« L'excitation monte au sujet de l'hydrogène naturel : nous avons ça sous nos pieds depuis le début et nous ne le voyions pas », lance la chercheuse Isabelle Moretti
L’hydrogène naturel, présent dans le sous-sol, a connu son premier sommet international, les 2 et 3 juin 2021. Quelque 750 participants, dont de nombreux industriels y étaient présents, selon la conseillère scientifique, Isabelle Moretti. Spécialiste du sujet, cette chercheuse à l'E2S UPPA - Carnot Isifor et membre de l'Académie des technologies décrit pour Industrie & Technologies comment l'intérêt monte pour cette source potentielle d'énergie et dresse un état des lieux des connaissances.
Industrie & Technologies : L’hydrogène naturel semble avoir un grand potentiel comme source d'énergie, pourquoi est-il si peu connu ?
Isabelle Moretti : A vrai dire, un certain nombre de scientifiques alertent depuis longtemps sur la question mais à l’époque il n’y avait pas de marché pour l’hydrogène. Je pense qu’aujourd’hui l’hydrogène naturel vient sur le devant de la scène grâce à un alignement d’étoiles : d’un côté le besoin d’avoir un hydrogène non carboné pas cher et de l’autre l’arrivée du marché de l’hydrogène carburant pour une mobilité verte.
Nous observons des émissions d'hydrogène depuis longtemps, notamment dans les zones géothermales. Par ailleurs de nombreux puits où nous trouvons de l’hydrogène aujourd’hui sont d’anciens puits pétroliers où cet hydrogène était présent sans que quiconque y accorde de l’importance. Il y a en ce moment une excitation qui monte : nous avons ça sous nos pieds depuis le début et nous ne le voyions pas.
Cette excitation se traduit-telle par un intérêt des industriels ?
Oui, l’hydrogène naturel est un sujet en train de passer des géosciences à l’industrie. C'est dans ce cadre que s'est inscrit le sommet H-Nat 2021, la semaine dernière. L’industrie s’y intéresse de plus en plus. En Australie, le pétrolier Santos a foré dans le bassin d’Amadeus trois puits desquels se dégagent de l’hydrogène, de l’hélium et du gaz naturel. Un quatrième doit être foré prochainement pour, cette fois, lancer la production. En dehors de Santos et de l’énergéticien Engie, ce sont cependant surtout des petits industriels qui s’intéressent à l’exploration de l’hydrogène, Hynat en suisse, Helios en Espagne, N2H et Prispine aux Etats-Unis,... pour n’en citer que quelques-uns. En France, 45-8 cherche de l’hydrogène naturel en plus de l’hélium. Pour le moment, la plupart des grands groupes restent discrets, revoient les données qu’ils ont sur le sous-sol et cartographient les puits qui ont déjà trouvé de l’hydrogène.
Quel est l’état des connaissances scientifiques sur cet hydrogène naturel ?
Pour ce qui est de la formation de l’hydrogène, il existe plusieurs mécanismes. Nous pensons qu’une grande partie vient de réactions d’oxydation de la roche par l’eau. Nous en observons à plusieurs endroits : au niveau des dorsales océaniques, dans les montagnes avec les ophiolites, des reliquats d’anciennes roches océaniques, mais aussi dans les roches riches en fer. L’eau peut également former de l’hydrogène par radiolyse. C’est-à-dire que la radioactivité du sol brise les liaisons de la molécule. Nous commençons aussi à parler d’autres espèces chimiques capable de générer de l’hydrogène comme le sulfure d’hydrogène (H2S), encore une fois par oxydation.
L’hydrogène est issu d’une génération continue, c’est un consensus, il diffère en cela des hydrocarbures qui sont souvent fossiles. Il est aussi avéré qu’il y a des accumulations d’hydrogène dans le sol, qu’il existe des roches capable de retenir la molécule. C’est que prouve le Mali, où une accumulation d'hydrogène est exploitée depuis 7 ans par Hydroma sans que la pression baisse et sans qu'il y ait aucun échappement de surface. D’où la question : est-ce qu’il faudra parler de réserves comme les pétroliers, donc de mètres cubes, ou est-ce qu’on va parler de production annuelle d’énergie, en kWh, comme en géothermie ? Vraisemblablement, dans un certain nombre de cas, l’interaction eau-roche qui génère l’hydrogène se fait à une échelle de temps humaine. Ce qui ferait de cet hydrogène une source d'énergie renouvelable pour peu que l'on adapte le rythme de l'extraction à la vitesse de la génération, comme pour les vapeurs d’eau chaude en géothermie.
En ce moment, nombre de chercheurs étudient la cinétique de ces réactions. A la sortie des roches en fusion le long des dorsales, l’oxydation se fait en quelques heures. Nous, en laboratoire, nous testons à de plus faibles températures (100°C contre 300°C pour les roches en fusion) et nous obtenons aussi de l’hydrogène mais en plus de temps, en quelques semaines. La gamme de température où la réaction se passe assez vite est donc large.
Est-ce possible d’estimer la quantité d’hydrogène du sol et comment prospecter les stocks ?
Pour ce qui est de la quantité, je ne l’estime pas, il faut forer et explorer, voir localement les ressources que nous avons. Aujourd’hui nous avons surtout des indices de surface. Mais lorsque nous regardons les indices de surface du pétrole, cela représente epsilon de ce que nous retrouvons dans le sol. Pour donner un ordre d’idée, nous avons monitoré un rond de sorcière au Brésil où nous avons mesuré en moyenne un flux de 600kg d’hydrogène par jour. Pour un cercle de 400 mètres de diamètre, c’est déjà énorme. Il faut aussi considérer la pureté de l’accumulation. Au Mali nous avons la chance d’avoir un hydrogène à 98%, il est presque pur. Mais ce n’est et ne sera pas le cas de tous les gisements. Il faudra alors purifier le gaz en surface.
Concernant l’exploration, il y a beaucoup de développements technologiques en cours pour avoir les bons outils. Principalement des adaptations de ce qui est utilisé dans le milieu pétrolier. Beaucoup de choses low-cost ont été présentées au niveau de la géophysique et des capteurs géochimiques lors du sommet qui pourraient être utilisées pour l’hydrogène. Les para-pétroliers de leur côté essaient de rendre leurs produits moins chers pour s’ouvrir le marché de la géothermie et de l’hydrogène naturel, où l’argent est plus rare.
Qu'attendez-vous comme développements à court terme ? Les forages vont-ils accélérer ?
Si d’ici à l’année prochaine nous arrivons à faire quatre ou cinq puits ayant pour cible l’hydrogène nous aurons passé un grand pas. Mais nous pouvons espérer plus, notamment en Australie où ça va très vite. Il y a un vrai intérêt économique si nous comparons l'hydrogène naturel à l’hydrogène gris issu du méthane. Le prix actuel de 2 dollar le kilo de l’hydrogène gris provient pour 1/3 de la chauffe à 800°C du méthane. Donc si nous extrayons l’hydrogène naturel comme le méthane, nous pouvons retirer ce tiers du prix.
Du point de vue de la recherche, nous rassemblons de plus en plus de monde. En France nous sommes déjà une centaine, aux Etats-Unis ils sont probablement cinq ou six fois plus nombreux. En Australie, le nombre de chercheurs se multiplient tous les jours. En Russie il y a un énorme potentiel. Pour le reste de l’Asie c’est assez flou mais nous voyons passer beaucoup de papier de Chine même si cela reste discret. Je ne serais pas surprise si quelque chose se passe là-bas dans les années à venir toutefois. Bien sûr la vitesse dépend de l’argent mis sur la table mais je suis assez confiante dans l’avenir de l’hydrogène naturel.
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