L'efficacité des aides agricoles doit être réévaluée, estime le CAE
Forte dépendance au soutien public, stratégie à l’exportation décevante, c'est un sombre panorama de de la filière agricole que dresse le Conseil d’analyse économique (CAE) dans une note parue le jeudi 17 décembre. Il propose de modifier le régime d’aides allouées aux agriculteurs et de sortir du tout "haut de gamme" dans l'agroalimentaire.
Chaque année, 10 milliards d’euros d’aides directes sont allouées au secteur agricole, soit 30 000 euros par exploitation "moyenne". Elles ont représenté 84% du revenu agricole en 2013, ce taux pouvant atteindre, certaines années, 160% dans le secteur de la viande bovine ! "L’agriculture fait l’objet d’un soutien public important. Il s’agit d’un effort de la part de la puissance publique, et dont l’adéquation doit être évaluée en fonction des objectifs qui justifient cette intervention", estime le directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales, Sébastien Jean. Il est l'un des trois auteurs - avec Lionel Fontagné, professeur à l’Université Paris I, et Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech - d’une note consacrée aux choix devant être effectués par la filière agricole française.
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"L’agriculture est une industrie qui a les mêmes problèmes que l’industrie lourde, plus d’autres qui viennent s'y ajouter !", reconnaît Agnès Benassi-Quéré, la présidente déléguée du Conseil d’analyse économique, commanditaire de la note.
vers des aides conditionnées aux résultats
Les objectifs sociaux des aides agricoles sont inégalement atteints, constatent les auteurs. 18 000 emplois temps plein ont ainsi été perdus entre 2010 et 2013. Toutefois, contrairement à une idée répandue, "les revenus des agriculteurs professionnels ne sont pas structurellement plus faibles que dans d’autres secteurs. Le patrimoine des ménages agricoles est supérieur à celui des ménages en général, même s’il est en grande partie composé de patrimoine professionnel", souligne Sébastien Jean.
Moins inégalitaires depuis la réforme de la Politique agricole commune en 2014, les aides demeurent liées aux surfaces, regrettent les auteurs. Les trois économistes proposent de faire évoluer leur distribution vers un système tourné vers l’évaluation des résultats. "Il faut agir au niveau communautaire pour progressivement passer des aides assises sur les surfaces à des aides assises sur les biens publics, pour la société, lance Sébastien Jean. Par ailleurs, il convient de privilégier le lissage fiscal, et de ne pas aborder les problèmes par l’approche assurantielle", estime-t-il.
critères environnementaux
Le panorama environnemental de la filière agricole est alarmant. "La liste des problèmes environnementaux est longue, grave, avec beaucoup de problèmes qui sont potentiellement difficiles à corriger. L’érosion et la dégradation de la fertilité des sols sont difficilement réversibles, tandis que l’on constate une réduction accélérée de la biodiversité dans les zones agricoles. Ces problèmes ont un impact économique (pollinisation, contrôle des ravageurs)", constate Sébastien Jean.
Proposition est donc faite de conditionner les aides agricoles à des critères environnementaux, en rémunérant les aménités, par exemple de manière différenciée selon les zones géographiques. "Nous proposons de placer cette idée au centre de la Politique agricole commune, même si ce n’est pas facile à faire. Au Royaume-Uni, le programme Natural England fonctionne ainsi", précise Jean-Christophe Bureau.
Mieux vendre à l’international
Le panorama économique de la filière, qui intègre ici l’agroalimentaire, est plus réjouissant. 9,3 milliards d’euros d’excédent commercial ont été dégagés en 2014. Il n’est pas question, pour autant, de pavoiser, poursuit Sébastien Jean : "Il y a une sorte de polarisation entre quelques branches excédentaires (les vins et spiritueux, sans lesquels la filière agricole serait déficitaire, les céréales, les fromages), et des branches déficitaires (les fruits et légumes, la pêche et l’élevage). Les parts de marché françaises dans les exportations mondiales ont chuté de plus d’un tiers entre 2007 et 2014. Cet atout commercial très fort pour l’économie française ne semble pas avoir été valorisé de la manière qu’on aurait pu attendre."
D’après les auteurs, la France devrait élargir son champ d’action en étant moins tournée vers le haut de gamme, ainsi qu’en valorisant davantage la sécurité sanitaire de ses produits. Les importations de poulet en tant que "produit intermédiaire", utilisé dans les nuggets ou la charcuterie, représenteraient 70% du marché français ! "La viande qui part en transformation est un marché très porteur. Nous devons, à l’export, vendre notre qualité sanitaire et technique. Nous devons nous appuyer sur nos efforts en la matière pour en faire un argument hors-prix", propose Jean-Christophe Bureau.
La mise en commun des moyens de production doit quant à elle être favorisée, tandis qu’il convient, pour les auteurs, de ne pas pénaliser a priori l’agrandissement des exploitations, s’il ne provoque pas d’externalités négatives. Pour améliorer la compétitivité de la filière, le développement de la recherche sur de nouvelles techniques de sélection variétale, avec en ligne de mire l’innovation ouverte et l’agriculture biologique, est recommandé, ainsi qu’un soutien affirmé à la formation continue et à l’essor du numérique dans l’enseignement agricole.
Franck Stassi
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