« L'industrie française semble moins intéressée par la 5G qu'en Allemagne », lance Vincent Masztalerz (Siemens France)

L'Autorité de régulation des communications (Arcep) a dévoilé, avec deux mois de retard, son cahier des charges définitif d'attribution de la bande 3,4-3,8 GHz, qui commencera en mai 2020 avec un prix minimal élevé, 2,17 milliards d'euros. Pour Vincent Masztalerz, directeur de l'unité opérationnelle Processus d'automatisation chez Siemens France, ces retards risquent de pénaliser l'industrie française, déjà bien moins engagée dans la 5G qu'en Allemagne.

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« L'industrie française semble moins intéressée par la 5G qu'en Allemagne », lance Vincent Masztalerz (Siemens France)

Industrie & Technologies : Le déploiement de la 5G dans l'industrie est-il corrélé aux attributions de fréquence pour les opérateurs ?

Vincent Masztalerz : En France oui car il faudra toujours des opérateurs. Plus tard les fréquences sont attribuées, plus tard les opérateurs déclencheront leur déploiement et plus on recule aussi les échéances pour les réseaux privés.

Nous ne sommes pas encore dans l'urgence totale mais nous aimerions bien que ces enchères démarrent, que les licences pour les fréquences soient attribuées et que l'on puisse commencer à mettre en œuvre des preuves de concept avec les opérateurs et nos clients industriels.

Siemens attendra donc le début des attributions pour réaliser des tests en France ?

Je ne peux pas répondre à cette question. Aujourd'hui, ce que l'on prévoit de faire dans ce domaine, avec qui et comment, est classé confidentiel. On ne veut pas dévoiler au marché notre position par rapport à la 5G. En revanche, il est certain que la préparation à l'arrivée des réseaux 5G nous occupe beaucoup. C'est un enjeu primordial pour nous.

L'Allemagne est en avance par rapport à la France. Les acteurs allemands de la 5G sont en train de se mettre d'accord avec les autorités pour réserver des bandes de fréquences à la construction de réseaux 5G privés, ce qui est pour nous le plus gros intérêt de la 5G dans l'industrie. En France, les opérateurs veulent avoir la maitrise totale de leurs investissements et donc rentabiliser leurs licences au maximum.

Pourquoi est-ce si intéressant, pour les industriels, de déployer et de gérer leur propre réseau 5G privatif ?

Tout d'abord, cela permet de conserver ses données à la maison et, partant, de conserver un temps de latence minimal. Sans cela, l'industriel est contraint de faire transiter l'ordre depuis une salle de contrôle quelque part dans l'usine vers l'antenne-relais de l'opérateur où il est traité, puis de le faire redescendre dans l'usine pour être transmis à l'appareil ou l'actionneur. On peut peut-être faire plus simple...

Un réseau 5G privé permet aussi à l'industriel d'assurer une plus grande sécurité de son réseau et lui confère une autonomie plus importante dans la gestion de son usine. Celui-ci ne dépendra que de lui-même pour obtenir la qualité de service qu'il attend.

Vous semblez dire que les opérateurs restent indispensables. Pourtant, ces réseaux privés pourront théoriquement être déployés sans eux...

Oui, mais ce ne sera pas gratuit : quelqu'un paiera une licence à quelqu'un d'autre. On peut imaginer deux cas : l'utilisateur paie le droit d'usage de la fréquence à l'Etat ou il le paie à l'opérateur. Ce sont des discussions privées dont nous ne sommes pas tenus au courant, ni en Allemagne ni en France.

Quant à savoir exactement qui seront les acteurs... Difficile à dire à ce jour. Il y aura les industriels, les opérateurs et des entreprises qui ne sont pas des acteurs des télécommunications aujourd'hui mais qui vont vouloir se positionner sur la 5G dans l'optique de monter des architectures 5G privées pour leurs clients. Est-ce que ce sera un Schneider Electric, un Cisco ? Je ne peux pas répondre à cette question.

Plus généralement, pourquoi cet engouement pour la 5G de la part de Siemens ?

C'est la prochaine grosse révolution, comme ce que l'on a vécu entre les premiers modems et l'ADSL. De la 4G à la 5G, on passe d'un gigabit à 10 gigabits et on fait un "saut quantique" sur le nombre d'objets que l'on peut connecter et sur la qualité de service, et notamment le temps de latence, qui est divisé par dix. Aujourd’hui, on dit : si votre équipement industriel n'est pas mobile, il vaudrait mieux un câble. Celui-ci assure de gros débit et des temps de latence très faible. Avec la 5G, on peut quasiment arriver à la performance d'un réseau câblé sans câble.

Chacun de ces trois avantages - débit, nombre d'objets connectés et temps de latence - bénéficiera à l'industrie mais ils seront tous les trois dépendants les uns des autres. Plus vous augmentez le nombre d'objets connectés, plus vous réduisez le débit, par exemple. Prenez un chariot autoguidé : il n'a pas besoin de beaucoup de débit. En revanche, il devra réagir immédiatement à l'ordre qu'il reçoit. Dans ce cas, on va pouvoir, avec la 5G, favoriser le temps de latence. Pour raccorder divers objets industriels connectés, une tâche qui n'a pas besoin non plus d'un grand débit car très peu d'informations sont communiquées à chaque fois, on aura plutôt tendance à favoriser le nombre d'actifs pris en charge par le réseau. Le débit sera plutôt pour des applications de vidéos, du son, etc.

Avez-vous le sentiment que les industriels français ont bien pris la mesure de l'importance de la 5G ?

Quand on compare la France et l'Allemagne, en effet, on a l'impression que l'industrie est moins intéressée par la 5G chez nous.

Est-ce aussi dû au fait que l'industrie prend une place moindre dans l'économie française que dans l'économie allemande ? Je ne suis pas surpris que, lorsque l'Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep) et l'Etat ouvrent les tests dans la bande des 26GHz à des verticaux - ce qui est un signe d'ouverture encourageant –, il y ait plus de répondant du côté de la smart city que de l'industrie [sur les 11 projets-tests retenus par l'Arcep pour la bande millimétrique, seul celui porté par le Grand port du Havre, avec Siemens et Nokia, répond à des enjeux industriels, ndlr].

Outre les attributions, y aura-t-il d'autres freins au déploiement de la 5G dans l'industrie ?

La cybersécurité sera forcément un enjeu de premier ordre lorsqu'il s'agira de déployer des réseaux 5G dans l'industrie. Dans quelle mesure ces communications 5G seront-elles sécurisées ? La réponse à cette question dépendra de nous, de comment les constructeurs intégreront nativement la sécurité de ces communications.

Une troisième limite concerne les standards de la 5G. A l'heure actuelle, ils ne sont pas entièrement actés. Il y a des versions de 5G qui, au fur et à mesure que le temps passe, autorisent certaines fonctionnalités. Celles qui intéressent les industriels, comme la possibilité de déployer un réseau privé ou les fonctions de sécurité, n'étaient pas encore tout à fait définies et maîtrisées par tout le monde.

A quel horizon pourra-t-on voir la 5G dans l'industrie ? Dans quel pays débarquera-t-elle en premier ?

Je dirais que c'est possible en 2021. On va d'abord commencer par compléter les réseaux industriels existants et faire des extensions dont on rêve depuis longtemps et que l'on ne peut pas se permettre aujourd'hui.

Les premiers pays qui ont déployé des réseaux 5G grand public seront probablement les premiers à la voir arriver dans leurs usines. C'est clair pour la Corée du Sud, par exemple [le pays a été le tout premier au monde à déployer un réseau 5G national, ndlr], ou pour l'Allemagne.

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