites affecte en particulier l'industrie mécanique et du traitement de surface notamment pour les chromates. La présence de plusieurs phtalates dans l'annexe XIV impacte le secteur des peintures, des adhésifs et des plastiques. D'autres domaines comme la pharmacie et la cosmétique sont affectés par l'interdiction de l'usage de certains solvants ». Pour les secteurs industriels touchés, il est donc nécessaire de trouver des solutions de substitution par application. « Il est souvent très difficile de demander de remplacer substance à substance. Une cartographie de tous les usages peut révéler qu'une substance est employée dans plusieurs dizaines d'applications, mais la recherche d'alternatives se fait généralement par application », explique Sonia Benacquista (UIC). « L'un des problèmes potentiels est le rétrofit des produits de substitution. On ne sait pas comment les substituants réagiront sur le parc machines existant. L'introduction d'un nouveau produit de substitution pourra être accompagné d'un réinvestissement sur le procédé, afin d'en garantir la sécurité », complète Pierrick Drapeau (Eco Mundo). Avant d'ajouter : « De plus, nous avons très peu de recul sur les risques des produits de substitution. En temps normal, il faudrait plusieurs années pour bien cerner les impacts d'une substance ».
En outre, le temps nécessaire pour l'obtention d'un produit chimique de substitution peut durer des années. « Pour certaines formulations, il faut jusqu'à six années pour mettre au point une formule de substitution. Ce temps est réparti entre la mise au point même du produit et les tests qui sont effectués. Mais cela nécessite de faire une veille réglementaire très en amont, dès le dépôt d'un dossier dans le registre d'intention d'inclusion du produit en tant que SVHC par les États-membres », affirme Virginie Fourneau, responsable HSE d'Inventec Performance Chemicals. A ce propos, la société spécialisée dans la formulation a engagé son programme Greenway pour proposer des produits chimiques plus respectueux de l'environnement et de la santé. « La démarche consiste à être proactif pour les substitutions de produits. Dès qu'une substance est soupçonnée d'être CMR, nous initions des travaux de R&D afin de trouver un produit alternatif », détaille Virginie Fourneau.
Un besoin de visibilité et de stabilité
Cependant, la proactivité concernant la substitution de produits n'est pas facilitée du fait du règlement Reach en lui-même. « Lors de la revue du règlement après 5 ans de mise en œuvre, la Commission européenne a conclu que Reach atteignait globalement les objectifs fixés initialement et ne nécessitait pas de révision en profondeur. Quelques points de progrès étaient identifiés, s'agissant no tamment de l'enregistrement des nanomatériaux et d'une meilleure lisibilité sur le programme de travail sur les SVHC », développe Vincent Designolle, chef du Bureau des substances et préparations chimiques du ministère de l'Écologie, du Développement du rable et de l'Énergie (MEDDE). Avant d'affirmer : « Certaines substances ont peut-être été inscrites sur la liste des SVHC sans claire intention de les voir ensuite incluses à l'annexe XIV, ce qui est source d'incertitudes pour les entreprises, alors qu'il aurait fallu davantage de lisibilité dans l'analyse des options de gestion des risques ». Un avis qui va dans le sens de celui d'Inventec Performance Chemicals : « Bien que nous soyons parvenus à substituer un produit avant qu'il soit interdit, l'annexe XIV de Reach reste très compliquée pour les formulateurs, en raison de l'évolution constante de la liste candidate. Cette liste change tous les six mois, ce qui constitue un rythme trop soutenu pour engager des travaux pour mettre au point des substituants adéquats, même si la veille réglementaire est prise très en amont », insiste Virginie Fourneau (Inventec).
Pour que Reach soit plus efficace, il semblerait plus judicieux que le règlement tienne mieux compte de la réalité du terrain. « L'une des difficultés réside dans l'hétérogénéité de la réalité des législateurs et celle des industriels. L'unité de temps pour la réglementation Reach n'est pas l'unité de temps industriel », estime Pierrick Drapeau (Eco Mundo). Un autre point important serait de mieux organiser la chaîne d'approvisionnement amont/aval. « Il est nécessaire de mieux faire converger le pouvoir et la demande d'autorisation. A ce jour, un utilisateur aval n'a pas le droit de demander des dossiers d'autorisation pour tous ses fournisseurs pour les substances nécessaires à son activité », soutient Pierrick Drapeau.
En parallèle, le règlement Reach doit être encore approfondi, en particulier pour les substances encore méconnues telles que les perturbateurs endocriniens ou les nanomatériaux.
« Une des mesures à prévoir est de définir des critères européens uniformes des perturbateurs endocriniens, en se basant sur l'analyse des dangers », pense Vincent Designolle (MEDDE). Avant de préciser : « La France expertisera en priorité des substances ubiquitaires, des substances utilisées dans des articles à destination des enfants et femmes enceintes ou encore des substituts de perturbateurs endocriniens ».
Concernant les nanomatériaux, la Commission européenne doit encore combler le déficit d'information. « Des études d'impact sont en cours pour mieux prendre en compte les risques d'utilisation des nanomatériaux dans le cadre de Reach », indique Vincent Designolle. En attendant la révision des annexes du règlement sur cette thématique, la France a engagé des démarches pour une meilleure maîtrise des risques liés à l'utilisation de ces substances (voir encadré). Enfin, il est nécessaire de soutenir toutes les actions initiées par l'industrie pour mettre sur le marché des produits sûrs. Cela passe notamment par le développement de tests d'évaluation de substances et pour la substitution de produits, ainsi que le partage des informations. « Par exemple, pour le screening des substances, le retour d'expérience de certains secteurs pourrait être partagé avec les autres secteurs industriels », indique Vincent Designolle.
A son instauration, le règlement Reach avait pour objectif de mieux protéger la santé et l'environnement des risques liés à l'usage des produits chimiques, tout en renforçant la compétitivité des industriels, notamment en incitant à innover. Or ce n'est actuellement pas le ressenti des industriels de la chimie. Les investissements en R&D sont difficiles au regard de l'ajout incessant de nouvelles substances sur la liste candidate, et les demandes d'autorisation requièrent des moyens financiers importants. « Les coûts engendrés par les demandes d'autorisation nuisent à la compétitivité de l'industrie chimique européenne vis-à-vis du reste du monde alors que cette dernière est déjà très impactée par la réalisation des dossiers d'enregistrement. Quelques pays hors Europe ont bien mis en place des réglementations pour encadrer les produits chimiques, mais elles ne sont pas aussi contraignantes que Reach. Il faudrait globaliser le règlement européen au niveau mondial pour que l'Europe soit compétitive », déplore Sonia Benac quista (UIC).
LA FRANCE EN POINTE SUR LA GESTION DE CERTAINS PRODUITSEn attendant que le règlement Reach prenne davantage en compte les perturbateurs endocriniens et les nanomatériaux, la France a décidé d'engager des mesures proactives sur le sujet. Outre l'interdiction de l'usage de bisphénol A dans les biberons et les contenants alimentaires (lois de 2010 et 2012) ou les tickets thermiques (projet de restriction dans Reach), elle s'est engagée à mettre en place une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, suite à la conférence environnementale de 2012. Le gouvernement a soumis un rapport de travail à consultation publique, ce qui permettra de définir la stratégie à adopter. Dans les grandes lignes, cette stratégie visera à améliorer les connaissances sur ces substances, notamment sur les effets sanitaires (faibles doses, effets cocktails et transgénérationnels) et sur la biodiversité, ainsi que la recherche de solutions de substitution, de mener des actions d'expertise permettant de définir les mesures règlementaires pertinentes (au niveau européen autant que possible). « Il y aura également la mise en place par les acteurs industriels et les parties prenantes de plusieurs dispositifs pour sensibiliser sur les risques liés à ces substances », insiste Vincent Designolle (MEDDE). Concernant les nanomatériaux, la France a mis en place un dispositif national de déclaration. La déclaration, faite annuellement, concerne les substances fabriquées, importées ou distribuées l'année N-1. Une année après sa mise en place, les pouvoirs publics ont dénombré 3 400 déclarations provenant de 680 entreprises françaises, pour un tonnage cumulé de l'ordre de 500 000 tonnes.
Impact de Reach : le cas des peintures ?4 QUESTIONS À JACQUES WARNON Directeur Général de Warnon ConsultancyQuelle est la conséquence de Reach pour le secteur des peintures ? Le secteur des peintures utilise quelque 10 000 substances en Europe. Le problème qui va se poser est que certaines substances ne seront pas enregistrées, et vont donc disparaître. D'autres n'auront pas leurs usages correctement décrits dans des scénarios d'exposition. Enfin, il y aura des substances qui seront soumises à autorisation, mais il faut savoir que le coût total d'un dossier pour la demande d'une autorisation sera de l'ordre de 150 000 à 300 000 euros et il n'est pas sûr qu'il soit accepté. Que doit faire le fabricant de peinture dans ces cas de figure ? Si la substance n'est pas enregistrée en Europe, le fabricant de peinture peut devenir importateur de cette substance. Mais il devra supporter les coûts d'enregistrement de 1 000 euros pour de petits volumes à plus de 30 000 euros pour des volumes plus importants. Si la substance est enregistrée mais que son usage dans les peintures n'est pas couvert dans les scénarios d'exposition, plusieurs solutions se présentent. Le fabricant de peinture peut essayer de dialoguer avec le fabricant ou l'importateur de la substance pour qu'il ajoute son usage et le scénario d'exposition dans le dossier d'enregistrement. Ces derniers peuvent refuser. Dans ce cas, le fabricant de peinture a la possibilité de rechercher un autre fournisseur ou de réaliser lui même une analyse de risques. Pour ce qui est des substances soumises à autorisation, de nombreux fabricants s'orientent vers la substitution. Quelles substances utilisées dans les peintures seront sou mises à autorisation et, peut-être, abandonnées ? Les 22 substances soumises à autorisation sont publiées dans l'annexe XIV de Reach. Dans cette annexe, nous avons répertorié 4 phthalates qui sont utilisés dans les peintures comme agents plastifiants. S'ils ne sont pas autorisés, leur date limite d'utilisation est fixée au 21 février 2015. Il y a également 3 pigments de la famille des chromates de plomb dont la date limite d'utilisation est fixée au 21 mai 2015. Mais il faut aussi prendre en compte les 144 substances qui sont inscrites sur la liste candidate à l'annexe XIV. A terme, la plupart d'entre elles vont passer dans l'annexe XIV et seront soumises à autorisation. Dans cette liste, on trouve des composés comme les nonylphénols et nonylphénols éthoxylates, le chromate de strontium, la 1-méthyl-2-pyrrolidone, l'acide borique, l'acrylamide... A ce jour, est-ce que Reach a entraîné la disparition de beaucoup de substances utiles aux peintures ? Pour l'instant, nous venons de passer la phase d'enregistrement pour les produits fabriqués ou importés à plus de 100 t/an. Et nous n'avons pas beaucoup entendu parler de disparitions de substances. Mais des problèmes plus sérieux sont à attendre en 2018, avec l'enregistrement de substances fabriquées ou importées dans des volumes inférieurs à 100 t/an. Cela implique un plus grand nombre de PME qui ne seront pas toujours en mesure de supporter les coûts d'enregistrement. Propos recueillis par Sylvie Latieule