"L’impression 3D est un enjeu majeur pour la France", assure Joël Rosenberg, expert en innovation au Ministère de la Défense

A l’occasion de la troisième édition du salon 3D Print, qui s’est tenue à Lyon les 3 et 4 octobre, L’Usine Nouvelle s’est entretenue avec Joël Rosenberg, expert en innovation au Ministère de la Défense. Il nous présente les mesures prises suite à la présentation fin 2015 de son rapport sur l’industrie de l’impression 3D en France.

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L’Usine Nouvelle - Vous avez été chargé de réaliser un rapport sur l’état de l’art de la fabrication additive en France. Comment est né ce projet ?
Joël Rosenberg - Il y a trois ans, le conseil général de l’Armement et son vice-président Jean-Paul Herteman m’ont chargé d’une étude sur la fabrication additive. Le rapport a été présenté fin 2015 au Ministère de la Défense, ainsi qu’aux cabinets de François Hollande et d’Emmanuel Macron et à tous les acteurs. Deux ans, ce fut un délai relativement court, tant les informations à l’époque étaient diffuses, voire masquées. La presse était plutôt mal informée, et les choses les plus remarquables n’étaient pas celles que l’on voyait à la télévision ou dans les journaux. L’impression 3D faisait déjà le buzz, on en parlait beaucoup, mais il convenait vraiment d’alerter les pouvoirs publics sur le fait qu’il s’agit d’un enjeu industriel majeur pour la France.
Quels ont été les grands constats de votre étude ?
J’ai pu constater que non seulement notre pays n’était pas globalement en avance, mais aussi que beaucoup d’initiatives se faisaient en ordre dispersé. Nous avons bien de fortes compétences en France, mais elles étaient diffuses, ou alors concentrées dans des endroits relativement secrets. Ensuite, j’ai noté que la mode des makers et l’engouement pour les fab labs - fort louable en soit car il s’agit souvent de la première étape pour passer de la conception en numérique vers la réalisation directe de petits objets - avaient entraîné une grande dispersion des initiatives et masqué les vrais enjeux stratégiques. C’est dommage, d’autant qu’une partie de l’argent provient de la sphère publique (écoles, centres de recherche, IRT, collectivités, etc.). Il faut un équilibre entre rendre la technologie disponible sur le territoire et organiser le développement de l’impression 3D. Nous n’avons pas les moyens des Américains ou des Chinois, dès lors il apparaissait nécessaire que les compétences soient mises en réseau, cartographiées, que les échanges d’information soient encouragés. Il ne suffit pas de faire de l’affichage en ouvrant des fab labs à partir de rien, ou en dupliquant ce qui existe déjà.
La technologie est-elle prête ?
Elle l’est, et dans de très nombreux matériaux. Dans les polymères, les cires, les résines, les machines sont très nombreuses et variées, à tous les prix correspondants à des niveaux amateur jusqu’à industriel : il y aura des évolutions, des révolutions, mais l’offre est déjà très abondante. Le vrai enjeu pour l’industrie d’aujourd’hui et plus encore celle du futur est dans les matériaux métalliques : On compte aujourd’hui une dizaine de fournisseurs qui vendent des machines de fabrication additive dans le monde. Dans le métal, faire une série de quelques milliers de pièces avec un niveau de qualité élevé reste très compliqué car les machines ne sont pas assez stables et standardisées. Il y a du travail pour fiabiliser la qualité de la mise en forme de la matière première, stabiliser les machines, développer de nouvelles sources permettant la fusion des poudres. Face à une technologie qui n’est pas mature et qui présente une telle diversité de machines, de matériaux et de procédés, il faut un maillage national qui répartisse les ressources. La technologie n’étant pas encore arrivée à sa pleine efficacité industrielle, il est préférable de se concentrer sur les complémentarités entre les machines et entre les technologies, et ensuite seulement faire le lien avec le tissu industriel local. En résumé, la France est partie en retard sur l’impression 3D, mais comme les vraies solutions industrielles sont encore à développer, il reste beaucoup d’opportunités.
Quelles actions ont été décidées suite à la publication de ce rapport ?
Elles sont de plusieurs types. D’abord, il a été décidé de réunir des industriels qui s’intéressaient à la technologie. Sous l’égide de l’Alliance pour l’Industrie du futur, il y a eu des rencontres, qui ont débouché sur dix groupes de travail. Ces derniers portent sur différents sujets : machines, procédés, matériaux, chaîne numérique, etc. En parallèle, ces mêmes acteurs du terrain élaborent la feuille de route de la fabrication additive en France. Nous avons la chance d’avoir au moins trois constructeurs de machines français de classe internationale : le Groupe Gorgé, Fives-Michelin et BeAM. Ils seront évidemment au cœur du dispositif, qui doit fournir à l’industrie française, de l’amont (préparation des matériaux, recherche de matériaux nouveaux) à l’aval (réalisation de toutes nouvelles pièces) un soutien comme le font les grandes nations industrielles concurrentes : Cet écosystème est riche de grands groupes, d’ETI et de PME – il suffit de se promener dans les allées du salon 3D Print à Lyon – pour en prendre toute la mesure.
BeAM et Fives-Michelin n’ont pas encore lancé leurs machines sur le marché, comment les avez-vous aidés ?
Fives-Michelin est encore en phase de lancement, mais c’est celui qui a la plus grande maturité technologique grâce aux réalisations de Michelin qui présente probablement aujourd’hui les produits les plus aboutis pour la fabrication industrielle : Michelin a communiqué sur le salon qu’ils fabriquent sur leur propres machines d’impression 3D déjà plusieurs centaines de milliers de pièces en métal par an. Ces pièces sont des éléments de moules en acier, certes de petites tailles, mais remarquables par leur complexité et la qualité de réalisation. BeAM est encore une jeune start up. Mais cette société présente une solution originale et très intéressante. Nous avons d’ailleurs lancé une première expérimentation au sein du Ministère de la Défense : il s’agit d’une étude de faisabilité pour la réparation de quelques pièces du Rafale. Nous pensons que leur technologie de rechargement, qui consiste à projeter des particules métalliques en utilisant la fusion laser sur la surface à traiter, est envisageable sur des pièces à haute valeur ajoutée comme celles-ci. Si le projet fournit des résultats convaincants, la technologie pourra s’appliquer à beaucoup de pièces et générer des économies substantielles. Ces technologies de fabrication additive ont également un immense intérêt pour des pièces qui ne sont plus en production : il faut alors souvent refabriquer les machines qui ont servi à les produire, cela coûte très cher et pendant ce temps les avions (ou d’autres matériels d’ailleurs) sont inutilisables.
Qu’avez-vous fait en faveur de la recherche en fabrication additive ?
C’est l’un des objectifs du schéma directeur qui est élaboré sous l’égide d’Alliance-Industrie du futur. Avoir trois fabricants de machines en France est un atout, car on peut travailler avec eux sur des sujets d’optimisation machine/procédé, machine/matière ou machine/logiciel, mais il y a beaucoup d’autres axes de R&D comme les propriétés et tenues mécaniques sur toute la durée de vie des pièces issues de fabrication additive. Nous nous efforcerons de renforcer et fluidifier les liens entre recherche publique et recherche privée, d’optimiser l’utilisation des ressources publiques… Nous avons eu l’opportunité de provoquer des "working sessions" entre différents secteurs qui n’ont aucune raison de travailler ensemble, comme les industriels de l’automobile et ceux du secteur aéronautique défense.
Que vous inspirent les rachats récents dans le domaine de l’impression 3D ?
Il y a une vraie course, au niveau mondial, pour une machine de fabrication additive en métal de qualité industrielle. Cela me fait penser que nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère. Le fait que General Electric ait investi 1,4 milliard de dollars pour mettre la main sur le numéro deux allemand SLM Solutions et le suédois Arcam - qui détient un procédé qu’ils sont seuls au monde à maitriser-, montre que ce sera un axe majeur de développement pour eux. Même si leurs machines ne sont pas les meilleures en termes de qualité et de productivité, le groupe GE devrait pouvoir les aider à rapidement monter en compétences. Car le groupe américain s’est fixé comme objectif d’imprimer 100 000 injecteurs par an pour le Leap, ce qui est une cadence inédite dans la fabrication additive. GE se positionne ainsi à la fois comme l’un des premiers utilisateurs, mais aussi comme un futur géant du domaine de la machine de la fabrication additive. Au final, on voit que la révolution à venir attire de très grands groupes industriels, qui font désormais passer les “gros” de l’impression 3D pour des petits. Mais la technologie est encore sur bien des points balbutiante, et je ne parle même pas de la mutation que cela va entraîner en matière de design, de nouveaux modes de contrôle de procédés et de certification de pièces, de liens de plus en plus étroits avec le développement de micro ou nano-capteurs et l’internet des objets, de nouveaux logiciels, de traitement après fabrication, etc., donc il reste encore de la place et l’on devrait continuer à voir émerger de jeunes sociétés très innovantes pendant encore de nombreuses années.

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