« L’Alliance européenne de la batterie mise sur une production décarbonée »
Northvolt va lancer la construction de sa première « gigafactory » en août, à Skellefteå, dans le nord de la Suède. La production de cellules pour batteries lithium-ion devrait débuter en 2021. Un projet emblématique de l’Alliance européenne de la batterie (AEB), mise en place en 2017 pour créer une filière industrielle. Guillaume Gillet, directeur de la business unit Union européenne au sein de l’EIT InnoEnergy, qui anime l’écosystème industriel de l’AEB, revient sur les défis qui attendent ce futur géant européen de la batterie.
Industrie & Technologies : Comment vont évoluer les besoins en batteries ?
Guillaume Gillet : D'après les analystes, 50 à 250 millions de véhicules électriques pourraient circuler dans le monde en 2028, nécessitant potentiellement une production de cellules pour batteries d’une capacité de 1100 GWh, dont 400 GWh pour la seule Union européenne en 2025.
Avec sa première usine suédoise, Northvolt ambitionne d’atteindre une capacité de 32 GWh pour un investissement de 3,5 à 4 milliards d’euros. Il faudrait plus d’une dizaine d’usines similaires pour répondre à la demande européenne de cellules. Certains estiment en outre que la capacité de 400 GWh est sous-estimée, les prévisions étant révisées à la hausse tous les trois mois. On parle communément de 20 à 30 usines nécessaires à horizon 2025-2030.
Les batteries utilisent des matériaux tels que le lithium, le nickel ou le cobalt. L’Europe dispose-t-elle des ressources nécessaires pour atteindre ses ambitions ?
Nous n’atteindrons jamais 100% d’indépendance sur ces matières premières. Mais l’objectif est de l’accroître. Nous pouvons reconquérir une partie de notre sécurité d'approvisionnement par l’ouverture ou la réouverture de mines. Certains pays annoncent qu’ils vont reconsidérer l’exploration et l’exploitation minière. Notamment le Portugal et la République tchèque pour le lithium, ou la Finlande pour le nickel, le lithium et, dans une certaine mesure, le cobalt.
Nous devons aussi sécuriser les approvisionnements venus de l'extérieur. En particulier ceux de la République démocratique du Congo qui concentre une grande partie du cobalt, du Chili et de l’Argentine pour une partie du lithium. L’Australie se montre également très offensive pour se positionner comme un fournisseur stratégique de matières premières.
Le développement du recyclage des batteries doit devenir une source d’optimisation et de réutilisation des matières premières. Enfin, la recherche et l’innovation feront sans doute émerger de nouvelles technologies de batteries moins gourmandes en ressources, en particulier les batteries dites « à l’état solide » (« solid state »). Ces technologies sont déjà utilisées, notamment par Blue Solutions en France.
L’Europe ne devrait-elle pas se concentrer sur le développement et l’industrialisation des prochaines technologies de batteries plutôt que de chercher à concurrencer les acteurs asiatiques qui dominent le lithium-ion ?
C’est un débat qui n'a plus trop cours. La technologie utilisée pour le lithium-ion sera en grande partie réexploitable dans les batteries « à l’état solide ». Donc si nous ne nous positionnons pas sur ces technologies, nous risquons de rater l'étape d'après. De plus, il y a encore des parts de marché à prendre sur le lithium-ion, notamment sur les 400 GWh de besoin européen en batterie en 2025. D’autant que les producteurs asiatiques ont leur marché domestique à fournir. Les États-Unis et le Canada sont aussi des marchés prometteurs.
La production des batteries émet des gaz à effet de serre. Or ces émissions augmentent avec la taille des batteries. L’AEB cible-t-elle certaines catégories de véhicules ?
C’est aux fabricants de véhicules de déterminer quels types de véhicules ils souhaitent équiper avec des batteries. Si les batteries dédiées aux véhicules particuliers sont le premier chantier aujourd’hui, il existe une grosse réflexion sur l’électrification des camions. Ils émettent aussi beaucoup de CO2, d’autant plus qu’ils sont très souvent sur la route.
Pour l'empreinte carbone, quel que soit le véhicule, il existe une phase de fabrication qui émet du CO2. Mais dans le cadre de l’AEB, nous insistons sur l’aspect « développement durable » et décarboné de la batterie. Northvolt, par exemple, a recours à des contrats d'approvisionnement en électricité garantie décarbonée. La fabrication de leurs cellules aura donc une empreinte carbone très limitée. À l’inverse, en Chine, l’électricité utilisée pour fabriquer une batterie vient majoritairement du charbon et de la lignite qui représentent l'essentiel de leur production d'électricité. Sans compter le transport des cellules si elles sont produites en Asie.