L'entretien d'évaluation annuel ? "Il apparaît de plus en plus comme inefficace et coûteux", explique Philippe Burger de Deloitte.
Comme chaque année, le cabinet Deloitte publie son analyse des tendances RH à l'oeuvre en 2017 dans les entreprises à travers le monde. Parmi les dix mouvements observés, nous avons choisi de mettre en lumière la question des systèmes d'évaluation de la performance. L'entretien annuel apparaît comme dépassé à l'heure du management par projets et du temps réel permanent. Philippe Burger, associé et responsable de la practice « Capital humain » chez Deloitte France, nous dit pourquoi.
L’Usine Nouvelle - Parmi les dix chantiers que vous identifiez cette année, figure la refonte des systèmes de mesure de la performance au travail. Comment expliquez-vous ce résultat ?
Philippe Burger - Aussi bien les salariés que les employeurs et les RH se rendent compte que le process classique d’évaluation n’est plus efficace. Dans l’enquête que nous menons auprès de responsables du monde entier, nous observons qu’une forte proportion de RH et des collaborateurs affirment cela. C’est un processus long, coûteux et qui ne remplit pas ses objectifs. 95 % des managers ne sont pas satisfaits. 50 % des collaborateurs déclarent qu’on ne leur donne pas un feed-back satisfaisant sur les points qu’ils pourraient améliorer. Le processus ne correspond plus aux attentes des collaborateurs ni aux horizons temporels qui sont à l’œuvre dans les entreprises aujourd’hui, où tout va plus vite, où l’agilité est de mise.
C’est parce que le travail change qu’il faut revoir ces processus ?
En partie oui. De plus en plus on a des hiérarchies plates avec des manageurs qui sont davantage des ressources, des animateurs. Ils ne suivent plus au jour le jour le travail de uns et des autres qui sont affectés à des équipes projet. Les collaborateurs ne comprennent plus pourquoi une fois par an quelqu’un qui ne travaille pas avec eux au jour le jour les évalue.
En outre, il ressort des études qu’ils veulent qu’on leur donne des axes de développement plutôt qu’une évaluation qui pointe les aspects négatifs. Ils souhaitent être évalués en temps réel en tenant vraiment compte des nouvelles manières de travailler, en équipe-projet… Dans ce cas, il est logique qu’à la fin d’un projet, le chef de projet prenne du temps pour dire à chacun quels sont ses points forts.
Est-ce le seul changement ?
Nous avons identifié six caractéristiques qui doivent changer maintenant. Comme je vous l’ai déjà dit, la première est le passage d’une évaluation annuelle à un process continu. De même, il faut passer d’un système figé, centralisé et différé, à quelque chose de plus flexible, plus simple décentralisé et à proximité des individus. Un autre changement est l’évolution depuis des évaluations fondées sur des hypothèses vers des approches basées sur des données. Par ailleurs, la tendance est de passer à feed back à un feed forward : plutôt que de faire la liste de ce qui ne va pas, l’évaluateur va mettre en avant les points forts de la personne qui pourront lui servir ensuite dans une autre mission. De même, on voit émerger des formes d’évaluation du travail en groupe.
Tout cela est très théorique, mais est-ce appliqué ?
Des centaines d’entreprises l’ont mise en place : Adobe, IBM, GE, Goldman Sachs, Google, ou Deloitte l’ont fait. Près de 10% des entreprises du Fortune 500 ont désormais mis fin aux revues annuelles au profit d’une évaluation en continue.
Quel effet peut-on attendre d’une telle démarche ?
Il y a des conséquences en matière de rétention et d’engagement et les résultats sont impressionnants : 90% des entreprises qui ont revu leur système d’évaluation de la performance ont constaté un meilleur niveau d’engagement chez leur collaborateurs. Etre mieux évalué, comparé à la sanction impériale venue d’un manager une fois par an qui dit "c’est comme ça" redonne du sens au travail du salarié.
En outre, ces modes d’évaluation encouragent les comportements plus collaboratifs, car ces nouvelles manières de faire s’intéressent davantage à la performance collective. Le but n’est pas de mettre en concurrence les salariés comme on le voyait avec ces systèmes où il fallait classer les uns et les autres, et identifier les 10 % les plus prometteurs mais aussi les 20 % qui le sont moins par exemple. Ces modes de mesure de la performance apparaissent comme plus équitables, ce qui renforce la cohésion.
Globalement, la performance de l’organisation sort renforcer d’un tel processus. Le collaborateur a le sentiment d’être plus écouté, que l’entreprise est plus proche de ses attentes. C’est d’autant plus vrai que l’entreprise associe des salariés à la réflexion sur les nouveaux critères, notamment lorsqu’à travers des groupes tests ils sont interrogés et suivis.
Suffit-il de changer de mode d’évaluation ? Les résultats sont-ils immédiats ?
Il faut compter entre dix-huit et vingt-quatre mois pour mesurer pleinement le changement. Dans certains cas, il faut plus de temps. Rien que la phase dont je viens de vous parler peut prendre un an. Ensuite, il faut lancer l’opération, généraliser la méthode.
Cela renvoie à des changements dans la culture, le leadership, cela prend du temps mais les données montrent que les résultats sont à la hauteur de l’investissement.
Pour en savoir plus et consulter l'intégralité de l'étude réalisée par Deloitte auprès des DRH
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