La chimie en quête d'alternatives plus écologiques
Les industriels de la chimie explorent de multiples pistes pour réduire voire supprimer l'utilisation de solvants - en particulier ceux d'origine pétrochimique - dans leurs procédés. Des solutions alternatives émergent que ce soit en termes de produits de substitution ou de nouveaux procédés.
Ces dernières années, les problématiques de développement durable et la réglementation ont incité les industriels à utiliser davantage de produits ayant moins d'impact sur l'environnement dans leurs formulations ou leurs procédés. Les solvants ne font pas exception à la règle. Qu'ils soient organiques ou inorganiques, ces produits trouvent des applications sur de nombreux marchés finaux : peintures, revêtements, adhésifs, cosmétique, pharmacie, etc. Selon une étude du cabinet de conseil Zion Research and Consultants, le marché mondial des solvants était évalué à 25,25 milliards de dollars en 2014. Et selon les prévisions de ce rapport, il devrait atteindre 31,5 Mrds $ à l'horizon 2020 avec un taux de croissance de 3,5 % par an entre 2015 et 2020. « Les solvants constituent une problématique majeure dans la chimie. Il y a moins d'une centaine de solvants qui sont régulièrement utilisés, et certains sont amenés à être interdits par la réglementation Reach en raison de leur toxicité », indique Bruno Andrioletti, professeur et directeur de l'Institut de Chimie de Lyon. À cela s'ajoute une volatilité des prix des matières premières nécessaires pour élaborer ces substances, en particulier pour les solvants hydrocarbonés provenant du pétrole. Le tout incitant les industriels à se pencher sur des moyens alternatifs pour réduire leur consommation de ce type de produits.
Trouver des produits de substitution pour la synthèse
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Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 20.1 − Produits chimiques de base, engrais, Produits azotés, plastiques, caoutchouc synthétique
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En chimie, les solvants sont utilisés le plus souvent pour des opérations de synthèse ou d'extraction et purification de composés. Cependant, il n'est pas toujours possible de trouver un produit permettant de remplacer un solvant à risque. Par exemple, dans le cas des solvants aromatiques très utilisés en formulation, et issus de coupes pétrolières. « On a beaucoup de mal à remplacer ce type de solvant. Il existe bien des pistes de solutions comme les mélanges de solvants à chaîne grasse, mais il y a une question de viabilité économique à respecter pour passer à un niveau industriel », cite Bruno Andrioletti (Institut de Chimie de Lyon). D'autres solvants sont concernés par la difficulté de substitution : les solvants halogénés. Des produits comme le chloroforme, le dichlorométhane ou le tétrachlorométhane, s'avèrent être de très bons solvants qui ne possèdent pas d'équivalent en matière de performances de séchage.
Néanmoins, certains industriels étudient la possibilité de modifier leurs formulations. « Il y a trois principes que doit suivre dans la mesure du possible le produit de substitution d'un solvant : être moins toxique, être iso-coût et être renouvelable », liste Bruno Andrioletti (Institut de Chimie de Lyon). Les industriels travaillent ainsi sur plusieurs pistes de R&D pour remplacer un solvant à risque par un autre plus écologique pour les opérations de synthèse.
D'abord, utiliser une alternative pétrosourcée moins toxique pour l'environnement ou la santé que le produit original. « Dans ce cadre, nous avons participé au projet public-privé Nesoreach achevé en 2014. Il visait à substituer des solvants organiques (la N-méthyl-2-pyrrolidone, le cresol et le phénol) par des produits plus éco-compatibles pour des applications de vernis. Nous sommes parvenus à démontrer que des polymères thermostables pouvaient être synthétisés et formulés dans des solvants moins impactants », développe Bruno Andrioletti (Institut de Chimie de Lyon).
La deuxième voie est de recourir à un solvant biosourcé. La plupart sont généralement issus d'huiles végétales. S'ils peuvent être disponibles en grands volumes, il subsiste néanmoins un léger surcoût par rapport aux solvants classiques. Dans ce domaine, beaucoup d'espoirs sont regroupés sur un agrosolvant commercialisé par le groupe Pennakem : le 2-méthyltétrahydrofurane (Me-THF). « Ce produit est prometteur dans le domaine de l'extraction d'huile de graines oléagineuses pour substituer le n-hexane, mais il n'est pas encore agréé "food grade" ce qui limite ainsi son développement. D'un point de vue physico-chimique, le Me-THF est partiellement soluble dans l'eau, ce qui ne facilite pas sa récupération », détaille Maryline Abert-Vian (université d'Avignon). En outre, certains dérivés terpéniques peuvent servir de solvant, comme l'indique Benjamin Léger, responsable marketing de DRT, spécialisé dans ce type de composés : « Les alcools ou les hydrocarbures de terpènes comme les pinènes et le carène peuvent constituer des alternatives de solvants pour les opérations de synthèse ». Cependant, un frein à leur utilisation demeure dans la nature même du produit. « Les terpènes sont des composés organiques volatils (COV), ce qui peut poser un souci en termes d'applications notamment en peinture », explique Benjamin Léger (DRT). Le secteur des peintures a largement répondu à cette nécessité d'abandonner des solvants nocifs, comme certains éthers de glycol, par un passage à l'eau, comme le prône la société Neoformula (voir encadré).
Enfin, deux dernières pistes pour limiter l'usage d'un solvant problématique. Tout d'abord le recyclage. « Il s'agit d'une alternative très économique, qui pourrait tout à fait convenir aux industriels sur court et moyen terme », soutient Bruno Andrioletti (Institut de Chimie de Lyon). Pour accomplir ce type de tâche, plusieurs sociétés sont sur ce marché telles que Brabant, Chimirec ou Sita qui peuvent accompagner les industriels de la chimie. Le recyclage de solvants est davantage répandu sur certaines applications comme en chimie pharmaceutique, en raison de la haute valeur ajoutée ou du coût élevé du solvant. Pour finir, citons l'approche du « Chemical leasing ». Au lieu de vendre des solvants au kg, le fournisseur facture son client sur la base de mensualités fixes (voir encadré).
En ce qui concerne les extractions, Maryline Abert-Vian, maître de conférences à l'université d'Avignon, revient sur le cas du n-hexane qui est un solvant quasiment incontournable pour ces opérations : « Malgré le fait d'être classé parmi les COV et CMR, le n-hexane est difficile à substituer en raison de son prix très abordable, de sa très bonne sélectivité vis-à-vis des lipides ainsi que son faible point d'ébullition (68 °C) qui rend son évaporation aisée ».
Opter pour des approches de rupture en extraction
Une stratégie pour répondre à la problématique des solvants en extraction est de choisir d'utiliser des produits « de rupture ». Parmi ceux-ci, nous trouvons les liquides ioniques commercialisés par des sociétés comme Solvionic. « Ces produits ont été proposés pour des applications en tant que solvants. Malgré le fait qu'ils aient été très étudiés, ils restent coûteux, parfois toxiques et extrêmement réactifs, ce qui peut causer des problèmes de sécurité. Sans évoquer les difficultés concernant leur recyclage, notamment lorsqu'il s'agit de réactions produisant des sels », estime Bruno Andrioletti (Institut de Chimie de Lyon). De plus, leur nature même limite leur usage pour certaines applications, comme l'indique Maryline Abert-Vian (Université d'Avignon) : « N'étant pas volatils, leur élimination totale, notamment dans les procédés d'extraction, est très difficile ». Toujours dans les nouveaux solvants, les produits eutectiques (NaDes) ont dernièrement fait leur apparition, notamment en cosmétique. « Il s'agit de sortes de liquides ioniques naturels, qui constituent de bons solvants et non volatils, ce qui est très prometteur », estime Bruno Andrioletti (Institut de Chimie de Lyon). Avant de nuancer : « Cependant, ils sont capables de solubiliser tellement de choses qu'ils peuvent véhiculer des substances indésirables toxiques ». En outre, d'autres types de milieux sont actuellement en cours d'étude pour remplacer les solvants organiques en extraction de composés comme les huiles végétales (macérats huileux), ou l'eau enrichie en tensioactifs ou en enzymes, etc.
Une autre méthode pour s'affranchir des solvants est d'opter pour des procédés innovants tels que ceux impliquant des gaz sous pression. Parmi ceux-ci, la technologie de CO2 supercritique qui est basée sur le pouvoir solvant du gaz modulable par des variations de conditions de pression et de température. Cependant, si bon nombre de travaux ont été réalisés en phase de recherche, les installations industrielles sont peu répandues. « Il s'agit d'une technologie nécessitant un investissement conséquent. Donc elle est généralement réservée à l'extraction de composés à très haute valeur ajoutée comme en cosmétique ou en pharmacie », détaille Maryline Abert-Vian (université d'Avignon). Dans la même veine, le procédé d'extraction par gaz liquéfiés s'avère prometteur pour l'extraction de composés. « Cette technologie utilise un état supercritique comme pour le CO2, mais s'avère très prometteuse en raison d'un rapport coût/efficacité favorable », affirme Bruno Andrioletti (Institut de Chimie de Lyon). Si le concept d'une extraction à température ambiante séduit, des réserves demeurent notamment en matière de coût d'investissement et de sécurité (gaz sous pression).
Si les solutions pour s'affranchir des solvants d'origine pétrosourcée existent, elles nécessitent encore de faire sauter encore quelques verrous technico-économiques. Dans un contexte où les industriels demandent des produits toujours plus « propres » à des prix compétitifs, nul doute que ces alternatives vont bénéficier de nouveaux développements en matière pour être applicables au niveau industriel.
« Il y a moins d'une centaine de solvants qui sont régulièrement utilisés, et certains sont amenés à être interdits par la réglementation Reach, en raison de leur toxicité » Bruno Andrioletti, professeur et directeur de l'Institut de Chimie de Lyon.
« Les alcools ou les hydrocarbures de terpènes, comme les pinènes et le carène, peuvent constituer des alternatives de solvants pour les opérations de synthèse » Benjamin Léger, responsable marketing chez DRT
18,9 Mt Volume de solvants commercialisés en 2014 60 % part moyenne du poids de volume de solvants consommé par le secteur des peintures et revêtements en 2014 31,5 Mrds $ Seuil limite d'émissions de CO2 (estimation du marché mondial des solvants d'ici à 2020)
DÉFINITION D'UN SOLVANTIl s'agit d'un produit sous forme liquide qui a la propriété de dissoudre des composés. Servant de support aux réactions chimiques, il est utilisé pour des opérations de synthèse, de dilution ou pour extraire des substances d'un mélange complexe. Les solvants peuvent être classés selon différents critères : leur nature chimique (organique/inorganique), leur polarité (polaire/apolaire), leur origine (pétrosourcée ou agrosourcée), leur charge (ionique/non ionique.)
PROCÉDÉSProcessium aide à optimiser le volet « solvant »La spécialiste en génie des procédés et des produits a identifié la thématique des solvants comme un relais de croissance. Un sujet qui devrait lui permettre d'asseoir son activité dans le contexte d'une chimie plus durable.
Depuis sa création en 2002, le groupe villeurbannais Processium, spécialisé dans la mise au point de procédés et de produits industriels, s'est donné pour ambition d'accompagner l'évolution des besoins de ses clients et d'anticiper leurs problématiques industrielles et environnementales. Parmi les thématiques en vogue chez les chimistes, le sujet des solvants a été identifié comme stratégique, étant donné le contexte réglementaire qui l'entoure. « Pour ce qui est de l'existant, nous aidons les industriels à se passer de substances problématiques comme les solvants chlorés via la formulation d'autres mélanges de solvants, sans qu'ils y perdent en performance », indique Pascal Rousseaux, p-dg de Processium. Avant de continuer : « En ce qui concerne la substitution de produits à proscrire, nous proposons à nos clients de mettre au point des alternatives : nouveaux solvants (liquides ioniques, NaDes), mélanges de plusieurs produits, etc. ». Pour ce faire, Processium s'appuie sur un modèle prédictif basé sur une base de données physico-chimiques de près de 1 000 différentes sortes de produits. « Cela permet de définir en amont la performance d'une substance dans un procédé, en établissant la carte d'identité du solvant "idéal" pour un cahier des charges donné : solubilité, viscosité, tension de vapeur, etc. », précise le dirigeant. Avant de compléter : « Le solvant biosourcé est en vogue, mais il n'est pas toujours possible de l'utiliser industriellement, que ce soit pour des questions de performance ou de sûreté ». Aider à optimiser le procédé industriel Outre la mise au point de produits, Processium est sollicité pour améliorer ou mettre à l'échelle un procédé. Ainsi, il optimise des procédés d'extraction, de distillation, de cristallisation ou de réaction grâce à des études en amont. « Dans le domaine des solvants, il nous est possible de simuler un procédé industriel, et de voir l'influence de l'utilisation de différents solvants sur la génération des effluents par exemple », détaille Pascal Rousseaux. Avant d'ajouter : « Nous travaillons beaucoup sur la réduction de la perte de solvants d'un procédé, notamment pour des fins de réutilisation ou de réduction de rejet dans les effluents ». Processium étudie également les procédés nouveaux comme par exemple les procédés d'extraction supercritique ou par membranes. « Dernièrement, les industriels ont tendance à demander de mettre au point des procédés sans solvants, pour s'affranchir de toutes les contraintes liées à l'emploi de ce type de produits », affirme Pascal Rousseaux.
D.O.
PEINTURESNEO FORMULA VEUT IMPOSER L'EAU DANS LES FORMULATIONSLa société rhônalpine aide les industriels à mettre au point des formulations de peinture éco-innovantes. « Nous faisons en sorte de faire abstraction au maximum de solvants organiques dans les produits que nous mettons au point. Nous élaborons ainsi des extraits secs à 100 % pour les peintures », explique Claude Stock, gérant de Neo Formula. Avant d'ajouter : « Même si nos formulations sont basées sur des phases aqueuses, il y a quand même un tout petit peu de solvants organiques dans les agents coalescents ». Cependant, le dirigeant estime que le verrou technique n'est pas le frein le plus limitant, mais davantage l'acceptation du marché. « Les formulations aqueuses que nous créons ont des performances techniques similaires à des peintures contenant des solvants organiques, que ce soit en termes de brillant, de résistance chimique ou de tenue au vieillissement. Mais certains clients français refusent d'y recourir, invoquant des problèmes techniques, notamment lors du séchage. Or ce n'est le cas que pour des peintures industrielles, non pour celles pour le bâtiment », explique Claude Stock. Avant d'affirmer : « Dans le secteur de la peinture, la France est un marché très conservateur, peu favorable à l'innovation. Il nous est plus facile de convaincre les industriels d'utiliser nos formulations à l'étranger, en particulier en Asie ».
D.O.
« CHEMICAL LEASING »Un « business model » qui réduit la consommation de solvantsSafechem a développé un « business model » innovant qui incite fournisseur et clients à réduire au maximum les consommations de solvants.
Fournisseur de produits et services pour le nettoyage de précision, comme les solvants chlorés (trichloréthylène, perchloroéthylène) ou les alcools modifiés, la société allemande Safechem, filiale de Dow employant 35 personnes, est convaincue qu'elle doit aider ses clients à limiter drastiquement leurs consommations. Malgré les risques spécifiques liés à l'utilisation de ces solvants, ils sont difficilement remplaçables lorsqu'il s'agit de dégraisser des pièces métalliques dans les domaines de l'aéronautique, de l'automobile ou des dispositifs médicaux. Certes, les machines de nettoyage de ces pièces sont conçues pour assurer un confinement maximum des fluides, en assurant leur recyclage en continu par distillation. Pour autant, l'accumulation de contaminations due à la décomposition des huiles, telles que les acides, requiert un apport régulier de solvant vierge. C'est donc pour améliorer la performance globale des systèmes et diminuer les consommations de solvant jusqu'à 80 % que Safechem a développé une large gamme de services, dont le « business model » innovant du « Chemical Leasing ». « Au lieu de vendre des solvants au kg, nous facturons le client sur la base de mensualités fixes qui incluent tous les produits et services dont il peut avoir besoin » explique Camille Vicier, Sustainability Manager. Dans ce package, on va retrouver les Systèmes Safe-Tainer, conteneurs de sécurité à double enveloppe de Safechem pour le transport, le stockage et le transfert hermétique de solvants vierges et usagers, les stabilisants pour diminuer l'acidité et augmenter la durée de vie des solvants dans les machines, ainsi que de nombreux services. Par exemple : des kits de tests pour analyser l'acidité des solvants sur site et piloter l'ajout de stabilisants, des conseils sur le choix du solvant le plus adapté à l'application des clients, des journées de formation sur le thème de la sécurité et de la fiabilité des procédés... « Au terme de chaque année de contrat de « Chemical Leasing », si nous avons réussi à réduire les volumes de solvants utilisés, nous réduisons les mensualités pour partager les bénéfices avec nos clients », ajoute Camille Vicier. Si les premiers essais de « Chemical Leasing » remontent à 2006, Safechem met aujourd'hui les bouchées doubles pour développer cette solution et l'a notamment incluse dans le dossier d'autorisation (au sens de Reach) pour le trichloréthylène dans des utilisations de nettoyage industriel qui a abouti à un avis favorable de l'ECHA dans la procédure d'autorisation pour une durée de sept ans (le trichloréthylène ayant été ajouté à l'Annexe XIV de Reach, le 21 avril 2013, son utilisation n'est permise que sous régime d'autorisation). Par ailleurs, la société s'est vue décerner cette année l'un des prestigieux « Responsible Care Award » du Cefic (syndicat européen de l'industrie chimique). Le « Special Accenture Award » récompensait cette année plus particulièrement les accomplissements dans le domaine de l'économie circulaire. Les solvants utilisés pour le nettoyage de précision présentent certes des risques spécifiques liés à leur utilisation, mais dans bien des cas, ils restent encore la solution technique la plus adaptée. D'où l'utilisation de systèmes fermés avec des niveaux de consommation de solvants les plus bas possibles, pour abaisser au maximum le risque lié à leur utilisation.
S.L.