Après trois ans d’enquête, la journaliste indépendante Stéphane Horel publie aujourd’hui « Intoxication », un livre dénonçant l’influence du lobbying de l’industrie chimique pour repousser une réglementation européenne sur les perturbateurs endocriniens. Entretien.
L'Usine Nouvelle : Qu’est ce qui a suscité votre enquête?
Stéphane Horel : J’avais écrit il y a dix ans un livre sur les perturbateurs endocriniens, que je continuais de suivre comme un sujet de santé publique, ne comprenant pas pourquoi il n’y avait pas de prise de conscience dans les médias du problème. J’étudiais par ailleurs la question du lobbying. En 2012, j’ai assisté à la conférence organisée par la Commission européenne sur le sujet : c'était une véritable opération de lobbying qui se déroulait sous mes yeux.
L’Europe va alors sans cesse repousser le problème, alors qu’elle avait décidé de légiférer sur les perturbateurs endocriniens dès 2009...
Le problème, c’est qu’entre le moment où il y a eu la volonté de réglementer et aujourd’hui, il y a eu des précisions apportées par les parlementaires sur le règlement final qui ne convenaient pas à la Commission. C’est à partir de là que l’industrie des pesticides, suivie par la chimie – car cela va avoir un impact sur toutes les législations européennes les concernant : règlement-cadre sur l’eau, règlement cosmétique… – ont mis toutes leurs forces en lobbying pour faire dérailler le projet de réglementation.
Les documents que j’ai obtenus par la Commission et les témoignages recueillis ne laissent aucun doute. Et l’industrie ne le nie pas ! Elle reconnaît que les critères des perturbateurs endocriniens tels qu’envisagés par la direction générale (DG) de l'Environnement ne lui convenaient pas. Elle admet avoir demandé une étude d’impact (débutée en septembre 2014, ndlr), qui lui a permis de reculer le projet d’au moins douze mois.
La direction générale Santé de la Commission affirme pourtant donner plus de poids aux voix de la société civile, qui disposent de moins de ressources en lobbying que l’industrie...Ces perturbateurs endocriniens pointés du doigt
Les critères scientifiques permettant d’identifier les perturbateurs endocriniens se font toujours attendre. A fortiori leur réglementation à l’échelle européenne, promise en 2012. Pourtant, cela fait des années qu’on entend parler de ces substances chimiques, d’origine naturelle ou synthétique, qui interfèrent avec le fonctionnement hormonal des humains et sont présentes dans de nombreux produits courants (certains cosmétiques, pesticides…). Considérées comme une menace pour la santé par l’Organisation mondiale de la santé, elles sont soupçonnées de nombreux maux : infertilité, cancers, diabète ou obésité…
Vous dénoncez une véritable connivence entre les institutions européennes et les industriels. Qu’en est-il des mesures de transparence prises par la Commission ?
De nouvelles règles ont été prises depuis l’arrivée de Juncker. Les lobbyistes qui demandent des rencontres sont incités à s’inscrire dans un registre et les fonctionnaires et commissaires concernés publient la liste des rendez-vous. Mais le lobbying s’effectue bien en amont des commissaires : auprès des chefs d’unités, des desk officers : ce sont eux, les petites fourmis ouvrières de la Commission Européenne !
Quels industriels se sont particulièrement engagés contre le projet de règlement?
Ce sont principalement les associations européennes de la chimie (Cefic) et des pesticides (ECPA). Elles ont dû faire front commun car la façon dont le dossier était organisé par la DG Environnement les contraignait à avoir un seul canal : il n’y avait que cinq sièges pour l’industrie et cinq pour les ONG. Mais BASF et Bayer ont aussi eu des initiatives en propre, parfois avec Syngenta.
Malgré tout, des voix s’élèvent pour remettre ce dossier sur le haut de la pile...
Les scientifiques montent en première ligne. Mais le seul moyen que cette réglementation ne soit pas amendée en faveur de l’industrie et protège la santé publique, c’est qu’elle devienne un sujet public. Or pour exclure les gens du débat, on technicise à tout prix. Pourtant, d'après les études menées aux États-Unis, les femmes enceintes ont une moyenne de 43 substances chimiques d'origine environnementale dans l'organisme, même si ça ne veut pas dire qu'elles sont forcément dangereuses. C’est une décision collective qu’on doit avoir à ce sujet. Il ne faut pas le laisser à quatre fonctionnaires et cinq lobbyistes de l'industrie.
Propos recueillis par Gaëlle Fleitour
Gaëlle est rédactrice en chef adjointe du site internet de L'Usine Nouvelle, et cheffe du service web, depuis 2018. Elle avait auparavant suivi les industriels de la pharmacie, des dispositifs médicaux, de la cosmétique et de la chimie, puis ceux de l'agroalimentaire et de l'agrochimie comme cheffe de rubrique pour le magazine et le site depuis 2011. Elle exerçait précédemment pour le magazine économique Option Finance, après avoir effectué des piges pour l’Expansion et travaillé aux Echos, au Monde, à La Croix et à Ouest-France. Elle est titulaire d’un master professionnel de journalisme de l’Institut Français de Presse et diplômée de Sciences-Po Rennes (section économie-finances).
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