"L’industrie 4.0 reste une vision réduite du futur de l’industrie", estime Andrew Anagnost, le PDG d’Autodesk

L’éditeur de logiciels de conception Autodesk vient d’inaugurer son centre de recherche sur l’ingénierie et l’industrie à Birmingham (Royaume-Uni). L’occasion de s’entretenir avec Andrew Anagnost, arrivé à la tête de la firme californienne cet été. Il décrit sa vision du futur de l’industrie, revient sur le passage de la licence à l’abonnement et évoque l’avenir d’Autodesk.

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L'Usine Nouvelle - Avec ce nouveau centre de recherche très axé sur le pilotage des machines, vous donnez l’impression de ne plus vouloir être seulement une société de design...

Andrew Anagnost - L’industrie est en train de se transformer fondamentalement. Au cours des dix prochaines années les usines et les méthodes de fabrication des objets, des routes et des immeubles seront très différentes de celles d’aujourd’hui… Nous pensons qu’avec l’automatisation des process, le design et la fabrication seront beaucoup plus proches. Toute entreprise de design qui veut survivre ne doit plus se contenter d’être un éditeur de logiciel de design, elle doit être une entreprise spécialiste du design et des méthodes de fabrication.

Pensez-vous que l’Europe, où vous avez installé votre centre de recherche, va assez vite dans sa transformation vers l’industrie 4.0 ?

L’industrie 4.0 ne va pas assez loin. Le concept de base signifiait l’usine connectée, l’usine numérique. Cette définition a évolué un peu, mais l’industrie 4.0 reste une vision assez réduite du futur de l’industrie. La manière dont on pense son évolution est trop incrémentale : les usines vont être de plus en plus connectées puis elles évolueront et peut-être qu’un jour nous aurons des usines uniquement opérées par des robots. Cette réflexion ne répond pas aux questions essentielles : qui va configurer les usines du futur ? Qui va désigner les robots ? Qui va les programmer ? Qui va imaginer des designs jamais vus auparavant parce que la manière dont on produit sera très différente ? Une région en Europe a une assez bonne réflexion sur l’automatisation : les pays nordiques. Ils ne s’en inquiètent pas. Ils embrassent les technologies et réfléchissent aux nouvelles compétences qu’ils devront avoir. Dans d’autres pays, l’état d’esprit est plus conservateur. C’est ce qui m’inquiète.

Quand vous dites que notre réflexion sur le sujet est trop incrémentale, cela signifie qu’il faudrait imaginer des usines complètement différentes de celles d’aujourd’hui ?

Nous sommes en train de passer d’un modèle d’usine grande échelle à des réseaux de micro-usines très automatisées et modulables. Les usines du futur auront des robots multi-usages et des machines additives et soustractives, des AGV se déplaceront d’une machine à l’autre. Et ces usines seront capables de créer à peu près n’importe quel objet. Ces réseaux d’usines sous-entendent aussi de nouveaux systèmes économiques. L’offshoring appartiendra au passé, les usines seront plus proches de leurs consommateurs… C’est un changement bien plus important que ce qu’engloble l’industrie 4.0. Et nous devons nous préparer à ça. L’industrie 4.0 sous-entend que l’écosystème évolue, moi je pense qu’il sera complètement restructuré.

Quel est votre rôle dans cette révolution ? Vous semblez vouloir vous rapprocher des modèles de plate-forme comme celles de GE ou PTC, notamment avec le lancement récent de votre logiciel de monitoring des équipements de production Fusion Production…

Exactement, nous voulons créer une plate-forme qui permettra de contrôler ces micro-usines. Nous avons Fusion Production, notre logiciel de design génératif, nos investissements en machine learning, robotique et dans le cloud… Tout cela signifie que nous souhaitons devenir un fournisseur de plate-forme pour ce nouvel écosystème industriel. Peut-être que nous nous trompons sur l’évolution de l’industrie, mais je ne pense pas…

Il y a déjà de gros acteurs sur ce marché des plate-formes…

Oui, mais tous les systèmes qui existent sont conçus pour les grandes usines du passé. Ce qui nous différencie des autres est le fait que nous sommes moins impliqués dans l’industrie d’hier et d’aujourd’hui. Tous nos investissements sont tournés vers des technologies qui, nous le pensons, correspondent aux usines du futur, pas à celles d’aujourd’hui. Pour d’autres acteurs il est plus difficile d’investir dans ce futur car quand tous vos revenus et votre R&D sont basés sur le système manufacturier existant, c’est dur de se tourner vers quelque chose qui n’existe pas encore.

Cela signifie-t-il que vous allez davantage vous concentrer sur le marché de l’industrie qu’auparavant ? Aujourd’hui vous réalisez une plus grande partie de votre chiffre d’affaires dans la construction et l’architecture.

Nous pensons que les deux mondes sont en train de converger. La construction adopte des méthodes industrielles, l’industrie est plus distribuée qu’avant. Nous allons créer un système qui correspondra aux deux.

Donc un jour il existera un même système Autodesk pour l’industrie et la construction ?

Oui, et je pense que cela arrivera plus vite que ce que l'on pense, dans cinq à dix ans.

L’un des autres grands changements pour Autodesk est le passage à l’abonnement. Combien de vos clients utilisent la version cloud de vos logiciels plutôt que la licence ?

La majorité de nos clients sont à l’abonnement. Tous nos nouveaux clients passent directement à l’abonnement. Ce nouveau modèle donne accès aux logiciels à des acteurs qui ne pouvaient pas se les offrir auparavant. D’ici un à deux ans, il ne restera que très peu de clients avec des licences. Cela ne veut pas dire pour autant que tous nos clients historiques nous suivront vers ce nouveau business model.

Comme gérez-vous vos clients historiques qui ne veulent pas passer à l’abonnement ?

Nous leur proposons des réductions assez importantes pour qu’ils passent à l’abonnement, nous essayons de les choyer. Mais nous voulons devenir une société cloud, nous allons vers cela quoi qu’il arrive. Nous pensons que plus de 90 % de nos clients nous accompagneront, une partie ne le fera pas, mais ce n’est pas grave.

Dassault Systèmes a lui décidé de conserver différents business models : l’abonnement et la licence, vous ne pensez pas que cela peut être une solution ?

D’après notre expérience, c’est très compliqué et très coûteux de conserver les deux modèles. Et nous n’avancerions pas aussi vite si nous essayions de garder les deux. Je pense qu’il n’y pas d’avenir pour les logiciels qui restent sur un serveur. Regardez ce qui se fait dans les autres secteurs logiciels : plus personne n’a de systèmes serveurs pour la gestion des RH, toutes les entreprises travaillent sur des applications web. Elles utilisent Salesforce pour gérer leur relation client, leurs ERP sont dans le cloud… Si vous démarrez une entreprise aujourd’hui, ça ne vous viendrait jamais à l’esprit d’installer un logiciel sur votre serveur.

Ce changement de business model implique une réorganisation. Début 2016, vous annonciez la suppression de 10 % de vos effectifs, où en êtes-vous dans votre restructuration ?

Nous sommes désormais au stade où nous réinvestissons dans les services qui nous paraissent clés. Nous avons investi à Birmingham dans ce centre de recherche, nous venons d’ouvrir des bureaux à Dublin…

Vous avez été nommé PDG cet été après le départ de Carl Bass. Comment décririez-vous votre style de leadership ?

Je suis un leader très direct, franc. J’aime être clair à propos de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas. J’ai beaucoup travaillé pour faire en sorte que tous les salariés soient informés des trois axes stratégiques de l’entreprise : le passage au cloud, la digitalisation de l’entreprise et la redéfinition du futur de la fabrication et de la construction. Toutes leurs décisions doivent être compatibles avec ces axes. Certains projets ont été complètement abandonnés car ils ne correspondaient pas à cette stratégie.

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